La spécialiste en microbiologie des sols Julie Neilson, professeure de recherche agrégée du Department of Soil, Water and Environmental Science (le département de la science des sols, de l'eau et de l'environnement) de l'université de l'Arizona (UA) à Tucson, passe ses journées à trouver des solutions pour que les plantes puissent mieux pousser sur les résidus de cuivre et les amas de roches stériles dans des environnements arides et sujets aux pénuries d'eau comme ceux de l'État de l'Arizona. Les leçons tirées de ses travaux sont valables en Australie, en Mongolie, au Chili, dans l'ouest du Canada et dans d'autres environnements désertiques où l'on exploite le cuivre et où la restauration des sites miniers constitue une priorité en termes de relation publique et de santé.

L'ICM : Pour quelle raison avez-vous décidé de vous lancer dans un doctorat en microbiologie des sols et choisi cette profession ?

Mme Neilson : Je suis née à Washington, dans le district fédéral de Columbia ; j'ai obtenu mon diplôme général de biologie à Vermont et est toujours été fascinée par la microbiologie. J'ai rejoint le corps des volontaires de la paix et ai travaillé avec des spécialistes de l'agriculture de subsistance en Jamaïque auprès du ministère de l'agriculture pendant deux ans et demi. Mon travail consistait globalement à aider les agriculteurs qui n'avaient pas les moyens d'acheter d'engrais à développer des stratégies de substitution pour leurs cultures. C'est ainsi que ma carrière a commencé ; j'ai orienté mes recherches sur des systèmes terrestres marginaux comme les déserts, et ai alors développé une véritable fascination pour la capacité des microbes du sol à faire prospérer ces systèmes marginaux.

L'ICM  : Qu'est-ce qui vous a poussé à appliquer la microbiologie à la restauration des sites miniers ?

Mme Neilson : À Tucson, j'ai commencé à travailler avec Raina Maier, professeure du département de la science des sols, de l'eau et de l'environnement à l'UA, qui est également directrice du National Institute of Environmental Health Sciences Superfund Research Program (le programme de recherche de la Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act, ou CERCLA, de son nom d'usage Superfund, de l'institut national des sciences de la salubrité de l'environnement) et du Center for Environmentally Sustainable Mining (le centre pour une exploitation minière durable sur le plan de l'environnement) à l'université ; nos travaux portaient sur la restauration des sites miniers hérités présentant des problèmes de contamination par les métaux.

J'ai fini par me retrouver à travailler sur des projets liés à l'exploitation minière. Les problèmes découlant des sites miniers hérités en Arizona sont nombreux, notamment en raison du faible taux de précipitation et d'autres conditions qui font que ces zones ne possèdent pas la végétation nécessaire pour contenir les polluants sur le site. Ils entraînent de gros problèmes en termes de poussière et d'érosion hydrique. Au XIXe siècle, les résidus miniers étaient transportés jusqu'au bord des ruisseaux par des carrioles tirées par des bœufs car il fallait de l'eau pour traiter les minerais. Ainsi, ces petits tas de résidus miniers très contaminés se retrouvaient dans les quelques cours d'eau pérennes d'Arizona, entraînant la contamination au plomb, au cuivre et à l'arsenic de ces systèmes hydriques. La poussière constitue aussi un problème pour les communautés voisines. Nous travaillons depuis 2005 dans ce secteur de contamination des mines héritées.

L'ICM : Quelle sorte de difficultés rencontrent les sociétés minières lorsqu'elles tentent de végétaliser leurs mines actives ou récemment fermées dans des régions telles que le sud de l'Arizona ou le Mexique ?

Mme Neilson : Les déserts ont des sols arides par nature faibles en azote et très faibles en carbone organique ; en outre, les précipitations y sont quasi-absentes. La plupart des industries ne peuvent se permettre d'irriguer des centaines d'hectares pour essayer d'y faire pousser quoi que ce soit. Ces facteurs contraignants que nous rencontrons sont propres au sud-ouest, mais ils sont très courants dans de vastes régions du monde où l'on exploite le cuivre.

L'ICM : Collaborez-vous avec des sociétés qui s'occupent de restaurer certaines zones d'Arizona ?

Mme Neilson : J'ai passé une grande partie de ma vie professionnelle à suivre un modèle axé sur la collaboration avec trois grandes sociétés minières internationales dans des mines d'Arizona, dont la mine Resolution Copper de Rio Tinto, le complexe minier Mission d'ASARCO (Grupo Mexico) et la mine Carlota de KGHM International. Nous menons des recherches en groupe de manière à nous inspirer de ce que font nos partenaires et à trouver des solutions que l'on peut appliquer dans toutes les sociétés. Contrairement à la plupart des experts-conseils engagés par les sociétés, nous nous intéressons à la qualité du sous-sol. Si nous conseillons d'ajouter des engrais et de modifier les mélanges de graines de manière à ce que la végétation pousse sur le court terme, nous rappelons également que sans développement de l'écosystème, toute tentative risque d'être réduite à néant car cela revient à vouloir faire pousser des plantes dans la roche.

L'ICM : Quels facteurs déterminent si la végétation finira par pousser sur des stériles ou un tas de résidus miniers ?

Mme Neilson : Nous avons dressé une liste d'indicateurs biologiques qui permettent de prévoir quelles plantes pousseront bien. Les indicateurs les plus intéressants sont le pH, la conductivité électrique des sols, qui est une mesure de la teneur en sel (dans les sols arides, cette teneur est élevée et peut se révéler toxique pour les plantes), l'équilibre nutritif, là où l'on détermine la quantité d'azote dans le système, et le carbone organique, qui doit s'accumuler dans le système au fil des ans afin de créer un réservoir de nutriments. Nous étudions la structure des sols, notamment la capacité à retenir l'humidité, et mesurons les bactéries présentes. Nous procédons également à l'extraction de l'ADN du système et essayons d'obtenir une empreinte de l'environnement biologique afin de déterminer la présence de microbes importants favorisant la croissance des plantes.

L'ICM : Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont vous avez procédé avec une société spécifique afin d'améliorer ses efforts de végétalisation ?

Mme Neilson : ASARCO essaie de végétaliser de grosses piles de stockage des résidus miniers de 500 ou 600 hectares. La société a investi plus de 30 millions $ dans ce projet, qui a commencé en 2009. Elle a utilisé un terrain de recouvrement [du sol désertique récupéré ailleurs] d'environ 30 centimètres pour tapisser les résidus avant de commencer l'ensemencement. La première fois que j'ai vu le résultat, je l'ai trouvé mitigé ; la végétalisation de certaines zones était vraiment réussie, d'autres zones, par contre, n'avaient pas du tout pris et ce, malgré que l'ensemencement des deux zones aient été fait avec le même mélange de graines au même moment. La seule différence portait sur le matériau utilisé dans le recouvrement, qui provenait de lieux différents. Le directeur de l'environnement d'ASARCO souhaitait comprendre la raison de cette inégalité au niveau de la croissance des plantes dans les différents sites. Dans la zone ayant utilisé de la terre végétale pour le recouvrement, on trouvait des prosopis de 3 mètres de haut et une grande diversité végétale ; quant aux zones recouvertes de matériaux puisés plus en profondeur, il n'y poussait même pas d'herbe. Nous avons présélectionné des échantillons de différentes zones du tas de résidus et les avons analysé à l'aide des indicateurs biologiques mentionnés ci-dessus. Les seules grandes différences étaient que l'on trouvait davantage de nutriments et de plus grandes quantités de bactéries dans les zones bien végétalisées.

L'ICM : Quel est le potentiel de la modification génétique des composantes des sols telles que les bactéries ou les champignons ?

Mme Neilson : Nous n'avons pas besoin de modifier les organismes ; nous devons simplement trouver les bons. Il existe dans ces conditions arides difficiles des microbes qui peuvent effectuer le même cycle des substances nutritives que les microbes dans des zones tempérées ; il ne nous reste plus qu'à les découvrir. À l'avenir, les mines pourront se servir de stratégies telles que l'application de l'inoculum d'une bactérie ou d'un champignon qui, à notre connaissance, survivent dans le système. Ainsi, on peut ajouter ces organismes qui garantiront la fixation de l'azote et du carbone atmosphériques sous une forme utilisable par la plante ou assureront le cycle de l'azote ; c'est une technologie que de nombreuses mines peuvent sans doute se permettre d'utiliser à l'avenir.

L'ICM : Existe-t-il d'autres technologies ou approches/procédés qui vont bientôt faire leur apparition et dont nous pourrons nous servir pour améliorer la restauration ?

Mme Neilson : À mes yeux, le concept visant à transformer les stériles en un bon matériau de recouvrement est le plus intéressant. Cette stratégie est actuellement étudiée par certaines des mines avec lesquelles je collabore. Les exploitations [ont souvent accès] à des terres et des déchets végétaux de bonne qualité, qu'elles détruisent afin d'exploiter leur mine ; elles disposent également de l'équipement lourd nécessaire pour effectuer des tâches que je ne peux même pas envisager, telles que l'incubation de futurs matériaux de recouvrement pour le tas de résidus qu'elles commencent à peine à créer. Comparez cela à ce qui se produit souvent de nos jours ; nous allons dans le désert, creusons un trou de mine et détruisons un écosystème sain pour récupérer le matériau de recouvrement. L'autre solution pourrait consister à mélanger diverses composantes dont les mines disposent déjà dans leur exploitation (des stériles par exemple) avec des déchets végétaux et œuvrer à fabriquer un matériau de recouvrement qu'elles pourront utiliser dans une vingtaine d'années. Les indicateurs biologiques que nous développons leur donneront les outils nécessaires pour évaluer la qualité des nouveaux matériaux de recouvrement.

Traduit par Karen Rolland