Gracieuseté par The Freight Company

Patrick Dick avait 25 ans lorsqu'il est arrivé au Myanmar après avoir passé une année à Bagdad pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak en 1983. Pour ce jeune Suisse, vivre et travailler pour une société multinationale allemande de logistique dans ce pays était une occasion rare. À cette époque, le Myanmar (qui s'appelait alors la Birmanie) était l'un des pays du monde les plus isolés, à l'environnement austère pour les étrangers qui ne pouvaient y rester plus d'un an. Cependant, une série de réformes économiques et politiques au cours des trois dernières années a permis de progressivement lever ce que l'on appelait le « rideau de bambou » au Myanmar, ce qui a permis à M. Dick de retourner travailler dans le pays. M. Dick a vécu à Bangkok pendant 26 ans, où il était propriétaire et directeur général de la société The Freight Co. En 2004, il a également fondé le Global Project Logistics Network (GPLN), un réseau professionnel de sociétés de logistique. Au cours des nombreuses années durant lesquelles il a travaillé en Asie du Sud-est, M. Dick a acquis une expérience inestimable sur des pays tels que le Myanmar, le Viêt-Nam, le Laos et la Thaïlande.

L'ICM : Pouvez-vous m'en dire plus sur les origines de votre société ?

M. Dick : The Freight Co. a ouvert ses portes en 1996 à Bangkok. Elle est née des frustrations que mon collègue suisse et moi-même avions ressenties au début des années 1990 alors que nous travaillions dans le secteur de la logistique pour diverses multinationales. Les innombrables fusions et acquisitions, les changements au niveau de la direction et les bouleversements du jour au lendemain dans les politiques des sociétés ont fait naître en nous l'idée de lancer notre propre société. Nous avons commencé au Viêt-Nam en 2004 et avons lancé nos activités au Myanmar en 2013. Jusqu'à maintenant, la majeure partie de nos activités ont lieu en Thaïlande. Le Viêt-Nam était intéressant les premières années, mais c'est un marché stagnant aujourd'hui. Le Myanmar, quant à lui, présente un grand potentiel.

L'ICM : Comment expliquez-vous cela ?

M. Dick : Le Myanmar est le pays le plus riche d'Asie du Sud-est en termes de ressources naturelles. Il renferme énormément de minéraux, notamment des minerais métalliques, du pétrole et du gaz naturel ainsi que des gisements importants de pierres précieuses et semi-précieuses. On y trouve également des gisements d'argent, de plomb, de zinc, de cuivre et d'or. Le Myanmar contient également d'importantes réserves de calcaire, un facteur essentiel à l'essor prévu du secteur de la construction.

L'ICM : Sur quel type de projets travaillez-vous dans le secteur minier ?

M. Dick : J'ai principalement travaillé sur des projets aurifères et cuprifères. Le secteur minier en Indochine et en Thaïlande n'est pas très développé. Actuellement, je travaille sur deux projets au Myanmar ; l'un porte sur une mine de manganèse et l'autre sur la mise en place de la logistique pour une mine d'agrégats. Ce dernier durera 10 ans et les prévisions en termes de volume sont relativement importantes. Selon moi, la croissance du secteur minier en Indochine restera lente, sauf peut-être au Laos. Au Myanmar, l'avenir pourrait s'avérer brillant mais il faudra réformer une ancienne loi minière datant de 1994. La plupart des investisseurs étrangers résistent car ils pensent qu'il est nécessaire de changer les primes de signature attendues et les modalités des contrats de partage de la production pour rendre les investissements intéressants dans ce secteur.

L'ICM : Avec quel genre de sociétés minières travaillez-vous ?

M. Dick : Les sociétés avec lesquelles nous collaborons sont principalement des petites et moyennes entreprises (PME) privées, étant donné que les multinationales sont plus conservatrices en ce qui concerne le Myanmar. Les produits varient et dépendent de ce que les investisseurs peuvent se procurer. Les entrepreneurs asiatiques n'aiment pas perdre leur temps en préparation ; ils suivent souvent leur instinct et tentent leur chance. En ce moment, les opérations sont relativement restreintes par rapport aux activités minières d'autres régions du monde. Pour ce qui est du manganèse et des agrégats, les exploitations expédient principalement au sein même de la région car les coûts élevés ne leur permettent pas de transporter ces marchandises très loin. Pour des marchandises de grande valeur comme le cuivre, par contre, c'est une autre affaire.

L'ICM : Quels sont les plus grands problèmes logistiques pour l'exploitation minière au Myanmar ?

M. Dick : L'infrastructure. Environ 98 % de l'infrastructure du Myanmar date de l'époque du règne britannique, qui a duré du début du XIXe siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pratiquement aucune infrastructure n'a été régulièrement entretenue ou rénovée depuis. Le transport des marchandises sur le réseau routier du Myanmar relève de la gageure. La première partie du trajet doit souvent se faire par voie fluviale puis se poursuivre par la route, ce qui pose de nombreuses autres difficultés. Le fleuve Irrawaddy est tout particulièrement dangereux mais néanmoins important car il relie le Nord, région riche en minéraux, aux ports du Sud. Une fois la saison des pluies terminées, le tirant d'eau du fleuve diminue rapidement et l'on ne peut utiliser que le cours inférieur du fleuve pour transporter de gros équipements. La mousson d'ouest interrompt fréquemment les livraisons entre juin et août, et peut avoir un grave impact sur les mines du Sud, surtout celles près de la côte.

L'ICM : Comment faites-vous face à ces problèmes ?

M. Dick : La planification est primordiale. Nous devons examiner le corridor de transport pour pratiquement chaque projet, et déterminer les équipements à amener. Dès que l'on quitte Rangoun, il devient difficile de trouver l'équipement nécessaire, aussi l'oubli d'une petite grue peut devenir relativement coûteux.

L'ICM : Est-il facile de travailler avec le gouvernement et la bureaucratie locale ?

M. Dick : Les difficultés sont nombreuses, surtout parce que les systèmes sont en grande partie fondés sur l'ère britannique. La création de nouvelles entités gouvernementales au fil des ans a engendré le recoupement de nombreuses fonctions. Avec l'ouverture du pays, une restructuration progressive est en cours. Le gouvernement essaie de garder le rythme et est constamment poussé par le monde extérieur pour en faire davantage et plus rapidement. Selon moi, le gouvernement du Myanmar a fait du bon travail si l'on considère l'immense portée de la réforme et la quantité de ressources dont le pays dispose. Les habitants de la région offrent leur aide, mais la plupart des choses au Myanmar requièrent davantage de temps que dans le reste du monde. Pour calculer le temps d'un trajet, je multiplie en moyenne par trois le temps que cela me prendrait dans le monde développé. Il en est de même pour tout ce qui a trait au gouvernement. Par contre, d'autres choses peuvent parfois se régler dix fois plus vite. Par exemple, dans quel autre pays du monde peut-on obtenir un rendez-vous avec le vice-ministre en quelques jours ?

L'ICM : Dans quelle mesure les réformes en cours ont-elles affecté votre travail ?

M. Dick : Peu de choses ont changé dans les trois années qui se sont écoulées depuis « l'ouverture ». À l'heure actuelle, plusieurs entrepreneurs relient une grande partie du Myanmar au réseau de télécommunications. Ceci sera très utile pour nombre d'entre nous étant donné qu'une grande partie de nos travaux ont lieu dans des régions isolées sans accès au téléphone ni à l'Internet, qui est cruellement à la traîne. Pour nous, les questions les plus pressantes concernent les ports, les aéroports, les routes, les ponts et les fleuves. Pour le moment, on ne peut voir aucune amélioration notable au niveau des routes et des ponts, et dans les quelques régions où les routes sont réhabilitées, les travaux sont faits manuellement. Voir un rouleau compresseur au Myanmar, c'est un peu comme voir un gros porteur évoluer sur la cinquième avenue à New York. La seule autoroute construite ces dernières années est réservée aux voitures particulières. Les camions doivent emprunter la vieille route nationale qui ne comporte qu'une seule voie de circulation dans chaque sens. À ma connaissance, une étude est en cours sur la façon dont on peut améliorer la navigation sur le fleuve Irrawaddy, mais il faudra sans doute du temps avant qu'elle ne soit achevée et que les travaux commencent.

L'ICM : Auriez-vous des conseils à donner aux personnes qui souhaiteraient aller travailler au Myanmar ?

M. Dick : Je leur conseillerais assurément d'aller au Myanmar à la découverte du pays et de ses habitants, qui leur laisseront tous deux des impressions durables. Bien entendu, tout investissement dans un marché émergent implique de mener une étude approfondie et d'en apprécier les risques. Mais la plupart des réussites en Asie sont le fruit d'une intuition suivie. Malgré les risques encourus, il est possible de se faire une place dans cette partie du monde à force d'efforts dédiés.

Traduit par Karen Rolland