Lorsque le nouveau quai sera terminé cet été, la capacité totale du Port de Sept-Îles sera de 90 millions de tonnes par an. Valerian Mazataud

Fort de 60 années d’expérience dans le transbordement de minerai de fer, le port de Sept-Îles a profité du dernier boom des matières premières pour convaincre divers partenaires publics et privés de se lancer dans un projet ambitieux : la construction d’un tout nouveau quai multi-utilisateur d’une capacité de 50 millions de tonnes. Une fois les travaux terminés à l’été 2015, la capacité totale du port atteindra 90 millions de tonnes, ce qui en fera le plus grand port minéralier en Amérique du Nord et le deuxième port de matières premières en importance au Canada, après Vancouver.

Au cours d’une visite du site en septembre dernier, sur les rives de la Baie de Sept-Îles d’une longueur de 10 km, l’eau était si calme qu’on ne se doutait guère que le plus important projet portuaire du Canada était en voie d’être achevé. En s’approchant de Pointe-Noire, à l’extrémité ouest de la baie, on peut maintenant distinguer la gigantesque jetée en forme de L qui s’avance sur 600 mètres, puis bifurque sur 400 mètres, dominant ainsi le paysage. «  Ce n’est pas par hasard si les premières entreprises de minerai de fer ont choisi la Baie de Sept-Îles pour expédier le minerai, dans les années 1940 et 1950 », a expliqué Pierre Gagnon, président-directeur général du Port de Sept-Îles. «  Elles ont constaté qu’il avait la capacité de soutenir tout le potentiel de l’arrière-pays. »

Les deux convoyeurs Sandvik à la fine pointe de la technologie qui surplombent la structure transporteront bientôt chacun pas moins de 8 000 tonnes de minerai à l’heure vers leur chargeur respectif. Le quai aura la capacité d’accueillir un navire sur chacun de ses côtés et de les charger simultanément de n’importe quel type de minerai. «  Notre infrastructure a été conçue pour avoir cette souplesse, permettant le transbordement de minerai expédié sans traitement préalable, de fines ou de boulettes », a déclaré M. Gagnon. Enfin, une aire de stockage de 50 millions de tonnes de capacité à moins de deux kilomètres du quai est prévue dans le port.

Contrairement aux autres quais de la baie, le quai multiutilisateur est assez profond pour accueillir les vaisseaux Chinamax de 400 tonnes, qui devaient jusqu’à maintenant s’ancrer au large et attendre que de plus petits navires viennent les charger – une opération coûteuse. «  Les frais d’expédition pourront diminuer de 20 % à 40 % selon la taille des navires », a jouté M. Gagnon. Sept-Îles deviendra le quatrième quai au monde ayant la capacité de charger les navires Chinamax.

Afin de s’assurer de relever ce défi de construction, le port a dû faire appel à de l’expertise étrangère. «  Nos consultants ont rassemblé des spécialistes du Brésil et de l’Australie qui manutentionnent déjà du minerai de fer », a expliqué M. Gagnon. «  Il fallait être en mesure de concevoir une infrastructure de classe mondiale à partir de zéro. »

Une enveloppe financière unique

Dans le sillage de la hausse spectaculaire des prix du minerai de fer observée dans les années 2000, des dizaines de projets ont vu le jour dans la fosse du Labrador, incitant le gouvernement du Québec à lancer son Plan Nord en 2011. Les infrastructures de transbordement existantes n’avaient alors pas la capacité suffisante pour répondre aux besoins des futures entreprises et assurer leur accès au marché. «  Entre 2005 et 2008 seulement, huit sociétés ont fait appel à nous pour demander une augmentation de la capacité du port », a affirmé M. Gagnon.

Cette pression croissante du secteur privé a convaincu le port de demander un financement fédéral. La mise de fonds nécessaire pour lancer le projet s’élevait à 25 % du coût total en capital, estimé à 220 M$ . «  Il aurait été dommage que le gouvernement fédéral se prive d’investissements de plusieurs milliards de dollars, simplement parce que les infrastructures n’étaient pas en place, alors que des entreprises étaient prêtes à investir », a souligné Russel Tremblay, directeur des communicommunications et marketing à Développement économique Sept-Îles.

Cependant, il n’était pas question pour le secteur public d’assumer seul l’ensemble des coûts en capital et aucune des entreprises n’avait une production prévue assez importante pour justifier un tel investissement par elle-même. En fin de compte, le gouvernement fédéral et le port ont assumé chacun 25 % du coût en capital, tandis que cinq partenaires privés se sont joints à eux et ont financé les 50 % restants – chacune de leur contribution étant proportionnelle à leur production –pour un total de 110nbsp;M$ en financement privé. Ces cinq entreprises ont ainsi mis un pied dans le port, s’assurant d’une capacité totale de transbordement de 43 millions de tonnes par an. Parmi elles, mentionnons Alderon Iron Ore avec huit millions de tonnes, New Millenium Iron avec 15 millions de tonnes, Champion Iron avec 10 millions de tonnes et Labrador Iron Mines et Tata Steel qui ont chacune cinq millions de tonnes. Comme la capacité totale du quai de 50 millions de tonnes pourrait augmenter à 60 millions de tonnes, la marge restante pourra être offerte à de nouveaux partenaires ou servir à la vente sur le marché au comptant.

En contribuant au financement, les utilisateurs privés bénéficieront de tarifs concurrentiels. «  Notre port est garanti », a expliqué Tayfun Eldem, chef de la direction d’Alderon. «  Nous avons versé 20,5 M$ pour la construction à titre de paiement initial. Nous allons récupérer cette injection de capitaux lorsque nous commencerons nos livraisons, car nous allons recevoir un rabais, comme les autres utilisateurs. »

Une source d’irritation

Si l’harmonie règne entre les sept partenaires, on ne peut pas en dire autant de leurs relations avec Cliffs Natural Resources, société voisine du quai. Pour expédier le minerai par le port de Pointe-Noire, les sociétés minières devront avoir accès à certaines des terres voisines actuellement détenues par Cliffs. Toutefois, le Port de Sept-Îles et Cliffs ne se sont toujours pas entendus sur la vente de ces terres et une poursuite a été déposée par Cliffs contre le port en 2013, laquelle n’est pas encore réglée.

Parallèlement à la poursuite, le Port de Sept-Îles a fait une demande à l’Office des transports du Canada (l’«  Office ») au printemps dernier pour faire du chemin de fer de Cliffs à Pointe-Noire un «  transporteur commun » similaire à la Quebec North Shore & Labrador Railway, que l’Iron Ore Company of Canada doit partager avec d’autres entreprises exerçant des activités dans la fosse du Labrador. Le chemin de fer de Cliffs est le seul lien ferroviaire entre Pointe-Noire et le reste du réseau ferroviaire. La demande du port a été rejetée par l’Office en octobre dernier.

Les deux conflits ont ralenti le financement de certains projets dans la fosse du Labrador, qui dépendent d’un accès au port, selon M. Tremblay. «  Toute l’économie du Québec est affectée par ce litige », a-t-il poursuivi. «  Aucune autre région au Québec ne prévoit des investissements de milliards de dollars. » Cependant, on est convaincu que la résolution du conflit est à portée de main. Le gouvernement du Québec est intervenu en juin dernier et se penche actuellement sur un certain nombre de scénarios possibles. La récente décision de Cliffs de fermer sa mine du lac Bloom et son plan de vendre ses actifs canadiens pourraient accélérer les choses, a souligné M. Gagnon. «  Nous nous attendons à des transactions dans un avenir proche, » a-t-il ajouté, laissant entendre que le chemin de fer de Cliffs pourrait changer de propriétaire si ses actifs de la mine Wabush étaient vendus.

Ces obstacles juridiques n’empêchent pas M. Gagnon de regarder vers l’avenir avec optimisme. «  Selon l’évolution du marché du minerai de fer, le quai pourrait bien n’être qu’une première phase », selon lui. Si Adriana Iron Ore, qui développe le grand projet du lac Otelnuk, se joint aux partenaires en finançant la deuxième phase, le quai principal pourrait être agrandi pour former un grand T. «  De plus, nous avons déjà les plans et devis pour construire un autre quai identique de 100 millions de tonnes », a affirmé M. Gagnon. «  Il y a encore de l’espace dans la baie et elle peut donc soutenir tout le potentiel qu’offre la fosse, autant au Québec qu’au Labrador. »

Traduit par Pierrick Blin