Mauro Chiesa

Ces dernières années, la notion d’étude de faisabilité « négociable en banque » a bien changé ; il y a quelques années encore, nous étions confrontés à des banquiers anxieux qui demandaient toute une série de justificatifs avant d’accorder un prêt ; aujourd’hui, ce sont les actionnaires qui établissent la longue liste de leurs exigences avant de s’engager totalement dans un projet. Par ailleurs, nous sommes passés d’une étude unique à plusieurs études, car le projet minier s’étend de la phase de conception à celle de la construction, puis de la mise en service. Quels facteurs ont donc mené les actionnaires à émettre de telles revendications ?

Tout d’abord, parlons de la crédibilité du secteur minier : après que plus de 120 milliards de dollars américains ont été enregistrés en déductions fiscales entre 2010 et 2015, les marchés des capitaux se montrent prudents. En outre, le secteur des ressources minérales a été mis en marge par le secteur de la technologie, rendant le capital plus difficile à obtenir et obligeant les sociétés à mener leurs études par étapes afin de perpétuellement attirer des investissements dans un projet.

Ensuite, il est devenu plus difficile de trouver de grands gisements géologiques, malgré des dépenses record dans l’exploration minérale. Les actionnaires et les sociétés minières hésitent davantage à assumer à 100 % le risque d’investissement dans l’exploration en raison de la rareté des nouvelles découvertes ; ainsi, de nombreux dirigeants parlent maintenant de fusion ou de réduction des effectifs, comme l’ont déjà fait Capstone, New Gold et Barrick Gold.

Enfin, les dépassements budgétaires sont considérables, particulièrement du fait que les nouveaux projets miniers sont toujours plus isolés et que la teneur des minéraux extraits est toujours plus faible. McKinsey indiquait dans un rapport de 2017 que quatre projets miniers sur cinq connaissent des dépassements budgétaires de 43 % en moyenne.

Le résultat de ces dépassements est que l’approche progressive adoptée aujourd’hui envers les études de faisabilité est devenue une série d’obstacles à éliminer au moment de la recherche de capitaux propres, puis au premier niveau de la dette et éventuellement au niveau du lancement du projet.

Une société minière intelligente peut toutefois adopter certaines stratégies de préemption dans la procédure de l’étude de faisabilité afin de se procurer des capitaux propres difficiles à trouver et de publier une étude qui aura une certaine valeur sur une période plus longue, en adoptant les méthodes suivantes :

Organisation d’un projet par phases : un développement progressif peut requérir des fonds plus importants sur le long terme ; prenons, par exemple, un budget de 400 millions de dollars par phase, et de 700 millions de dollars pour tout le projet. La somme de 400 millions de dollars peut toutefois s’avérer plus facile à recueillir. Une fois opérationnel, le projet peut commencer à générer des capitaux pour les phases suivantes, réduisant ainsi le risque.

Forage intercalaire : l’utilisation du forage intercalaire durant la construction de votre projet peut présenter de nombreux avantages, notamment : (a) des réserves prouvées et probables durant la construction, (b) un coussin de protection en cas de dépassement budgétaire et (c) un coussin de revenus en cas de chute des prix des métaux avant la mise en service. Par ailleurs, le forage intercalaire permet à une société minière de présenter un placement « de croissance » à un marché des capitaux à la recherche de croissance.

Partage : les sociétés minières peuvent partager davantage leurs infrastructures. Qu’il s’agisse de l’électricité, des routes ou des lignes téléphoniques, les études de faisabilité indiquent souvent des taux d’utilisation de l’infrastructure de 5 à 10 %, alors que le projet est situé à proximité d’une ville ou d’autres mines qui pourraient toutes bénéficier du partage de ces services. Le partage pourrait réduire d’une part, les coûts et d’autre part, les risques politiques et ceux liés à l’obtention du permis de la mine.


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Solaire : le coût d’installation d’un système fonctionnant à l’énergie solaire a considérablement baissé. Ainsi, si votre mine se situe entre 35° de latitude Nord et 35° de latitude Sud, et est éloignée d’un réseau électrique fiable, envisagez les options d’une installation fonctionnant au solaire. Cette énergie vous aidera à être concurrentiel, et réduira en outre votre intervention auprès des diverses autorités. L’installation d’un système fonctionnant au solaire vous permettra aussi de revendre le surplus d’électricité à une ville voisine, réduisant par là même le risque politique. Une fois le gisement de votre mine épuisé, vous pouvez transférer cet actif énergétique aux services publics locaux pour réduire encore davantage les coûts de restitution.

Réalisme : le monde possède des bases de données et peut préfiltrer vos études. Ne suggérez pas que certains coûts peuvent varier de plus ou moins 10 à 20 % lorsqu’ils varient en réalité de 40 à 50 %, ou que l’obtention d’un permis vous prendra six mois alors qu’en réalité, il vous faudra quatre ans, voire plus pour les obtenir. Il en va de même pour les teneurs de coupure et les prix des métaux. Votre étude de faisabilité doit refléter la réalité.

Risques les moins élevés : les études de faisabilité se concentrent principalement sur la réduction des coûts en vue d’optimiser la valeur actualisée nette, mais parlent peu des risques. Souvent, le risque peut être considérablement réduit pour une fraction de l’augmentation des coûts d’exploitation. Par exemple, en fournissant l’électricité à une ville voisine, les coûts d’exploitation d’un projet pourraient légèrement augmenter, mais le risque politique considérablement réduire.

Mise à jour : de fait, éliminer le risque d’un projet prend du temps. Si une mise à jour peut être validée par une personne qualifiée en interne, vous aurez à terme besoin d’un(e) auteur(e) externe pour examiner le reste de votre projet en l’attaquant à la base. Ainsi, choisissez vos auteurs avec soin et assurez-vous qu’ils sont disponibles ultérieurement pour mettre à jour le rapport.

Trouver des fonds devient de plus en plus difficile pour les sociétés minières, aussi l’étude de faisabilité requise occupe une place toujours plus importante. Ces stratégies peuvent faire de l’étude de faisabilité un meilleur investissement sur le plus long terme permettant aux sociétés minières d’attirer des capitaux.


Mauro Chiesa a à son actif plus de 39 ans d’expérience en matière de financement et de services-conseils dans le domaine des projets d’extraction et d’infrastructures. Il a notamment travaillé avec des banques multinationales à New York, avec le groupe de la Banque mondiale et chez Exportation et développement Canada (EDC).

Tradiut par Karen Rolland