Jon Benjamin Photography

L'industrie minière au Canada enregistre les meilleurs résultats en termes de sécurité et arrive bien en tête de plusieurs autres secteurs industriels. Malgré tout, Gord Winkel reste persuadé que les sociétés minières peuvent encore faire des progrès en améliorant et en partageant leurs pratiques. Ainsi, il a quitté son poste de vice-président de Syncrude Canada en 2010 afin de diriger le programme de sécurité et de gestion des risques pour les ingénieurs (ESRM) à l'université de l'Alberta. Ce programme innovant est le seul en son genre au Canada et existe depuis 1988 ; son objectif est de développer des stratégies qui permettront de constamment réduire les risques vis-à-vis des personnes, de l'environnement, des installations et de la production.

M. Winkel, qui a été nommé par trois fois éminent conférencier de l'ICM (en 2002, 2008 et 2013), est un fervent défenseur de la sécurité et il œuvre à perfectionner les pratiques dans l'industrie des mines à ciel ouvert par le biais du partage des connaissances, de la technologie, des meilleures pratiques et de l'innovation.

L'ICM : Qu'est-ce qui vous a motivé à quitter le secteur minier pour le milieu universitaire ?

M. Winkel : Au cours de mes 30 années en gestion des opérations dans le secteur de l'exploitation minière et de la minéralurgie, nous avons eu de nombreuses occasions d'apprendre et d'augmenter notre effectif de réserve en matière de gestion des risques et de sécurité, lesquelles seront importantes pour la prochaine génération d'ingénieurs et de chefs d'entreprises. Ainsi, on peut dire que ce parcours s'est transformé en une occasion de réinvestir cet apprentissage dans les étudiants.

L'ICM : Quels objectifs espérez-vous atteindre avec le programme ESRM ?

M. Winkel : Nous souhaiterions que chaque étudiant(e) ingénieur(e) suive des cours sur la sécurité et la gestion des risques dans le cadre de son programme universitaire et qu'il/elle en fasse sa qualification première dans la profession qu'il/elle décidera d'embrasser à l'avenir. Nous voulons aussi intégrer ces études à toutes les disciplines, à d'autres domaines de la science et de l'économie. La sécurité est un impératif moral et la valeur la plus importante sur le lieu de travail. Chaque année, des milliers de personnes décèdent à l'échelle nationale simplement parce qu'elles sont allées travailler. Cette situation doit changer.

L'ICM : L'industrie minière du Canada est devenue l'une des industries lourdes parmi les plus sûres. Pourtant, le public ne semble pas réaliser cet accomplissement. Quelle en est la raison, et que peut-on faire pour changer cela ?

M. Winkel : Les bonnes nouvelles font rarement la une des journaux, aussi le public a tendance à appréhender le secteur des mines sur la base des perceptions qui se forment à partir des accidents communiqués par les médias. Toute personne travaillant dans le secteur minier canadien (quelque 418 000 personnes depuis 2013) doit se faire l'ambassadeur de l'industrie et aider le public à comprendre les faits positifs relatifs au développement responsable, à l'application des technologies de pointe pour améliorer les performances, aux programmes récompensés de réhabilitation d'un terrain, à l'importante contribution de l'exploitation minière à nos modes de vie et leur amélioration, et bien entendu aux excellentes performances du secteur en matière de sécurité. Les résultats sont positifs et il est de la responsabilité de tous de les partager.

L'ICM : Vous avez une grande expérience dans l'industrie des sables bitumineux. Quels sont les problèmes les plus épineux que rencontre ce secteur, et comment peut-on les résoudre ?

M. Winkel : Cette industrie rassemble sous un seul toit l'exploitation minière, la minéralurgie, les services publics, la mise à niveau et bien plus encore, et chaque secteur s'accompagne de différents risques d'exposition et difficultés à gérer. Chaque partie de l'exploitation doit être évaluée afin d'identifier les risques, en prenant les problèmes à la base, et il convient aussi d'évaluer les risques tout au long du cycle de vie du projet. Selon moi, l'industrie parvient bien à gérer cette diversité des risques ; étant donné les attentes de plus en plus exigeantes de la société, et au vu de certains accidents déplorables, elle doit poursuivre ces efforts.

L'ICM : L'industrie des sables bitumineux a été littéralement transformée par les technologies de pointe. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

M. Winkel : Syncrude a été la première société à utiliser la technologie d'hydrotransport qui a permis d'intégrer le traitement par extraction dans l'exploitation minière. On associait les concasseurs à de nouvelles technologies pour mélanger les sables bitumineux extraits en injectant de l'eau chaude dans les puits, et la boue qui en résultait était ensuite envoyée par canalisation vers l'usine de traitement. L'utilisation de cet acheminement efficace par canalisation permettait aussi de bien mélanger la boue et libérait le bitume des sables et de l'eau. Ceci a donné lieu à une autre technologie innovante baptisée « extraction à basse température ». Cette série de nouvelles technologies a permis de considérablement réduire l'empreinte écologique de l'exploitation minière et de la minéralurgie.

Notre premier projet pilote d'hydrotransport à l'échelle commerciale a vu le jour en octobre 1993, et nous l'avons intégré dans notre développement de puits de mine suivant en 1997. Nous avons présenté la technologie d'hydrotransport au reste de l'industrie, et elle est devenue la base de toutes les activités des exploitations à ciel ouvert dans le secteur des sables bitumineux. Ceci a totalement changé la donne.

Comme pour toutes les nouvelles technologies, il faut disposer d'un protocole pour évaluer le risque de chaque étape du développement, en plus de prendre le temps de déployer les efforts nécessaires pour l'intégrer en toute sécurité dans toutes les activités.

L'ICM : Pensez-vous que certaines des technologies développées actuellement ou déjà commercialisées mais pas encore utilisées dans le secteur minier puissent renforcer la sécurité à l'avenir ?

M. Winkel : L'industrie se tourne toujours vers les autres secteurs et mène ces propres activités de recherche et développement, mais en gardant le facteur de risque à l'esprit, et ce dès l'étape de la conception. Lorsque les risques sont trop grands, il vaut mieux refuser et attendre que de meilleures solutions soient développées. L'industrie partage aussi des informations dans le monde entier par le biais de forums tels que la Surface Mining Association for Research and Technology [SMART, l'association des exploitations à ciel ouvert pour la recherche et la technologie]. Le matériel d'exploitation minière automatisé, la réduction des vibrations, la prévention des collisions et les systèmes de surveillance de la fatigue font partie des nouvelles technologies d'aide technique envisagées pour assurer la sécurité.

L'ICM : Le secteur des sables bitumineux attire des milliers d'employés du monde entier. Comment peut-on concevoir et mettre en œuvre des programmes de santé et de sécurité pour une main-d'œuvre si diversifiée ?

M. Winkel : Les personnes issues de cultures différentes faisaient peut-être les choses différemment dans le passé, aussi il est de notre responsabilité de les soutenir en leur proposant la formation la meilleure et la plus récente sur les pratiques de gestion des risques sur le lieu de travail. Il est important pour les employé(e)s de savoir que la société pour laquelle ils/elles travaillent est sensible à la question de la sécurité. Mais la sécurité ne se limite pas à la formation ou aux meilleures pratiques. Elle doit être inculquée en tant que valeur primordiale et comme impératif dépassant tout autre objectif. Ceci implique que les dirigeants s'y dévouent, et que les employé(e)s s'y engagent afin de devenir des chefs de file en matière de sécurité à tous les niveaux de l'organisation.

L'ICM : Le « facteur humain » est souvent mis en cause dans les accidents liés à la sécurité, même lorsque des programmes de formation à la sécurité existent. Quelle place occupent les politiques relatives à la consommation d'alcool et de drogue et les autres types d'initiatives visant à réduire l'erreur humaine sur le lieu de travail ?

M. Winkel : Nous devons faire preuve d'une grande prudence quant à la façon dont nous appréhendons le facteur humain et humblement reconnaître que personne n'est parfait. Des erreurs de jugement peuvent se produire. Il existe de bons systèmes de sécurité qui prennent en compte ces facteurs et fonctionnent bien lorsqu'une approche d'équipe est adoptée, une approche où les personnes sont impliquées, à savoir s'observent et veillent les unes sur les autres.

L'ICM : Pensez-vous que l'industrie, les établissements d'enseignement et les agences gouvernementales doivent davantage collaborer pour assurer la mise en application des meilleures pratiques en matière de santé et sécurité ?

M. Winkel : La collaboration est relativement bonne à l'heure actuelle, et de nouvelles opportunités voient le jour grâce à l'Internet et à d'autres technologies de mise en réseau. Il est également désormais possible d'impliquer davantage les petites sociétés et les sous-traitants pour développer chez eux cette culture de collaboration.

Traduit par : Karen Rolland