De gauche à droite : Michael Agnew, Philip Mackey, Jean-François Turgeon, Nils Voermann et le président de la conférence COM 2014 Boyd Davis | Avec l'aimable autorisation de MetSoc de l'ICM

Un débat convivial bien que crucial a eu lieu lors de la discussion en plénière à l'occasion de la récente conférence des métallurgistes 2014, qui s'est tenue à Vancouver du 28 septembre au 1er octobre dernier. Quatre experts de l'industrie métallurgique ont abordé la question de savoir s'il valait mieux pour l'industrie qu'elle s'efforce d'atteindre l'excellence opérationnelle (en effectuant de petites modifications au niveau de la conception des usines et des procédés) ou qu'elle procède à des changements technologiques progressifs.

Comme l'indiquait dans son discours d'ouverture Boyd Davis, président de la conférence et responsable du débat à la COM 2014 (et également président de Kingston Process Metallurgy Inc.), « cette question est particulièrement d'actualité étant donné le nombre de grands projets d'immobilisations qui ont connu des dépassements de budget importants ces dix dernières années ». Ce phénomène, faisait-il remarquer, a incité les sociétés à chercher des solutions en interne pour augmenter leurs recettes en procédant à des améliorations opérationnelles et non pas à investir dans des projets d'immobilisations ou de nouvelles technologies. Mais quel impact cette réaction aura-t-elle sur la réussite à long terme de l'industrie ?

Nils Voermann, directeur général à l'échelle mondiale des technologies chez Hatch, et Jean-François Turgeon, premier vice-président de Tronox, ont insisté sur la valeur des changements technologiques progressifs. Quant à l'excellence opérationnelle, ce sont Phillip Mackey, président de P.J. Mackey Technology, et Michael Agnew, directeur chez Michael Agnew Inc., qui ont plaidé en sa faveur.

Où les sociétés doivent-elles placer leur argent ? Décidez par vous-même en lisant les arguments évoqués lors du débat.

Amélioration des performances

Changement progressif : les partisans des changements technologiques progressifs ne sont pas fondamentalement contre l'idée de l'excellence opérationnelle, mais ils estiment qu'elle est limitée dans ce qu'elle permet d'atteindre. « Seules les nouvelles technologies permettront un changement progressif en termes de productivité et de performance financière ou environnementale », indique M. Voermann.

Excellence opérationnelle : MM. Mackey et Agnew reconnaissent que les grandes avancées en matière de performance nécessitent de nouveaux gadgets, mais font remarquer qu'une usine mal gérée n'est, quoi qu'il en soit, pas en mesure de tenter d'utiliser une nouvelle technologie. « L'excellence opérationnelle est la condition sine qua non à l'évaluation des options avant de procéder à des changements », peut-on lire sur l'une des diapositives de M. Mackey. « Elle a au moins le mérite de nous offrir une base solide nous permettant d'évaluer les options, et elle est essentielle à la mise en œuvre en douceur des changements », ajoute M. Agnew.

Environnement compétitif

Changement progressif : « Nos collègues d'Extrême-Orient sont bien moins effrayés par les nouvelles technologies ; ils tentent de nouvelles expériences, et si elles n'aboutissent pas, ils essaient de les arranger et poursuivent leur chemin », explique M. Voermann. « Nous évoluons dans un environnement compétitif, aussi nous devons penser à ce que les autres font et nous assurer que nous sommes à la pointe de la technologie. »

Excellence opérationnelle : L'absence de changements progressifs n'est pas ce qui retient de nombreux exploitants. Les usines doivent renouveler leurs actifs bien avant de procéder à ces changements, explique M. Mackey. Il est tout aussi important, fait-il remarquer, de renouveler les qualifications des employés. « Il est décevant de constater que certains des nouveaux propriétaires d'usines au Canada ne voient pas même l'intérêt d'envoyer leurs exploitants aux conférences du secteur. »

Contraintes de temps

Excellence opérationnelle : Le calendrier précédant le développement est important, indique M. Agnew. « Dans une industrie cyclique telle que la nôtre, il est difficile de maintenir une initiative [par exemple, accélérer le développement technologique] sur 10 ou 20 ans. » Si les nouvelles technologies finissent par aboutir, leur exploitation peut prendre beaucoup de temps. L'amélioration de l'excellence opérationnelle, d'autre part, suit un ensemble relativement simple de lignes directrices et de principes qui peuvent être mis en œuvre à un coût minime et pratiquement immédiatement. « En tant qu'actionnaire, vous seriez sans doute ravi(e) de lire dans le rapport annuel que les résultats avant intérêts, impôts et amortissements de votre société ont augmenté grâce à des améliorations opérationnelles à l'usine et à de plus grandes capacités », indique M. Mackey. « Vous obtenez votre dividende, et le prix de l'action augmente. »

Changement progressif : « Nos activités sont cycliques », reconnaît M. Turgeon, « mais il faut bien se garder de réduire le budget de la R&D lorsque l'on touche le fond du cycle. » Tout en haut du cycle, explique-t-il, lorsque l'on dispose des fonds nécessaires, on ne peut pas tout à coup dépenser davantage en R&D et s'attendre à un rendement proportionnel du capital investi. « Mieux vaut investir avec une base stable dans la R&D. Si l'on dépense l'intégralité alors que l'on se trouve dans un cycle baissier, ce sont nos activités qui en pâtissent. C'est difficile bien entendu, mais pour réussir dans nos activités, il faut y croire. » Le fait est qu'il faut du temps pour mettre en œuvre et maîtriser les nouvelles technologies, indique M. Voermann, ajoutant que « si l'on souhaite être opérationnel dans 10 ans, il faut s'y prendre dès maintenant ».

Risques

Excellence opérationnelle : La principale raison pour laquelle les sociétés hésitent à investir dans les nouvelles technologies concerne le risque d'échouer après avoir dépensé des millions de dollars dans un projet de recherche aberrant. « Certaines personnes s'émerveillent sur la chimie ou l'aspect physique de certaines choses », fait remarquer M. Davis, « mais elles passent trop de temps à se concentrer sur ce seul élément sans envisager suffisamment tôt la situation dans son ensemble. »

Changement progressif : Comme l'explique M. Voermann, les gens ont peur des calendriers longs et incertains, des dépassements de budget et de l'incertitude quant aux avantages. « On peut cependant gérer les risques », ajoute-t-il. Si l'on se penche sur les résultats de chaque projet, explique-t-il, les données montrent l'importance d'atténuer les risques, mais ne préconisent pas d'éviter les nouvelles technologies. « Les risques et les récompenses doivent être égaux, mais si l'on se contente de supposer que tous les risques peuvent être évités, il y a de fortes chances que l'on se retrouve figé avec une technologie vieille d'un siècle », prétend-il. M. Turgeon explique qu'une bonne gestion de projet, telle que celle consistant à employer une approche de type « stage-gate » (à savoir une approche à étapes séparées par des portes), peut contribuer à s'assurer que l'argent est dépensé à bon escient.

Gestion du talent

Excellence opérationnelle : Parvenir à attirer et à conserver un personnel qualifié fait partie des éléments les plus importants pour atteindre l'excellence opérationnelle, explique M. Mackey, qui s'est récemment rendu sur le site de plusieurs usines dans le monde et expose aujourd'hui ses résultats. Il explique que le maintien d'un haut niveau de qualification, la modernisation des équipements anciens et les vérifications de la consommation d'énergie peuvent contribuer à minimiser les coûts à long terme et à optimiser le facteur d'exploitation d'une usine.

Changement progressif : L'usine de pigments de Tronox implantée à Hamilton, dans le Mississipi, fait déjà partie des usines affichant les coûts d'exploitation les plus bas, mais la société cherche à améliorer ses performances. Comme l'explique M. Turgeon, la société se prépare à l'avenir en mettant de côté une petite équipe permanente qui se concentrera sur les changements progressifs. « Que peut-on faire différemment pour réellement changer la dynamique et la situation de l'installation, et s'assurer que l'usine sera encore opérationnelle dans 10 ans ? »

En conclusion

Les quatre experts s'accordent à dire qu'il faut trouver un équilibre entre les deux stratégies. « On pourrait penser que l'excellence opérationnelle est la solution par défaut et se produit d'elle même sans que l'on ne fasse rien », indique M. Agnew. « Ce n'est pas le cas. Il faut travailler dur pour l'atteindre. » Mais, ajoute M. Mackey, « la solution intelligente consisterait à [également] mener des travaux de R&D ». Il espère que le climat dans l'industrie oscillera de nouveau vers le renouvellement des investissements dans la R&D. Si ce n'est pas le cas, il craint que les usines du monde occidental ne ferment leurs portes car les sociétés perdront du terrain face à leurs concurrents internationaux.

Les débatteurs étaient également du même avis quant au modèle de financement parfait de la recherche et optaient pour des initiatives conjointes entre l'industrie et le gouvernement. « Le gouvernement a récemment constaté que la recherche et les travaux précurseurs en matière de technologie constituent un avantage concurrentiel pour le Canada, et qu'une partie des impôts que paient les sociétés minières pourraient être réinvestis dans ce domaine », indique M. Voermann. « Toutefois, si le gouvernement les finance seul, on peut facilement s'égarer. Inciter l'industrie à s'investir est un bon moyen d'y parvenir. »

Traduit par Karen Rolland