Peter Winterburn

Spécialiste en géochimie prospectrice, Peter Winterburn mène des travaux révolutionnaires pour découvrir la façon dont la génomique pourrait rendre plus simple et économique la prospection minérale. M. Winterburn travaille actuellement avec l'unité de recherche sur les gisements minéraux de l'université de la Colombie-Britannique (UBC) et s'appuie sur ses années d'expérience en géochimie acquise en Afrique, en Australasie et en Amérique du Sud (notamment lors de sa collaboration avec Anglo American et Vale) pour explorer l'impact que peut avoir la minéralisation très profonde sur l'ADN et l'ARN des bactéries de surface. Il souhaite parvenir à mettre au point un appareil portatif permettant d'échantillonner génétiquement le sol sur le terrain, offrant ainsi des renseignements importants avant de lancer des programmes de forage coûteux.

L'ICM : Comment s'est développé votre intérêt pour le secteur minier ?

M. Winterburn : Comme de nombreux géologues, tout a commencé par un passe-temps. Je suis originaire du Yorkshire du Sud, en Angleterre ; cette région renferme du calcaire de l'ère du Jurassique, riche en fossiles. Lorsque je suis parti à l'université, j'ai eu le choix entre la chimie et la géologie. En réalité, c'est la chimie que je préférais, mais l'idée de travailler en extérieur plutôt que d'être enfermé dans un laboratoire m'attirait beaucoup plus. Ainsi, j'ai opté pour la géologie, sans pour autant avoir délaissé la chimie.

L'ICM : En quoi consiste votre poste à l'UBC, et en quoi diffère-t-il de votre carrière passée avec de grandes sociétés ?

M. Winterburn : J'occupe une chaire de recherche en géochimie prospectrice. [À l'UBC], j'ai cette grande chance d'avoir le budget suffisant pour appliquer la science aux problèmes dont j'étais conscient depuis des années mais que je ne pouvais tester par manque de financement. Actuellement, j'ai à ma disposition un budget important octroyé par Bureau Veritas, Acme Labs et le conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) ; ceci me permet de créer des programmes de recherche pour réellement aller tester les concepts sur le terrain, notamment certaines de ces idées tirées par les cheveux quant à la façon dont on peut trouver des minéraux. En outre, je peux proposer des possibilités de formation aux futurs géochimistes, un domaine dans lequel la demande dépasse largement l'offre.

L'ICM : Pouvez-vous nous expliquer comment exploiter la génomique pour l'exploration minérale ?

M. Winterburn : Les bactéries font partie des géochimistes les plus brillants au monde, et elles n'existent que dans des niches écologiques spécifiques. Une bactérie peut très bien se développer dans un environnement donné, mais pas dans un autre. Ces bactéries peuvent aussi muter rapidement pour occuper des niches écologiques particulières, aussi les moindres changements [dans l'environnement] pourraient bien empêcher un type de bactérie de vivre dans cet environnement, ou c'est une version mutée de cette même bactérie qui s'installera dans cette niche. Parfois, les changements peuvent être aussi simples que l'activation de certains gènes dans l'ADN/ARN d'une bactérie, qui lui permettra d'occuper un environnement spécifique en évolution. Ainsi, nous nous penchons sur les changements génétiques qui indiquent qu'elles survivent dans un environnement différent. Le niveau de changement que nous recherchons est si infime que l'on ne pourrait pas le détecter à l'aide d'outils géochimiques classiques.

L'ICM : L'étude des bactéries pour explorer les minéraux est-elle un nouveau domaine de recherche ?

M. Winterburn : Autant que je sache, à l'UBC, Sean Crowe du centre des sciences du vivant et moi-même sommes les premiers à explorer cette méthode à l'aide des technologies à notre disposition. Au milieu des années 1960 et dans les années 1970 et 1980, des chercheurs des États-Unis, d'Australie et du Canada avaient procédé à l'échantillonnage de corps minéralisés exposés en étudiant des bactéries spécifiques, et ils avaient observé des changements au sein des populations de bactéries. Traditionnellement, la plupart de ces travaux étaient effectués dans des boîte de pétri, et il fallait attendre plusieurs jours pour voir les résultats de l'échantillonnage qui provenait des corps minéralisés exposés. Aujourd'hui, nous nous penchons davantage sur l'exploration des environnements dans lesquels des corps minéralisés sont enterrés sous les matériaux transportés. Grâce aux techniques modernes de séquençage, il n'est pas nécessaire de cultiver quoi que ce soit en laboratoire ; on peut directement prélever dans le sol et séquencer les gènes, ce qui nous permet d'identifier les changements qui se produisent au-dessus de la minéralisation. Enfin, il faudra vérifier que ces changements ne se produisent qu'au-dessus de la minéralisation. L'un des inconvénients de la génomique est qu'elle génère des quantités astronomiques d'ensembles de données, aussi il faut absolument avoir la puissance informatique et statistique nécessaire pour analyser ces données. Tout comme le prix des analyses génomiques a baissé au cours des dix dernières années, la capacité à travailler avec ces ensembles colossaux de données et à les manipuler statistiquement s'est améliorée à un rythme phénoménal. L'aboutissement serait cependant de développer un appareil portable qui permet de chercher des gènes très spécifiques.

L'ICM : Si je comprends bien, vous procédez à l'échantillonnage des bactéries en surface. Envisagez-vous également le forage et l'analyse des bactéries dans les carottes ?

M. Winterburn : Nous nous penchons principalement sur l'échantillonnage en surface. Le forage est coûteux, il faut obtenir des permis, construire des routes d'accès et le [forage] en lui-même est invasif pour l'environnement. Avec l'échantillonnage en surface, il suffit de se déplacer sur le terrain, de creuser un trou peu profond environ tous les 50 mètres et de prélever un échantillon.

L'ICM : Que devront prouver vos recherches avant que ces outils génomiques ne puissent être utilisés en toute fiabilité dans l'exploration ?

M. Winterburn : Nous menons actuellement un exercice de validation de principe. Dans le cadre de nos programmes de recherche en cours, nous avons collecté des échantillons qui ont été placés dans des congélateurs à -80°C. Nous soumettrons ces échantillons au système de séquençage afin de comprendre le type de réponses que nous allons obtenir. Nous donnerons cette validation de principe à l'industrie dans la perspective d'obtenir un financement supplémentaire, puis nous étendrons nos recherches à proprement parler à une plus grande variété de gisements. Ceci nous permettra de déterminer si [les résultats] sont spécifiques aux gisements que nous avons testés, ou s'ils peuvent être appliqués plus largement comme outil d'exploration. Nous éviterons ainsi l'un des inconvénients de la plupart des travaux de recherche en géochimie effectués jusqu'ici sur les gisements enfouis. Souvent, on constate qu'une étude d'orientation menée sur un seul gisement produit des résultats intéressants ; on en parle beaucoup, mais la technique utilisée se révèle n'être compatible qu'avec ce gisement spécifique.

L'ICM : Les échantillons en attente d'être analysés ont-ils été prélevés partout dans le monde ? 

M. Winterburn : Nous disposons d'échantillons d'un énorme gisement de minerai de sulfures massifs volcanogènes (SMV) de l'île de Vancouver, de porphyres cuprifères de la Highland Valley et de Woodjam dans le centre de la Colombie-Britannique, de kimberlite des Territoires du Nord-Ouest (ce qui est intéressant sachant que cette province est recouverte d'un pergélisol et qu'aucun arbre ne contribue donc à la mobilité des éléments), ainsi que d'échantillons d'une zone très aride et extrêmement saline du désert d'Atacama dans le nord du Chili. Toutes ces zones sont couvertes par un terrain de recouvrement récent.

L'ICM : Ainsi, à l'avenir, une société d'exploration minière pourrait mener une analyse génomique des échantillons de surface dans des zones qu'elle considère déjà prometteuses ?

M. Winterburn : En effet. Le concept sur lequel nous travaillons actuellement est l'évaluation des objectifs. Une fois que l'on a sélectionné la zone d'intérêt, à partir notamment d'observations géophysiques ou géologiques, on peut recueillir des échantillons de sol sur toute la surface. La différence est que l'on n'enverra plus ces échantillons au laboratoire. Notre idée est que l'on puisse identifier des changements très caractéristiques ou un gène activé dans l'ADN/ARN, puis développer un capteur qui sera très spécifique à ces gènes en particulier. L'appareil rentrerait dans la paume de la main, et il suffirait alors de prélever un échantillon du sol et d'en extraire l'ADN. Vous connaissez les petites trousses de dosage du diabète ? L'appareil ressemblerait à cela. Il suffirait de prélever un peu de solution de l'extrait d'ADN/ARN, de la placer dans l'appareil, lequel nous dirait si ces gènes spécifiques sont présents ou non dans l'échantillon.

L'ICM : En fonction de leur présence ou absence, on pourrait donc obtenir les informations nécessaires pour procéder à un examen plus poussé du site, comme on le fait avec le forage ? 

M. Winterburn : Tout à fait. Pour moi, toutes les étapes de l'exploration consistent en des informations que l'on recueille et qui viennent s'ajouter à une autre strate d'éléments nous aidant à prendre une décision éclairée. La plus grosse erreur que font les sociétés dans l'exploration est qu'elles se concentrent sur une information spécifique et procèdent immédiatement au forage, sans forcément qu'il n'aboutisse. Avec plusieurs éléments en main, on pourra être plus confiants et ainsi prendre une décision plus éclairée quant à la nécessité de forer ou de simplement passer notre chemin.

L'ICM : À quel moment pensez-vous que cet appareil sera prêt pour procéder à ce genre d'essais sur le terrain ?

M. Winterburn : En étant optimiste, je dirais que l'appareil pourrait être utilisé d'ici trois à cinq ans pour l'extraction et l'analyse ; bien évidemment, cela dépendra des résultats de nos recherches.