Champion a profité de l’occasion pour compléter plusieurs projets initiés par le propriétaire précédent, notamment un convoyeur de 3.5 km pour transporter le minerai vers l’usine. Avec l’aimable autorisation de Champion Iron

B

ien que ses concurrents ne s’en soient pas rendu compte, la société australienne d’exploitation de minerai de fer Champion Iron savait qu’elle faisait le bon choix en rachetant la mine du Lac Bloom au Québec.

D’après les résultats du troisième trimestre de l’exercice financier 2019 publiés par la société, la mine du Lac Bloom a, depuis le début de ses activités en février 2018, extrait plus de 14 millions de tonnes métriques humides (tmh) de minerai de fer à haute teneur, a considérablement réduit ses coûts de production et ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) et a réalisé des revenus de plus de 472 millions de dollars canadiens.

La destinée de la mine du Lac Bloom n’a cependant pas toujours été aussi radieuse. Il aura fallu trois propriétaires, un agrandissement non achevé et plusieurs milliards de dollars d’investissement pour que ce vilain petit canard se transforme en un beau cygne.

C’est pendant la période faste de l’essor du minerai de fer à la fin des années 2000, lorsque le prix moyen du minerai avoisinait les 112 dollars américains la tonne, que la société Consolidated Thompson a construit la mine du Lac Bloom, au nord de Fermont, au Québec, pour la somme de 1,2 milliard de dollars américains. En mai 2011, la mine est rachetée à 75 % par Cleveland-Cliffs, qui s’appelait à l’époque Cliffs Natural Resources, pour la somme de 4,9 milliards de dollars canadiens, dans l’objectif de doubler la capacité de traitement du minerai dans le cadre d’un projet d’agrandissement.

Cet agrandissement, qui a requis un capital supplémentaire de 1,6 milliard de dollars américains comme l’avait initialement prévu Cliffs, devenait cependant moins attrayant à mesure que le prix du minerai de fer déclinait. Accablé de dettes et d’un engagement ferme en matière d’expédition du minerai, et après avoir injecté 1,2 milliard de dollars américains supplémentaires dans son projet d’agrandissement, Cliffs place la mine du Lac Bloom en mode de soins et maintenance à la fin de l’année 2014 alors qu’elle essaie de trouver un acheteur.

Enfin, en décembre 2015, Minerai de fer Québec, une filiale détenue par Champion Iron, annonce le rachat de la mine pour la somme très modeste de 9,75 millions de dollars canadiens. D’après la société, le prix du minerai de fer le jour de l’annonce du rachat se situe à 39 dollars américains la tonne. Après la publication de la première étude de faisabilité de Minerai de fer Québec en mars 2017, Lac Bloom recommence officiellement la production moins d’un an plus tard, dans les délais et selon le budget prévus.

D’après David Cataford, président-directeur général, si le bas prix de l’exploitation était indéniablement intéressant, cela représentait un avantage bienvenu pour cette mine qui offrait un approvisionnement séduisant en minerai à haute teneur constitué à 66,2 % de fer.

« On a observé quelques itérations [de l’achat] et le marché empirait à chaque fois… mais on ne se serait jamais douté, ou du moins pas au début, que le projet se vendrait pour 9,75 millions de dollars », indiquait M. Cataford. « Le recul est une chose fabuleuse, mais lorsqu’on repense à 2014 ou 2015, rien ne laissait envisager que ce projet se vende à un prix aussi bas. »

Sur la vague de la haute teneur

« Ce n’était pas seulement Lac Bloom, mais la fosse du Labrador en général. C’est la haute teneur du minerai de fer dans la fosse qui a attiré Michael O’Keeffe [le président-directeur général de Champion à l’époque] », déclarait M. Cataford. M. O’Keeffe, ancien directeur exécutif de Glencore Australie et président de la société d’exploitation de minerai de fer australienne Mamba Minerals, est devenu président exécutif à Champion après la fusion des deux sociétés en 2013. En octobre 2014, il a été nommé président-directeur général de Champion Iron.

Si le prix des matières premières en général a décliné au cours de l’année qui s’est écoulée, le minerai de fer à haute teneur est vendu au prix fort par rapport au minerai à teneur normale en fer de 62 % ; d’après le groupe de veille économique CRU Group, ce prix fort est de l’ordre de 20 à 30 % de plus que le prix habituel. On peut largement attribuer cela aux réglementations récentes de la Chine en matière d’environnement, qui ont eu des répercussions importantes sur les producteurs d’acier du pays. Le fer à haute teneur est plus propre et peut plus facilement être transformé en acier ; la demande en minerai de fer émanant de la Chine a considérablement augmenté.

L’opération de Bloom Lake comprend un tronçon ferroviaire de 32 km relié aux voies ferrées de la Côte-Nord du Québec et de Labrador à Wabush, au Labrador. Avec l’aimable autorisation de Champion Iron

D’après M. Cataford, les concurrents de Champion n’ont pas compris la valeur que pouvait avoir le fer à haute teneur à l’époque. Au contraire, lorsqu’elles ont envisagé l’acquisition du Lac Bloom, toutes les autres parties intéressées ne voyaient que l’achèvement de l’agrandissement non terminé de la Phase 2 qui nécessiterait un investissement de 600 à 700 millions de dollars, et la plupart s’attendaient à ce que le prix du fer ne dépasse pas les 40 dollars américains la tonne.

« La plupart des parties qui envisageaient ce projet n’y voyaient pas d’intérêt, aussi nos seuls concurrents réels étaient des sociétés de démantèlement, qui cherchaient à acheter l’équipement minier pour le revendre », indiquait M. Cataford.

Plutôt que de se lancer dans le projet d’agrandissement prévu par Cliffs, Champion a adopté une approche différente. Ayant en effet effectué de grands changements à la mine au niveau opérationnel, la plupart des modifications consistaient à suivre l’investissement de ses prédécesseurs, profitant des milliards de dollars déjà injectés par Consolidated Thompson et Cliffs pour ramener la mine à l’état où elle se trouvait initialement.

Le premier changement important concernait la décision de ne pas agrandir la zone totale de la mine et de se concentrer sur les sections du gisement où les stériles avaient déjà été enlevés et qui étaient prêtes à l’exploitation.

« Notre prédécesseur avait déjà enlevé les stériles dans pratiquement toute la mine ; ainsi, les coûts de 2013 et 2014 liés aux activités minières étaient relativement élevés, mais ne reflétaient pas une situation permanente », indiquait M. Cataford. « Les premiers retraits de stériles ayant été faits, [Champion] a pu réduire ses coûts d’exploitation minière. »

Champion a également réduit le ratio de recouvrement à 0,5 par rapport au ratio précédent de 1,5 lorsqu’elle était sous la direction de Cliffs. D’après M. Cataford, ce changement a redonné une espérance de vie de 20 ans à la mine du Lac Bloom, tout en réduisant les coûts de production.

Ces améliorations ont porté fruit. D’après les résultats financiers publiés par Cliffs, leur quatrième trimestre 2014 – le dernier trimestre durant lequel la mine était exploitée avant l‘arrêt des activités – avait atteint des coûts de production de 81,19 dollars américains la tonne. Sous la direction de Champion, ces coûts ont diminué de plus de la moitié, atteignant un coût décaissé de 37,60 dollars américains par tonne métrique sèche (tms) selon les plus récents résultats financiers publiés.

La dernière étape

Les autres changements mis en œuvre par Champion ont également contribué au renouveau de Lac Bloom. D’après M. Cataford, Consolidated Thompson a choisi un circuit de séparation en spirale pour le concentrateur spécialement conçu pour les sables minéralisés. S’il fonctionnait bien initialement, l’efficacité du circuit de récupération a peu à peu diminué ; à cela se sont ajoutés des problèmes de fournisseurs, et Champion a dû procéder à des changements.

« Lorsque Consolidated Thompson a choisi ces circuits de séparation en spirale… ils fonctionnaient très bien, mais le gros problème est que le minerai de fer est très abrasif. Ainsi, à mesure que les années avançaient, ils se détérioraient très rapidement, et ils n’étaient pas conçus pour être remis en état », expliquait M. Cataford. « Le fournisseur de ces spirales a arrêté de les fabriquer, et il n’y avait aucun soutien de ce côté-là non plus. La récupération de fer au Lac Bloom, qui était initialement d’environ 80 %, a chuté à 68 %. » D’après M. Cataford, le coût n’était pas le seul problème ; en effet, Cliffs avait un engagement « d’achat ferme » dans certains de ses contrats, entraînant une importante charge sur ses activités.

Comme l’indiquait M. Cataford, le remplacement de ces spirales par d’autres plus adaptées au minerai que la société traite a permis au Lac Bloom de retrouver des taux de récupération d’environ 81 %.

Les travailleurs se sont rassemblés le jour où la mine a redémarré en février 2018. L’opération emploie actuellement 450 personnes. Avec l’aimable autorisation de Champion Iron

La méthode visant à transporter le minerai jusqu’au concentrateur a également été améliorée. Cliffs avait presque terminé l’installation d’un convoyeur à courroie de 3,5 kilomètres pour acheminer le minerai jusqu’à l’usine de concentration, mais il était requis d’ajouter un abri anti poussière pour se conformer aux réglementations environnementales. Pour Champion, la solution était évidente.

« C’était un projet simple pour Champion que de construire cet abri nous permettant d’exploiter l’équipement, et nous l’utilisons depuis », indiquait M. Cataford. « Ces améliorations nous permettent d’éliminer environ deux camions dans le parc minier. Ce n’est pas négligeable lorsqu’on utilise huit camions ; cela représente une réduction de 25 % des camions dont nous avons besoin. »

La capacité nominale annuelle de Lac Bloom est de 7,4 millions de tonnes de concentré, qui sont chargées dans des wagons puis envoyées dans un port à Sept-Îles, au Québec.

Cliffs avait également terminé la construction d’une série de digues de retenue et de système de pompage qui permettaient de pomper les résidus miniers plutôt que de les transporter dans le parc à résidus par camion.

« Ils avaient presque achevé le projet ; il nous fallait investir environ 25 millions de dollars pour finaliser les travaux, mais depuis, nous acheminons les résidus par pompage plutôt que par camion », indiquait M. Cataford. « Ce n’est pas de chance pour les entrepreneurs civils pour qui ce projet représentait une bonne affaire, mais c’est une très bonne nouvelle pour nous en termes de coûts d’exploitation, car cela nous a permis de réduire le coût de la manutention des résidus d’environ 2,50 dollars par tonne. » D’après Champion, cela représente une baisse de 45 % des coûts de manutention.

En plus de réduire les coûts d’exploitation, ces projets, associés à l’installation d’une chaudière électrique de 22 mégawatts pour remplacer les chaudières fonctionnant au diesel sur le site, ont permis à Champion de réduire ses émissions de CO2 de 40 %, par rapport à celles de 2014, ajoutait M. Cataford. Seulement 16 heures après la remise en service de l’usine en février dernier, Lac Bloom produisait du minerai de fer vendable. Au mois d’octobre dernier, la mine avait dépassé sa capacité nominale.

Aujourd’hui, Champion produit du minerai de fer à haute teneur pour un coût décaissé comptant total de moins de 40 dollars américains la tonne une fois qu’il est expédié de Sept-Îles (franco à bord).

Puisque la mine, qui emploie environ 450 personnes, était conçue pour extraire et expédier profitablement au prix de 55 dollars américains la tonne, Champion envisage déjà un agrandissement possible qui visera à doubler la production actuelle en terminant les projets d’investissement amorcés par Cliffs, en procédant notamment à de nombreuses améliorations et en achevant l’installation d’un second concentrateur déjà sur le site. La société a commencé une seconde étude de faisabilité en juin 2018, et devrait révéler les résultats en juin cette année.

« Nous sommes fiers de nos résultats. Notre main-d’œuvre est exceptionnelle, nous avons la grande chance de travailler avec des employés qui avaient confiance en nous avant même que nous ne commencions les activités, et qui ont décidé de rejoindre l’équipe du Lac Bloom pour assurer son succès », déclarait M. Cataford. « Tous ensemble, nous avons travaillé très fort avec nos partenaires, et je pense que tout le monde est aujourd’hui satisfait des résultats. »