Depuis les années 1970, les sociétés minières ont manifesté un intérêt pour l’extraction de minéraux au fond de l’océan Pacifique. Malgré l’abondance de métaux dignes d’intérêt qu’on peut y trouver, l’extraction rentable dans les océans est une énorme tâche. Pourtant, l’Allemagne, dans une tentative d’accès à des matières minérales clés, a fait d’énormes efforts pour trouver l’emplacement de ces minéraux et le moyen d’en faire l’extraction.

Plus tôt cette année, Dennis Kraemer et Charlotte Kleint, doctorants à l’université Jacobs en Allemagne, ont publié un exposé détaillant une méthode d’extraction des métaux comme le lithium et le molybdène à partir de nodules de ferromanganèse, au moyen d’applications de haute technologie. Les nodules – des sphères de minéraux comprenant du fer, du manganèse, du cuivre, du nickel et du cobalt et qui mesurent de 2 à 15 centimètres de diamètre – existent en grappes dispersées dans les océans de la planète, mais ils sont particulièrement abondants et riches en métaux dignes d’intérêt dans la région nord-est du Pacifique, connue sous le nom de zone Clarion Clipperton. Située entre Hawaï et le Mexique, cette région représente environ cinq millions de kilomètres carrés et regorge de nodules à des profondeurs d’environ 5 000 mètres. Ce sont ces nodules qui attirent l’attention de Dennis Kraemer.

À l’aide de la méthode de lixiviation sélective, Dennis Kraemer et ses collègues ont pu extraire de nodules trouvés dans la zone Clarion Clipperton jusqu’à 80 pour cent du lithium et de 50 à 80 % d’autres éléments comme le molybdène, le tungstène, le niobium et le tantale. « Cela ouvre la porte à la possibilité de l’extraction sélective de certains métaux de haute technologie contenus dans les nodules et les croûtes de ferromanganèse avant l’affinage conventionnel des métaux de base », a-t-il expliqué. « C’est tout à fait nouveau. »

La méthode de Dennis Kraemer retient les principaux éléments qui forment la quasi-totalité du nodule; moins de 10 pour cent des composants de manganèse et de fer sont dissous, ce qui veut dire que les sociétés minières seraient encore capables de les récupérer.

« Lorsque vous faites l’extraction du minerai, vous pouvez habituellement extraire certains métaux et jeter le reste », a déclaré Dennis Kraemer. « Toutefois, si le reste contient beaucoup de métaux précieux, il vaut également la peine de les extraire, de les affiner et de les vendre, ce qui aurait pour effet de réduire les coûts d’exploitation en raison des revenus supplémentaires provenant de la vente des sous-produits. »

Le coffre aux trésors de l’Allemagne

Si la méthode de Dennis Kraemer est un jour commercialisée, il faudra faire des avancées dans l’exploration et la compréhension des nodules de la zone Clarion Clipperton, ce à quoi travaillent ses compatriotes allemands. En juin, Carsten Ruehlemann, chef de projet pour l’exploration des nodules de manganèses à l’institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles de l’Allemagne (le BGR) était de retour d’un voyage d’exploration de sept semaines dans la zone Clarion Clipperton, son sixième voyage depuis 2008. Au cours de ces voyages, Carsten Ruehlemann et ses collègues ont tenté de déterminer la taille et l’abondance des nodules dans deux zones hautement prospectives dans les secteurs d’exploration contractuels de l’Allemagne qui couvrent une superficie totale d’environ 3 500 kilomètres carrés.

À cette fin, ils ont développé une approche en trois volets, intégrant le son, les images et l’échantillonnage. Un système à faisceaux multiples envoie des ondes sonores sous le vaisseau de recherche océanique et enregistre le temps que met le signal acoustique pour atteindre le fond océanique et revenir. En outre, lorsque le signal revient, le système enregistre le volume sonore, appelé la rétrodiffusion. Combinée à la cartographie du fond océanique en vidéo et à un échantillonnage in situ, la méthode de rétrodiffusion permet au BGR de déterminer l’abondance et la taille des nodules.

Lors de l’expédition de juin, le BGR a exploré un champ d’extraction potentiel surtout composé de nodules de petite taille (de 2 à 5 cm de diamètre) couvrant environ 1 500 kilomètres carrés et contenant environ 30 millions de tonnes de nodules – poids humide. L’an dernier, le BGR a étudié un autre champ de nodules de dimension à peu près semblable et en aussi grande abondance, dans la région contractuelle est de l’Allemagne. D’après Carsten Ruehlemann, ces deux zones à elles seules contiennent environ 20 millions de tonnes de manganèse, 1,2 million de tonnes de nickel et un million de tonnes de cuivre, et elles pourraient supporter de 15 à 30 années d’exploitation minière en mer.

Répercussions globales

À ce jour, le BGR a exploré une partie relativement modeste de toute la zone Clarion Clipperton. La zone est divisée en 13 secteurs d’exploration sous la gouverne de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM); les secteurs sous licence sont négociés auprès de l’AIFM par des sociétés d’État et privées. Actuellement, le BGR est en négociation pour deux secteurs : l’un d’environ 56 000 kilomètres carrés et l’autre, d’environ 19 000 kilomètres carrés. Parmi les autres sociétés, on trouve Marawa Research and Exploration Ltd. (République de Kiribati), l’Association chinoise de recherche et de développement des ressources minérales sous-marines (Chine), la Société de développement des ressources sous-marines (Japon), le gouvernement de la Corée, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (France) et Nauru Ocean Resources Inc. (Nauru).

Il s’avère que les millions de nodules de ferromanganèse dispersés dans l’ensemble de la région contiennent des niveaux élevés de métaux de base : en moyenne 25 pour cent de manganèse et trois pour cent de cuivre, de nickel et de cobalt. Ils se sont formés sur une période de millions d’années dans les eaux environnantes par l’accumulation de manganèse et d’oxydes de fer autour d’un noyau, s’agglomérant à des substrats de pierre dure dans des eaux relativement froides.

Thomas Kuhn, un collègue de Carsten Ruehlemann au BGR, affirme que les quantités de manganèse, de nickel, de cobalt, de molybdène, d’yttrium et de tellure contenues dans les nodules de la zone Clarion Clipperton sont probablement plus importantes que les réserves terrestres actuelles. Il s’empresse toutefois d’ajouter que l’estimation des quantités est sujette à une plus grande marge d’erreur. « Ceci, parce que les quantités de nodules de la zone Clarion Clipperton peuvent être classifiées uniquement comme ressources, tandis que les quantités des gisements miniers sont classifiées comme des réserves », a-t-il précisé, ajoutant que les réserves terrestres peuvent faire l’objet d’extraction dans les conditions économiques et technologiques actuelles, ce qui n’est pas le cas des nodules sous-marins.

Cependant, selon Thomas Kuhn, la valeur des métaux retenus dans les nodules équivaut à des centaines de milliards de dollars. La quantité totale de nickel dans la zone Clarion Clipperton a une valeur estimée à 35,7 milliards $US, et pour le cuivre, de 15,6 milliards $US.

Thomas Kuhn considère que l’extraction des nodules de ferromanganèse aurait des répercussions sur le prix mondial des métaux. Si les activités d’extraction débutaient en même temps dans les 13 secteurs licenciés dans la zone Clarion Clipperton et que chaque secteur produisait deux millions de tonnes de minerai sec chaque année, il soutient que la quantité de manganèse accumulée représenterait 81 pour cent du marché mondial actuel et le cobalt produit, 45 pour cent. Le nickel, le métal le plus économique à exploiter parmi les métaux présents dans les nodules, représenterait 23 pour cent du marché mondial.

Prochaine étape

Dans le contexte actuel, le plus grand potentiel économique provient des fortes concentrations de manganèse, de nickel, de cobalt et de cuivre. Bien que la recherche de Dennis Kraemer suscite un certain espoir que l’extraction d’autres métaux présents dans les nodules s’avérera un jour viable, Thomas Kuhn, qui a conseillé Dennis Kraemer et ses collègues à propos de leur travail, considère que pour le moment, le processus est trop coûteux et incertain : « Actuellement, cette méthode est valable uniquement en laboratoire; on est loin d’une utilisation à une échelle industrielle. »

Le BGR a exploré ses secteurs licenciés depuis 2006 et il prévoit continuer de façon plus détaillée au cours des sept prochaines années. « Nous voulons déterminer un champ ou explorer un emplacement ou un site au cœur de ces grandes zones où l’extraction pourrait commencer et faire une exploration assez détaillée pour qu’une société minière puisse entrer en activité dès que nous aurons terminé », a déclaré Carsten Ruehlemann. « C’est la prochaine étape. »

Aker Solutions, un fournisseur norvégien de technologie travaillant surtout dans l’industrie pétrolière et gazière, a collaboré étroitement avec le BGR au développement d’un « concept d’extraction. » L’idée est d’avoir un véhicule robot chenillé pour faire la collecte des nodules de ferromanganèse au fond de l’océan. Les nodules seraient transportés dans des tuyaux flexibles remplis d’eau jusqu’au navire, où ils seraient stockés. Les nodules seraient ensuite transportés à terre pour être traités.

Le ministère de l’Économie de l’Allemagne est actuellement à lancer des appels d’offres auprès des sociétés minières prêtes à manifester leur intérêt. L’extraction n’est pas près de commencer, a déclaré Carsten Ruehlemann, ajoutant : « Je suis convaincu que ça n’arrivera pas avant une dizaine d’années. »

Ceux qui auront accès à la zone contractuelle de l’Allemagne devront investir massivement dans le projet; Carsten Ruehlemann estime qu’il faudra un investissement initial d’un milliard $US et que les frais d’exploitation se chiffreront à environ 200 millions $US par année.

Traduit par SDL