Des chercheurs de la SIU ont pu calculer le profil de la tension sur la longueur des boulons instrumentés. Avec l'aimable autorisation de Todd Kostecki

Tout système de soutènement minier sera soumis à une tension provoquée par les roches environnantes ; ainsi, en comprenant bien la direction et la force de cette tension, les sociétés minières pourront l'exploiter pour la construction souterraine et éviter d'être victimes de boulons pliés et de ruptures imprévisibles.

Une équipe de recherche de la Southern Illinois University (SIU, l'université du Sud de l'Illinois), en association avec Yielpoint Inc., a développé un nouvel outil de recherche pour étudier l'effet de la contrainte de cisaillement sur les boulons d'ancrage. Les chercheurs ont creusé trois créneaux le long des boulons, ont fait passer une longueur de câble à fibres optiques dans ces trois créneaux et ont analysé le comportement de la lumière lorsqu'une force est appliquée ; ils sont ainsi parvenus à calculer le profil de la tension sur la longueur de chaque boulon. Le suivi des essais dans deux mines de charbon de l'Illinois a montré que la technologie fonctionnait bien dans un environnement souterrain.

« Nous disposions de très peu d'appareils pour calculer les contraintes axiale et de cisaillement », déclarait Kashi Vishwanath Jessu, un étudiant diplômé qui participait au projet à la SIU en 2015 et est maintenant titulaire d'un doctorat de l'université Curtin, en Australie. Cette façon originale d'utiliser les fibres optiques dans un modèle à trois créneaux a été développée par l'équipe de recherche de la SIU en collaboration avec le fournisseur YieldPoint de Kingston, en Ontario. Todd Kostecki, candidat au doctorat à la SIU et Sam Spearing, à l'époque professeur agrégé en génie minier à la SIU et maintenant directeur par intérim de la Western Australia School of Mines (WASM, l'école des mines d'Australie-Occidentale) à l'université Curtin, étaient respectivement le principal étudiant diplômé et le chercheur principal du projet.

Jay Emery, ingénieur en chef de la mine South de Gibson County Coal qui faisait partie du projet, expliquait que l'estimation précise de la direction des tensions horizontales est essentielle à l'aménagement des mines. Parmi les ressources existantes figurent des données publiques sur le bassin de l'Illinois et une technologie antérieure de boulons instrumentés qui utilise des jauges extensométriques (ou extensomètres) résistantes discrètes. En revanche, indiquait-il, « les boulons à détection optique utilisés dans le cadre de cet essai donnent la possibilité de réunir des informations sans interruption sur toute la longueur du boulon et spécifique à cette mine plutôt qu'à la région ».

Technologie, conception, analyse

MM. Kostecki et Spearing avaient déjà fait équipe avec YieldPoint en 2010 dans le cadre d'un projet différent sur les boulons instrumentés dans des mines de charbon souterraines. Dans le projet mené en 2014, ils avaient testé les fibres optiques en tant que capteurs. Lorsqu'un rayon de lumière est dirigé vers une fibre optique, le cœur de la fibre réfracte cette lumière. Si la fibre est maintenue en place par époxyde dans les longs créneaux d'un boulon d'ancrage, la tension que subit le boulon changera très légèrement la forme de la fibre, et par là même la façon dont elle réfracte la lumière.

Le projet a testé deux technologies différentes de fibres optiques. La première, la détection optique distribuée (DOS), mesure continuellement le long de la fibre. La DOS permet de calculer la tension en plusieurs points en l'espace d'un millimètre. Un boulon de 48 pouces (environ 122 cm) peut avoir jusqu'à 4 500 points de pression. Les boulons à jauge extensométrique installés auparavant pourraient n'avoir été équipés que de 10 jauges au total. Le deuxième type de capteur, appelé réseau de Bragg pour fibres (FBG, de l'anglais fibre-Bragg grating), ne permet pas de mesurer en continu mais est moins coûteux et sensible à l'interférence de la poussière que la DOS.

Les études antérieures sur l'instrumentation utilisaient seulement deux créneaux diamétralement opposés. Ceci impliquait que toute tension appliquée à certains angles par rapport aux créneaux était difficile à interpréter. Quiconque souhaitait recueillir les données sur le cisaillement dans sa mine devait connaître les orientations du plan de cisaillement de la mine, et réaliser la tâche difficile d'installer le boulon au bon angle de ce plan de cisaillement.

Cependant, avec trois créneaux découpés sur les boulons et répartis de façon homogène, la tension serait apparente de n'importe quel angle à partir d'au moins deux des créneaux. « L'idée à la base de ce modèle à trois créneaux est que l'on n'a pas besoin de savoir dans quel sens sont orientés les créneaux par rapport au plan de cisaillement », indiquait M. Kostecki. « Lorsque les boulons commencent à développer une tension, nous devrions obtenir toutes les informations dont nous avons besoin. »

Afin de tester sa technologie et sa méthode d'analyse pour le calcul de la tension, l'équipe a commencé ses essais en laboratoire en appliquant la force à des boulons instrumentés à deux et à trois créneaux. Dans le cadre d'essais de pliage contrôlés, la tension de pliage calculée se rapprochait des valeurs théoriques ; par ailleurs, le modèle à trois créneaux supportait une tension que ne supportait pas celui à deux créneaux. Les essais sont décrits en détail dans le récent article de MM. Jessu, Kostecki et Spearing publié dans le CIM Journal (volume 7, N°1).

D'après M. Kostecki, il sera difficile de déterminer s'il s'agit d'une tension de cisaillement ou axiale en observant simplement le profil de la tension. « Avec l'expérience, et dans un environnement contrôlé, on peut observer le profil complet de la tension d'un instrument à trois créneaux et donner une supposition éclairée », indiquait-il. Mais pour être sûrs, il nous faudra connaître les positions réelles des créneaux sur le boulon pour calculer les tensions axiale et de cisaillement.

Recherche localisée

Après avoir confirmé que la technologie fonctionne en principe, l'équipe a dû montrer qu'elle fonctionnerait également dans l'environnement humide et poussiéreux d'une mine en exploitation. Les membres de l'équipe ont contacté deux mines de charbon locales, dont la mine South de Gibson County Coal, pour leur demander si elles souhaitaient prendre part à ce projet. « Les ingénieurs et le personnel de la mine sont toujours très intéressés par ce type de projets car ils sont si uniques », expliquait M. Kostecki.

Il a fait l'éloge de la patience et de l'aide précieuse du personnel de la mine. Les opérateurs des boulons d'ancrage dans les mines ont effectué l'installation eux-mêmes. Ryan Carey, opérateur préposé au soutènement par boulons d'ancrage à Gibson County Coal, expliquait que les boulons utilisés dans le cadre de cette recherche ont requis une attention particulière ; en effet, de chaque boulon dépasse un point de connexion qui permet d'enregistrer les données transmises par les fibres optiques dans un équipement distinct. Le mouvement pivotant qui se produit lors de l'installation mécanique des boulons peut endommager les fibres optiques, extrêmement fines.

« L'alignement presque parfait de la tête de forage de la machine pour soutènement suspendu et des boulons d'ancrage est essentiel », indiquait M. Carey. « Nous avons pris le temps qu'il fallait pour nous assurer que chaque trou de forage était régulier et aligné avec la tête de forage durant l'installation des boulons. »

Dans chacun des deux sites miniers, des étudiants de la SIU ont passé environ un mois à surveiller les fibres toutes les heures, et ce 16 heures durant chaque jour. Après chaque relevé, ils branchaient la fibre d'un enregistreur de données au point de connexion de chaque boulon.

« Ceci peut paraître exagéré, mais lorsqu'on a affaire à des interrogateurs à fibres optiques qui sont si onéreux, il faut s'assurer que quelqu'un soit sur le site en cas d'imprévu », expliquait M. Kostecki. En outre, ajoutait-il, certains instruments développent des signes de tension sur plusieurs heures. « Ce genre de tension est ce qui nous intéresse le plus, aussi nous ne voulons pas passer à côté. »

Des résultats positifs, mais non sans difficultés

Depuis mars 2016, l'équipe de recherche recueille des données dans les deux mines qui couvrent plusieurs installations de boulons à deux et à trois créneaux équipés de la DOS ou du FBG. Une analyse complète apparaîtra dans la thèse de doctorat de M. Kostecki, mais les premiers résultats sont déjà clairs.

Tout d'abord, la technologie fonctionne en milieu souterrain. Ce n'a pas été facile, admettait M. Jessu. La DOS a affiché d'excellents résultats mais est cependant vulnérable à l'abattage et aux interférences dues à la poussière. Le FBG a aussi bien fonctionné, mais il faudrait ajouter d'autres réflecteurs sur chaque boulon pour parvenir à un niveau équivalent de détails que ce que fournit la DOS.

M. Kostecki ajoutait que les données relatives à la tension constituaient un plus, souvent très important. « Nous avons pu conclure la mise en place d'un plan de cisaillement à l'une des mines avec les boulons à trois créneaux », indiquait-il. « Ceci est venu confirmer les résultats que nous avons obtenus en laboratoire, où nous avons appliqué une force autour de la circonférence d'un boulon à trois créneaux et essayé de détecter la direction de la force. Nous avons même contacté la mine par la suite, qui nous a confirmé que la direction du cisaillement était bien celle que nous avions présumée. »

L'objectif plus vaste du projet était de mieux comprendre et d'améliorer l'approche de l'industrie envers la conception d'une mine. « Cette recherche nous permettra d'améliorer la conception de nos entrées de mines et de nos systèmes de boulons d'ancrage, ce qui, selon nous, offrira aux mineurs un environnement de travail plus sûr », poursuivait M. Kostecki.

Et après ?

M. Kostecki espère que son équipe de recherche pourra mener un autre projet sur l'instrumentation en environnement souterrain d'ici quelques années, si une aide financière est de nouveau mise à leur disposition. Ce projet était soutenu par l'Alpha Foundation for the Improvement of Mine Safety and Health (la fondation Alpha pour l'amélioration de la santé et la sécurité dans les mines), créée en 2011 suite à une explosion meurtrière dans la mine de charbon Upper Big Branch.

« Si cette recherche obtient une certaine attention, elle pourrait bien être utilisée pour d'autres mines à l'étranger », déclarait M. Kostecki, « principalement au Canada et en Australie ».

Traduit par Karen Rolland