La société Nevsun Resources est accusée d’avoir recours au travail forcé en toute connaissance de cause à sa mine de Bisha, en Érythrée. Avec l’aimable autorisation de Bisha Mining

Le 28 février dernier, la Cour suprême du Canada (CSC) décrétait que l’affaire intentée contre Nevsun Resources par des anciens travailleurs de sa mine de Bisha sera portée devant la Cour de Colombie-Britannique, et non pas en Érythrée où se trouve la mine.

Les poursuites contre Nevsun, qui a été rachetée par la société chinoise Zijin Mining en décembre 2018, ont été intentées par trois Érythréens en novembre 2014. Les demandeurs accusaient Nevsun d’agir en partenariat avec l’armée érythréenne et des entrepreneurs publics qui ont eu recours au travail forcé pour construire la mine. En tant que conscrits militaires du gouvernement érythréen, les demandeurs déclarent avoir été contraints de travailler pour un entrepreneur militaire à la mine, et allèguent que la société Nevsun était complice de leur traitement.

La dernière requête de Nevsun à la CSC constitue sa troisième tentative infructueuse d’éviter la tenue du procès au Canada. En 2017, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait rejeté la demande de Nevsun qui prétendait que, puisque les abus présumés émanaient du gouvernement érythréen, cette affaire intérieure devait être portée devant les tribunaux érythréens et non au Canada.

Devant la CSC, Nevsun a également soutenu que la tenue du procès au Canada constituerait une ingérence dans la souveraineté de l’Érythrée, allégation qui a été rejetée. La Cour a également retenu les accusations pour esclavage, travail forcé et crimes contre l’humanité dans le cadre de cette affaire.

Cette décision marque une volonté croissante de responsabiliser les sociétés minières canadiennes pour leurs actions à l’étranger. En 2017, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait invalidé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB) de 2015 permettant de juger une affaire contre Pan American Silver devant les tribunaux canadiens. Intentée par des manifestants et des victimes guatémaltèques blessés après une fusillade devant la mine d’Escobal de la société, l’affaire a été résolue devant la CSCB en juillet 2019, obligeant la société à présenter des excuses officielles.


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Le procès intenté contre Nevsun constitue la première procédure de réclamation collective pour esclavage moderne au Canada ; c’est également la première fois qu’une société canadienne pourrait être tenue responsable de violations des lois internationales sur les droits de l’homme. Le procès devrait avoir lieu devant la CSCB à l’automne 2021.

La décision de la CSC a conduit certaines personnes à s’inquiéter des répercussions de cette affaire sur les sociétés canadiennes opérant à l’étranger. L’association minière du Canada (AMC) a soumis une demande d’intervention dans cette affaire devant la CSC, la priant d’accepter la requête de Nevsun et indiquant que cette affaire pourrait ébranler la place du Canada en tant que plaque tournante internationale des sociétés d’exploitation et d’exploration minières. « Les membres de l’AMC et l’industrie minière canadienne pourraient être confrontés au spectre d’une responsabilité civile incertaine et indéfinie », lisait-on dans l’intervention. « L’industrie minière et l’économie canadienne dans son ensemble pourraient être affectées de manière négative ».

Au lendemain de l’indépendance de l’Érythrée en 1991, le président Isaias Afwerki instaurait le service militaire obligatoire pour tous les Érythréens, qui incluait la conscription militaire pour une période indéterminée. Dans un rapport de 2013, l’organisation Human Rights Watch dénonçait des violations des droits de l’homme à la mine de Bisha, et accusait Nevsun de ne pas avoir veillé à ce que le travail forcé ne soit pas employé à la mine.

Nevsun avait une part de 60 % dans la mine de Bisha ; lEritrean National Mining Corporation (Enamco), une organisation gouvernementale d’Érythrée, détenait les 40 % restant. D’après Société Radio-Canada (SRC), la mine de Bisha constituait la principale source de revenus du régime érythréen pendant de nombreuses années.