Les émissions de dioxyde de carbone ne s'arrêtent pas aux frontières, et leurs réductions dans une région du monde sont insignifiantes si elles augmentent ailleurs. Avec l'aimable autorisation de Newmont Mining Corporation

Parmi toutes les dépenses que surveille attentivement Jim O’Rourke, président et chef de la direction de Copper Mountain, celle liée aux émissions de gaz à effet de serre (GES) se distingue comme étant potentiellement la moins utile. M. O’Rourke dirige une mine dont les coûts déboursés s’élèvent à 1,54 $ par livre de cuivre. Les 2,3 millions de dollars versés au gouvernement provincial chaque année à titre de taxe sur le carbone représentent par conséquent environ 1,5 % de son budget total. Ce coût devrait en outre augmenter pour atteindre 3,8 millions de dollars par an d’ici 2020, selon le nouveau cadre pancanadien de tarification du carbone de Justin Trudeau. Il s’agit là d’une dépense substantielle que toutes les sociétés minières du Canada devront bientôt intégrer à leur budget annuel. Pourtant cette approche représente-t-elle un réel potentiel d’amélioration pour l’industrie ?

« La raison pour laquelle la taxe sur le carbone me pose problème, en général, c’est que nous ne pouvons rien y faire », commente M. O’Rourke. Copper Mountain, souligne-t-il, est une mine de cuivre à faible teneur à ciel ouvert, qui s’appuie sur le gazole pour transporter le minerai vers l’usine de traitement. « Nous disposons de 22 camions de transport qui consomment environ 30 millions de litres de gazole par an. Ce n’est pas facile d’essayer de réduire notre bilan carbone. » Selon Copper Mountain, ces millions ne sont pas réinvestis pour améliorer la technologie de réduction du bilan carbone du secteur minier. La mine ne voit par conséquent aucun avantage à cette dépense en matière de réduction des émissions de GES dans le cadre du système actuel.

Même si le transport devrait dépendre du gazole pendant un certain temps encore, il existe déjà des façons de rendre le processus plus efficace. « Pour vous donner une idée, un moteur neuf de camion coûte environ un demi-million de dollars », précise M. O’Rourke. « Si nous récupérions ces deux millions de dollars [de taxe sur le carbone], nous pourrions acheter quatre moteurs de camion à haut rendement. » Si des moteurs neufs respectant les normes du groupe 4 pouvaient permettre à Copper Mountain d’économiser 5 % sur son budget de gazole, la mine économiserait 1,5 million de litres de carburant par an, et ainsi 115 000 dollars supplémentaires par an de taxe sur le carbone relative au gazole. Aucun de ces scénarios ne se réalise dans la situation actuelle. « Il s’agit juste d’une autre taxe, dans le vrai sens du terme », regrette M. O’Rourke.

Imaginons cependant que Copper Mountain puisse remplacer ses 22 moteurs de camion. Que se passerait-il alors? La taxe sur le carbone en Colombie-Britannique devrait augmenter de manière significative, alors que les sociétés minières ne peuvent pas vraiment réduire leurs émissions bien davantage. Selon David Greenall, stratège en développement durable et en résistance aux changements climatiques chez PricewaterhouseCoopers (PwC), c’est la raison pour laquelle les décisions politiques doivent être prises avec précaution. « Je pense qu’il est important de reconnaître ces limites intrinsèques, de reconnaître qu’il s’agit de secteurs exposés à la concurrence, qui vendent leurs marchandises sur le marché mondial et qu’il existe des preneurs de prix et des décideurs de prix. C’est pourquoi il est essentiel de jouer un rôle actif auprès du gouvernement, essentiellement pour amortir les effets et les risques de la transition. »

En avril dernier, l’Association minière du Canada (AMC) s’est positionnée en faveur d’une tarification du carbone pour faire face aux changements climatiques, sous certaines conditions. Toutefois, selon Pierre Gratton, président et chef de la direction de l’AMC, alors que le reste du Canada élabore sa stratégie nationale, il serait bénéfique d’étudier la situation de la Colombie-Britannique pour ne pas reproduire la même erreur. M. Gratton a ainsi rédigé un article dans le Vancouver Sun l’automne dernier expliquant que le résultat d’une taxe comme celle de la Colombie-Britannique mène, dans le contexte minier, à ce que des « autorités qui prennent des mesures en matière de changements climatiques se retrouvent punies, alors que celles qui n’en prennent pas sont récompensées par des emplois et des investissements ; et des mesures pour lutter contre les changements climatiques se retrouvent dans l’impasse. »

Avec des coûts décaissés de 1,54 $ par livre de cuivre, les 2,3 millions $ d'impôts que Copper Mountain verse chaque année au gouvernement représentent 1,5 $ de son budget annuel. Avec l'aimable authorisation de Copper Mountain Corporation

La situation mondiale

Les émissions de GES sont réellement un phénomène mondial ; les gaz ne connaissent pas de frontières et les réductions dans une région du monde sont vaines, si les émissions augmentent dans une autre. Hormis certaines régions du Canada, il existe peu d’autorités minières ayant mis en place une quelconque tarification du carbone. Au Canada, l’Alberta, l’Ontario et le Québec rejoignent la Colombie-Britannique dans le groupe des provinces appliquant actuellement un système de tarification du carbone. En dehors du Canada, les pays qui possèdent un système de tarification comprennent, sans surprise, la Suède et la Finlande, mais il est difficile d’en trouver d’autres.

De tels systèmes rendent en effet les régions moins strictes potentiellement plus attrayantes pour les investissements et créent le phénomène de « transfert des émissions » de GES, selon lequel, au lieu de réduire les émissions, les sites d’exploitation sont déplacés dans d’autres régions, ce qui, dans certains cas, accroît les émissions. « Les enjeux sont importants, car, si la politique [du Canada] ne fait pas face à ce problème, a) nous ne contribuerons pas à la lutte contre les changements climatiques, mais à une éventuelle augmentation nette des émissions, et b) cette politique pourrait nuire à un moteur important de l’économie canadienne », explique Brendan Marshall, vice-président des Affaires économiques et du Nord de l’AMC. « Il s’agirait alors d’une situation où tout le monde serait perdant. »

L’autre effet secondaire de l’application imparfaite d’une tarification du carbone pourrait être la récupération politique. En 2012, l’Australie a voté la Loi sur les énergies propres. « Il s’agissait de la première loi importante imposant une taxe sur le carbone en matière de consommation énergétique », se souvient Omar Jabara, cadre des Communications d’entreprise de Newmont. En 2014, cette loi a été révoquée au milieu d’un débat passionné. La taxe avait été fixée à un taux de 23 AUD par tonne, montant modeste, mais qui a été supprimé du fait de ses répercussions économiques. Les émissions de GES en Australie ont depuis augmenté.

Plusieurs systèmes de tarification du carbone sont cependant à l’ordre du jour, particulièrement en Chine, qui produit environ 23 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. « Notre plus gros marché est la Chine, qui projette de mettre en place un mécanisme national d’échange de droits d’émissions de GES », précise Graham Winkelman, chef des pratiques de lutte contre les changements climatiques de BHP Billiton. « Cette décision accroît considérablement le volume des émissions mondiales couvertes et nous allons en observer avec intérêt les conséquences. »

Certaines régions chinoises participent déjà à des marchés pilotes d’échange de droits d’émissions depuis 2013, mais ce programme national représente des échanges annuels d’émissions pouvant atteindre 1,16 milliard de dollars américains à compter de cette année. Le prix de départ est relativement modeste, environ 30 yuans par tonne (4,35 USD), mais le marché devrait s’élever à 58 milliards de dollars américains après 2020.

Le Chili a également décidé d’adopter une tarification du carbone en 2018, même si c’est à un tarif initial modeste de 5 USD par tonne. Ce prix risque néanmoins d’influer sur 30 % de la production mondiale du cuivre et, peut-être, d’offrir un soutien du marché à Copper Mountain. « Le fait est que nous sommes en pleine transition vers une économie à faibles émissions », confie M. Greenall de PwC. Il prédit que la tarification du carbone aura des répercussions sur les exploitations minières aussi bien au niveau opérationnel qu’au niveau des solutions technologiques et de la demande. « L’aspect de la demande représente une question bien plus importante. »

« La variation du prix du carbone dans le monde est problématique », ajoute M. Winkelman de BHP Billiton. « À long terme, la solution idéale serait d’avoir un tarif mondial, mais il s’avère très difficile de fixer un tarif adéquat. » Il souligne que, comme les sociétés minières doivent tenir compte de plusieurs décennies à l’avance pour prendre leurs décisions d’affaires, il est important de disposer d’une réglementation stable et prévisible en matière de climat. Étant donné que les pays ont tous des objectifs stratégiques différents, ajoute-t-il, ils adopteront donc des mesures différentes pour réduire leur bilan carbone. Même si les États-Unis n’ont pas mis en place de tarification du carbone, l’administration Obama a par exemple entrepris de réglementer les émissions des centrales au charbon. En fait, chaque nation signataire de l’Accord de Paris sur le climat en avril dernier doit élaborer sa propre stratégie de réduction des émissions. « Il sera extrêmement ardu de parvenir à une quelconque harmonie mondiale en la matière. »

Une tarification interne

Selon un rapport de 2014 de la fondation Heinrich Böll, BHP Billiton représente le 20e bilan carbone d’entreprise le plus important du monde. Depuis la scission de South32 en 2015, BHP Billiton exploite un portefeuille plus réduit qu’en 2014, mais l’entreprise possède la motivation et les moyens de participer à l’élaboration d’un tarif mondial du carbone. Sur le plan interne, M. Winkelman précise que l’entreprise applique actuellement un tarif de 24 USD par tonne de carbone, quel que soit l’emplacement du projet. Il ajoute cependant : « Nous ne nous concentrons pas seulement sur ce tarif; nous réfléchissons également à des scénarios de tarification futurs. » Ainsi, l’entreprise évalue tous ces actifs en fonction de tarifs de carbone pouvant atteindre 80 USD la tonne.

M. Greenall est convaincu qu’il s’agit d’une stratégie qui sera plus largement adoptée à l’avenir. « C’est simplement un autre exemple de ce que j’appelle un “facteur de risque”. Même s’il est éventuellement très important, il ne s’agit que d’un autre facteur de risque à intégrer aux modélisations que ces entreprises appliquent déjà. »

M. Greenall précise en outre qu’au-delà de la modélisation interne d’un tarif (BHP Billiton applique ce qu’il appelle un « coût implicite »), les entreprises peuvent en fait établir des marchés internes d’émissions de GES entre leurs unités d’exploitation. Il existe de nombreuses manières de le faire. Chaque mine peut, par exemple, définir des cibles de réduction des émissions. Si une unité dépasse cette cible, chaque tonne de carbone dépassant la cible entraîne une pénalité que l’unité doit payer au siège social, ou des réductions sont appliquées aux primes versées aux cadres de cette mine. « Il s’agit alors d’un coût direct pour la rentabilité de l’unité, qui, bien sûr, se répercute sur les mesures du rendement individuel et sur les bonus, etc. »

Selon un rapport de 2016 du projet Carbon Disclosure (CDP), 35 % des entreprises ayant participé à une enquête dans le secteur des matériaux disposaient déjà d’une tarification interne du carbone ou projetaient d’en mettre une en place. Au Canada, les entreprises ayant déjà adopté une tarification du carbone comprennent HudBay, Teck Resources et Barrick Gold ; Detour Gold et Yamana Gold prévoient d’appliquer une telle tarification dans les deux prochaines années. L’écart budgétaire mondial des prix internes souligne toutefois la difficulté d’établir un tarif mondial du carbone. Par exemple, le tarif du carbone de l’entreprise Sibanye Gold basée en Afrique du Sud est de 2,36 USD par tonne, alors que BHP Billiton utilise un tarif plus de 10 fois supérieur et HudBay a recours à une fourchette se situant entre 15,32 USD et 38,29 USD.

Les systèmes de tarification interne les plus élaborés sont sans doute ceux du secteur pétrolier et gazier. Royal Dutch Shell a ainsi lié les bonus de ses cadres aux objectifs en matière de changements climatiques. Dans le secteur énergétique en général, 52 % des entreprises ayant répondu au questionnaire du CDP appliquent actuellement ou projettent d’appliquer une tarification du carbone ; chiffre que seul le secteur des services publics dépasse avec 63 %.

« Les investisseurs ont vraiment soif de renseignements », appuie M. Winkelman. Il ajoute que lorsque BHP Billiton a commencé à déclarer ses émissions de GES et à appliquer une tarification, il existait peu d’exemples à suivre dans le secteur minier. « Nous avons examiné les réactions de tous les secteurs, des banques jusqu’au secteur pétrolier et gazier en passant par le secteur manufacturier et les administrations publiques. Cette approche sera caractéristique de la façon de communiquer de nombreuses grandes entreprises à l’avenir. Tout est une question de possibilités et pas seulement de risques. »

M. Greenall confirme que BHP Billiton est effectivement chef de file dans le domaine, ayant adopté une tarification interne du carbone depuis environ 2004. « Ils étaient les premiers à le faire et servent un peu de paratonnerre à la fois pour les investisseurs et pour les autres entreprises, lorsque ces derniers cherchent des exemples pour savoir comment procéder. »

Le secteur financier sur le qui-vive

Outre l’internalisation d’une tarification du carbone, BHP Billiton est l’une des rares sociétés minières à publier une analyse annuelle de son portefeuille relatif aux changements climatiques. Ce rapport est un résumé rationnel de la façon dont l’entreprise projette d’agir dans le cadre de différentes politiques et conjonctures économiques et environnementales mondiales très plausibles. Ce rapport fournit le type de renseignements que les investisseurs recherchent. « Je suis certain qu’à l’avenir le volume de ces informations augmentera », confie M. Winkelman.

On commence à voir poindre une manière cohérente de structurer ce type de rapport. En décembre, Michael Bloomberg a écrit à Mark Carney : « Jusqu’à présent, il était difficile pour les investisseurs de savoir quelles entreprises étaient les plus vulnérables aux changements climatiques, lesquelles étaient les mieux préparées et lesquelles prenaient des mesures. » Cette lettre de M. Bloomberg servait d’introduction à une liste de recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, dont il est le fondateur. Étant donné que M. Carney est président du Conseil de stabilité financière, ces recommandations auront probablement une incidence notable à l’échelle mondiale.

« Le Conseil de stabilité financière est essentiellement constitué de tous les gouverneurs des banques centrales des pays du G20 », précise M. Greenall. Je peux vous dire en toute certitude que bon nombre des plus importantes caisses de retraite et banques du Canada adopteront les recommandations de ce groupe de travail et exigeront par conséquent des entreprises auprès desquelles elles investissent et avec lesquelles elles font affaire (qu’il s’agisse de placements privés ou d’entreprises cotées), qu’elles mettent ces renseignements à disposition. »

Ces recommandations sont trop détaillées pour les énumérer ici, mais elles incluent des conseils précis pour le secteur minier et d’autres représentant la part la plus élevée des émissions de GES ainsi que de la consommation d’énergie et d’eau.

En matière de mise en œuvre : « Je ne pense pas qu’il existe une résolution des actionnaires ici au Canada », commente M. Greenall. Cependant, l’an passé, un certain nombre d’actionnaires, qui ciblaient particulièrement les grandes sociétés pétrolières et gazières (BP, Total et Royal Dutch Shell), leur ont demandé de préparer un rapport d’analyse de scénarios relatifs aux risques climatiques. »

Cela servira peut-être de consolation à M. O’Rourke de Copper Mountain. Il semble en effet que cela ne soit qu’une question de temps avant que les sociétés minières ne soient obligées (que leurs sites d’exploitation se trouvent au Canada ou ailleurs) de divulguer la façon dont elles évaluent les coûts liés aux émissions de GES, afin d’obtenir des investissements. La manière dont ces entreprises parviendront à renforcer leur industrie à l’avenir, lorsque ces montants seront réellement collectés, est cependant moins évidente.

« C’est un vrai défi », avoue M. Winkelman, « mais si nous réfléchissons à la façon dont une tarification du carbone peut guider les investissements vers une réduction des émissions, ce qui finira par devenir rentable, je pense qu’il s’agit d’un résultat positif pour le secteur, qui contribue en même temps à la lutte contre les changements climatiques. Le secteur minier a un rôle indéniable à jouer dans cette solution. »