Une entreprise suisse cherche à balayer d'une onde de choc le secteur de la minéralurgie. Selfrag AG a terminé l'étude technique pilote d'un système de prétraitement du minerai qui pourrait réduire le prélèvement de courant de la comminution de pourcentages à deux chiffres. D'après les recherches effectuées par le Julius Kruttschnitt Minerals Research Centre (JKMRC, le centre Julius Kruttschnitt de recherche sur les minéraux), l'utilisation de la fragmentation à impulsion électrique pour affaiblir le minerai avant son entrée dans le circuit des broyeurs peut accélérer le processus de broyage et améliorer les résultats de la libération.

Dans une étude sur la technologie de Selfrag, qui sera présentée en octobre lors de l'International Mineral Processing Congress (IMPC, le congrès international du traitement des minerais) à Santiago, au Chili, un important producteur d'or, JKMRC et Selfrag ont utilisé le logiciel JKSimMet pour simuler des modifications à un circuit or-cuivre existant. Le pré-affaiblissement du minerai alimentant un broyeur SAG a permis de libérer un surcroît de capacité dans le broyeur. Les résultats suggèrent que l'ajout de la technologie de Selfrag permettrait de retirer du circuit deux concasseurs de pierres et un broyeur à boulets tout en conservant la même production globale et en permettant une réduction énergétique de cinq kilowatts-heure (kWh) par tonne.

Des éclairs sous l'eau

Bien qu'elle ne soit pas encore commercialisée pour la comminution à grande échelle en exploitation minière, cette technologie existe depuis plus d'une décennie. Le développement de produits de Selfrag est en partie financé par la vente de versions réduites déjà commercialisées pour les tests de séparation du minerai, le concassage des minéraux à haut degré de pureté et le recyclage. Selfrag et la société ontarienne CNT Mineral Consulting emploient le même principe de percement électrique.

« Nous créons en fait des éclairs sous l'eau », explique Klaas Peter van der Wielen, ingénieur en minéralurgie à Selfrag. « La principale différence est que nous le faisons dans des circonstances contrôlées, dans de la roche plutôt que des nuages à la Terre. »

Selfrag utilise un générateur à impulsion électrique qui propulse 90 kilovolts (kV) et 200 kV à travers la roche immergée dans l'eau. L'eau est normalement traitée pour une réduction de sa conductivité, afin que la roche et l'eau soient diélectriques, ce qui signifie qu'elles ne sont pas conductrices. Toutefois, quand une telle quantité d'électricité est envoyée à travers un corps diélectrique, elle entraîne des changements semi-permanents de la structure atomique de la matière. Ce processus, appelé percement électrique, se produit dans la roche avant de se produire dans l'eau si l'on crée les bonnes conditions électriques, de manière à ce que l'énergie électrique se dépose de manière sélective dans les roches, l'eau agissant comme un matériau isolant.

« Les électrons sont littéralement arrachés à leur coquille, ce qui crée le plasma, qui est essentiellement un nuage d'électrons libres », explique M. van der Wielen. Comme l'éclair, le flux de plasma trace des motifs fractals en s'éloignant du point de départ, vers une prise de terre. Le réchauffement rapide qui survient dans les canaux de plasma produit des pressions très élevées, créant une onde de choc qui finit par fragmenter la roche. D'après M. van der Wielen, l'onde de choc elle-même a des effets semblables à ceux d'un abattage à l'explosif classique : une zone de concassage très près du canal de plasma, présentant des fractures radiales et circonférentielles plus éloignées et s'effritant sur les bords.

Les avantages pour le traitement du minerai

Heureusement pour les sociétés minières, les canaux de plasma affluent vers les minéraux dotés d'une permittivité supérieure (la capacité à transmettre un champ électrique), une caractéristique de plusieurs minerais de grande valeur. Les minéraux sulfurés comme la chalcopyrite, et les minéraux oxydés comme l'hématite et la magnétite ont tendance à fortement influencer les champs électriques par rapport aux minéraux de gangue, explique M. van der Wielen.

« En même temps, le flux cherchera les électrons les plus faciles à déplacer, et le long des joints de grains, la possibilité que les électrons ne soient pas bien rattachés à leur atome est plus élevée. Tout en étant une faiblesse pour la fracturation mécanique, [le joint de grains] présente aussi une faiblesse électrique intéressante le long de laquelle le flux préfère voyager. »

Les avantages de la transformation minérale de Selfrag sont répartis en deux catégories. D'abord, le système a favorisé la libération en plus grosses fractions lors d'essais menés avec du minerai de quartz, de graphite, de diamant et de métal commun. Ensuite, le deuxième avantage (et le mieux compris) est que les fissures créées par l'onde de choc ont tendance à créer des effets qui affaiblissent considérablement la roche. Dans la recherche la plus récente de Selfrag, un intrant énergétique de deux kilowatts-heure par tonne a modifié la faiblesse de 55 à 125 % (telle que mesurée dans les valeurs A*b). Selon M. van der Wielen, « il arrive souvent que la fragmentation soit si intense qu'une roche dont la résistance à la compression tourne autour de 150 mégapascals [normal pour une roche dure] puisse être broyée à la main après un traitement d'un à trois kilowatts-heure par tonne. Il ne lui reste plus aucune résistance. »

Les résultats de simulation obtenus par Selfrag et ses partenaires de recherche stipulent que les décharges électriques sont plus efficaces lorsqu'elles sont appliquées à la charge d'alimentation d'un broyeur SAG. Cela s'explique par le fait que leur effet affaiblissant est plus prononcé dans le cas de plus grosses particules, et que la plus grande efficacité de broyage du broyeur SAG pourrait réduire ou éliminer le besoin d'un broyeur à boulets plus tard dans le processus.

Noko Phala, métallurgiste principal chargé de la recherche et du développement à AngloGold Ashanti, indique que les données limitées publiées jusqu'à présent suggèrent qu'un pré-affaiblissement pourrait entraîner une réduction énergétique de 30 %. Si une exploitation produisant 10 millions de tonnes par année dépense entre 2 et 6 $ par tonne en broyage, et si l'énergie constitue la moitié de ces coûts, la mine pourrait économiser entre 3 et 9 millions $ par an. « Bien sûr, ceci exclut toute nouvelle optimisation d'échelle éventuelle pour tenir compte des coûts réduits », ajoute Noko Phala. « C'est la motivation qui nous pousse à trouver de nouvelles technologies. »

Mise au point de la technique

AngloGold Ashanti surveille la technologie avec intérêt, mais a retardé sa participation en attendant d'autres améliorations. Pour M. Phala, le signe d'une percée se traduirait par une usine pilote en service continu concrétisant la proposition de valeur ainsi que les conceptions montrant qu'une augmentation pouvant atteindre environ 1 000 tonnes à l'heure est réalisable. Une telle usine impliquerait probablement l'ajout au système d'un plus grand nombre d'électrodes émissives, ce qui n'a pas encore été conçu.

Selon M. van der Wielen, l'usine pilote est prête à la construction, mais elle requiert l'aide d'un partenaire. Selfrag a conçu une usine de démonstration à capacité de dix tonnes par heure, et recherche actuellement des fournisseurs, des sociétés minières et des sociétés de conseil souhaitant l'aider à la construire.

Entre-temps, JKMRC et Selfrag ont mis au point de meilleures façons de mesurer les relations entre l'énergie entrante, la comminution et les effets pré-affaiblissants. Leurs travaux en cours comprennent des moyens de réduire le coût du traitement des eaux ou de rendre le système moins sensible à la qualité de l'eau. « En principe, notre système peut fonctionner avec de l'eau assez sale ; nous avons travaillé à des conductivités allant jusqu'à 4 000 microsiemens/cm », ajoute M. van der Wielen. « Le processus est toutefois beaucoup plus efficace avec des conductivités de l'eau de traitement plus faibles, aussi un système de traitement de l'eau accompagnera probablement notre système Selfrag. »

Une autre difficulté importante concerne l'optimisation de la probabilité que chaque particule de minerai recevra de l'énergie ; en laboratoire, les particules les plus près de l'électrode en profitaient davantage que celles plus éloignées. M. van der Wielen espère aussi évaluer quel genre de libération survient aux mêmes degrés d'énergie produisant l'affaiblissement.

Même si M. van der Wielen envisage la commercialisation à grande échelle pour 2016 ou 2017, ceci dépendra du financement trouvé et des partenariats formés.

« Personne ne connaît avec certitude les échéances nécessaires pour parvenir à une percée », déclare M. Phala. « Tout ce que nous savons, c'est que si une chose a une certaine valeur et que son existence n'est pas limitée par les lois de la physique, elle finira par se concrétiser ; et selon moi, la technologie d'affaiblissement de la roche par impulsion électrique répond indéniablement à tous ces critères. »

Traduit par SDL