Ali G. Madiseh

L’exploitation minière est l’une des industries les plus énergivores au monde, exposant ses acteurs à des marchés énergétiques imprévisibles et coûteux. Une nouvelle étude du groupe de recherche Earth/Mine Energy Research Group (EMERG), composé de chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et de l’Université McGill, avance que les sites miniers peuvent réduire leur dépendance aux combustibles fossiles en puisant de l’énergie géothermique dans l’eau qui s’accumule dans les mines souterraines actives.

Ali G. Madiseh est professeur adjoint à l’Institut d’ingénierie minière Norman B. Keevil de l’UBC et fait partie d’EMERG, un organisme qui se penche sur les technologies minières écoénergétiques. Depuis 10 ans, EMERG étudie l’extraction d’énergie géothermique de l’eau des mines souterraines afin d’alimenter les communautés environnantes ou les mines elles-mêmes. Les données recueillies à plus de 20 sites miniers démontrent que les mines qui font appel à cette technologie profitent d’importants avantages économiques et environnementaux.

ICM : A-t-on déjà extrait de l’énergie géothermique des mines souterraines?

M. Madiseh : En 1987, le Canada fut l’un des premiers endroits au monde à exploiter l’énergie géothermique à partir d’une mine. Une mine de charbon abandonnée de Springhill, en Nouvelle-Écosse, chauffe actuellement une usine de fabrication de plastique et quelques autres bâtiments en surface. Le projet n’a pas atteint son plein potentiel, par contre. Le meilleur exemple mondial des avantages qu’une communauté peut tirer de l’énergie géothermique provenant d’une mine, c’est la ville de Heerlen, aux Pays-Bas, où une mine de charbon abandonnée sert de réservoir géothermique, non seulement pour extraire la chaleur, mais aussi pour stocker l’énergie. Des pans complets de la ville sont ainsi alimentés pour le chauffage et la climatisation.

ICM : Comment la technologie fonctionne-t-elle?

M. Madiseh : Traditionnellement, l’eau qui s’accumule sous terre dans les mines est constamment pompée vers la surface par des pompes qu’on appelle « pompes de puisard ». Elle est traitée à la surface, puis renvoyée dans l’environnement. Certaines mines recelent une quantité importante d’eau, souvent de l’ordre de 300 à 1 000 litres par minute.

Nous avons eu l’idée d’installer des thermopompes ou des refroidisseurs lithosphériques pour réaliser une étape du processus de déshydratation [d’une mine active]. L’eau de mines souterraines peut atteindre une température de 30 °C, qui descend à 15-18 °C lorsqu’elle atteint la surface, selon la quantité d’eau dans la mine. La thermopompe ou le refroidisseur lithosphérique retirerait de 4 à 6 °C de chaleur de cette eau de surface et la « ferait monter » à une plage de température supérieure de 40 à 60 °C à l’aide d’une faible quantité d’électricité.

Les thermopompes et les refroidisseurs géothermiques sont tous deux des appareils de refroidissement et fonctionnent de la même façon qu’un réfrigérateur domestique, refroidissant de l’air déjà froid. Ils renferment un évaporateur et un condensateur. Dans l’évaporateur, le frigorigène à basse température reçoit la chaleur de l’eau de mine, qui augmente sa température. Dans le condensateur, le frigorigène à température plus élevée envoie la chaleur au liquide en circulation dans un système de chauffage, sous forme d’eau ou d’air, qu’on peut ensuite acheminer à l’utilisateur final.

Les thermopompes et les refroidisseurs lithosphériques représentent des technologies très mûres : bon nombre de Canadiens chauffent leur maison à l’aide d’énergie géothermique depuis des décennies. Cependant, ce serait la première fois qu’on extrairait de l’énergie géothermique d’un site minier actif aux fins de sa ventilation.

ICM : Où peut-on utiliser l’énergie géothermique sur un site minier?

M. Madiseh : En raison des longs hivers froids du Canada, les mines ont un énorme besoin de préchauffage pour fonctionner, souvent pendant plus de 160 jours par année. On ne peut tirer de l’air d’une température de -30 à -40 °C dans une formation souterraine. Les humains ne peuvent y travailler, et tous les tuyaux, roulements, ouvertures et arbres gèleraient et se briseraient. L’air est donc réchauffé à l’aide d’appareils de chauffage au gaz avant d’être envoyé sous terre, ce qui coûte actuellement une fortune et nécessite des millions de gallons de gaz naturel ou de propane. Nous songeons à faire la même chose à l’aide de l’énergie géothermique extraite de l’eau de mine.

On pourrait également l’utiliser pour refroidir les mines extrêmement profondes du Canada durant l’été.

ICM : De quelles autres façons peut-on utiliser cette énergie?

M. Madiseh : Les communautés environnantes peuvent également bénéficier de l’énergie géothermique des mines, comme à Heerlen. Elles doivent par contre se trouver près de la mine, car le transport de la chaleur sur de longues distances n’est pas économiquement viable. La ville de Sudbury serait tout indiquée. Herleen représente une réussite, et il n’y a là qu’une mine. Or, on en compte plus d’une dizaine à Sudbury, et elles pourraient alimenter la ville au complet.

Les projets offrant une source propre d’énergie renouvelable aux communautés environnantes représentent une formidable valeur en matière de relations publiques pour les sociétés minières, d’autant plus que les mines continueront à recueillir de la chaleur longtemps après leur déclassement. Nous reconnaissons cependant qu’il faudrait que les communautés et les sociétés minières négocient amplement pour que cela fonctionne. Donc pour l’instant, nous nous concentrons sur la façon d’utiliser l’énergie pour chauffer et refroidir les sites miniers.

ICM : Quels avantages présenterait l’extraction de ce type d’énergie pour les sociétés minières?

M. Madiseh : Notre étude démontre que les sites miniers peuvent économiser de 200 000 à 300 000 $ par année en dépenses énergétiques. Et il s’agit là du scénario le plus prudent; les économies varieraient d’une mine à l’autre, selon la quantité de chaleur thermique qu’elle produit et sa facture énergétique actuelle.

Par ailleurs, il y a d’énormes avantages environnementaux. Les mines réduiraient de façon spectaculaire leur utilisation de combustibles fossiles et leurs émissions de carbone. De plus, le gouvernement fédéral imposera probablement une taxe sur le carbone d’ici quelques années. Les sociétés minières qui misent sur cette technologie pourraient ainsi économiser sur cette taxe et même générer des revenus en échangeant des crédits si elle comprend un système de plafonnement et d’échange.

Enfin, l’énergie géothermique n’est pas touchée par les fluctuations du marché énergétique (outre la faible quantité d’électricité requise pour le refroidisseur géothermique ou la thermopompe). Les coûts ne seront plus liés aux prix imprévisibles des combustibles fossiles. C’est ce qu’on appelle l’« indépendance énergétique ».

ICM : Proposez-vous d’utiliser la technologie dans les mines à la fois actives et abandonnées?

M. Madiseh : Pour les mines abandonnées, il faut surmonter certains obstacles avant d’installer la technologie. Par exemple, si les galeries souterraines sont bloquées, l’eau peut ne pas pouvoir circuler à travers ces ouvertures. Il faut donc réaliser des essais de forage, qui augmentent le coût du projet. Mais les mines actives ne présentent pas ces problèmes. Et contrairement à tout autre pays européen ou industrialisé, il y a beaucoup de mines actives au Canada : c’est pourquoi la technologie est parfaite pour nous.

Idéalement, nous souhaitons intégrer la technologie dans les nouvelles mines afin que les sociétés puissent investir dans le système géothermique et réduire leurs coûts en évitant totalement les systèmes de chauffage aux combustibles fossiles traditionnels.

Bien que l’installation de la technologie vienne avec ses propres coûts et présente des exigences en matière d’infrastructures, on ne parle pas d’un énorme projet de rénovation.

ICM : Vu le succès de la ville de Heerlen, pourquoi n’a-t-on pas déjà adopté l’énergie géothermique au Canada?

M. Madiseh : D’abord, en Europe, les incitatifs pour se tourner vers des projets comme celui-ci sont beaucoup plus importants : l’électricité y est plus coûteuse, et ils dépendent du gaz naturel importé. Et alors que l’investissement en capital pour installer et entretenir ces projets géothermiques vaut le coup, le Canada est moins enclin à les adopter, car notre énergie est relativement plus abordable.

De plus, le projet aux Pays-Bas n’aurait pas réussi sans le soutien de la communauté, qui l’a défendu. Le Canada a besoin de champions pour aller à la rencontre des communautés, susciter leur intérêt et obtenir leur appui pour de tels projets, avant d’aller trouver les sociétés minières avec des plans de collaboration et de soutien.

ICM : Les sites miniers adopteront-ils cette technologie bientôt?

M. Madiseh : Nous discutons actuellement avec des sites miniers pour les inciter à investir dans cette technologie, et nous espérons obtenir leur soutien dans un avenir rapproché. Je ne peux mentionner de noms ou de titres en ce moment, mais avec un peu de chance, nous aurons de bonnes nouvelles à annoncer bientôt.

Le processus est long, car l’industrie minière a le réflexe inné d’investir uniquement dans les technologies déjà bien éprouvées dans d’autres industries. Alors que l’énergie géothermique ne date pas d’hier – on l’utilise pour chauffer des immeubles résidentiels depuis plus de 30 ans – la mise en œuvre d’un refroidisseur géothermique ou d’une thermopompe géothermique dans une mine active est un nouveau concept, dont les sociétés minières se méfient.

Nous espérons qu’elles changeront d’avis et investiront dans une technologie conçue spécialement pour leurs activités. Il nous faut une mine pour servir de projet champion, afin d’encourager l’adoption de la technologie dans d’autres mines.