Le Canada a mis à jour sa liste de minéraux critiques en y ajoutant le silicium métal, nécessaire à la fabrication des semi-conducteurs et des puces d’ordinateur. Avec l’aimable autorisation de Luciteria Science
En juin dernier, Ressources naturelles Canada (RNCan) a mis à jour la liste de minéraux critiques du pays, pour y inclure le fer de grande pureté, le phosphore et le silicium métal.
Le fer de grande pureté, dont la teneur est d’environ 60 % ou supérieur, est indispensable à la fabrication d’acier à faible émission. Le phosphore est un composant essentiel des engrais, et il est aussi utilisé dans la production de batteries lithium-fer-phosphate (LFP), qui a explosé ces cinq dernières années. Comme le signale le rapport Global EV Outlook 2024 (Perspectives mondiales 2024 sur les véhicules électriques) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le phosphore couvre plus de 40 % de la demande mondiale des véhicules électriques (VÉ) depuis 2023, la plupart venant de Chine. Le silicium métal est essentiel à la fabrication de puces et de semi-conducteurs, omniprésents dans les produits électroniques.
Ces ajouts indiquent que le gouvernement fédéral cherche à positionner le Canada comme un acteur clé dans d’autres sections des chaînes d’approvisionnement des minéraux critiques, et pas seulement dans l’exploration et l’extraction, déclarait Jeff Killeen, directeur de la politique et des programmes à la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs), ajoutant que la PDAC défend ce point depuis longtemps.
« Nous souhaitions que le gouvernement s’intéresse également au traitement, pas seulement à l’extraction. Nous avions proposé de ne pas nécessairement établir une liste de traitement des minéraux critiques, mais d’envisager le traitement dans des choses qu’évoque le gouvernement dont nous avons besoin, qu’il s’agisse de l’électrification ou des véhicules électriques à batterie », indiquait M. Killeen dans un entretien avec l’équipe du CIM Magazine. « Nous voulons être en mesure de fixer les prix lorsque cela est possible, plutôt que de toujours devoir accepter les prix que l’on nous impose. »
Le phosphore
John Passalacqua, directeur général de First Phosphate Corp., déclarait dans un entretien avec l’équipe du CIM Magazine que la société s’attendait à ce que le phosphore soit inclus dans la liste, étant donné sa dominance croissante sur le marché des batteries LFP. L’Ontario, le Québec, l’Union européenne et la Corée du Sud ont aussi ajouté le phosphore à leur liste de minéraux critiques. Les États-Unis devraient en faire de même.
On trouve le phosphate dans deux types de gisements : les réserves sédimentaires (qui représentent 95 % de tous les gisements) et la roche ignée (les 5 % restant). Le phosphate utilisé comme engrais provient de gisements sédimentaires et subit un cycle de purification pour parvenir à un acide de qualité commerçante nécessaire pour l’engrais et les aliments pour animaux. La roche dans les gisements ignés bien plus rares peut être affinée en de l’acide phosphorique pur (APP). Seulement 10 % de gisements sédimentaires peuvent être transformés en APP. C’est en Afrique du Sud, au Brésil, en Finlande, en Russie et au Canada que l’on trouve les plus grands gisements magmatiques (ou ignés).
First Phosphate travaille sur des projets d’exploitation du phosphate dans la région de Saguenay – Lac-St-Jean au Québec, et elle a publié une évaluation économique préliminaire pour sa propriété du Lac à l’Orignal en juillet 2023. D’après M. Passalacqua, la société a l’ambition de créer des installations de purification.
First Phosphate a reçu une bourse de recherche et d’innovation dans le domaine minier de 315 236 dollars du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec en mars.
La Chine, qui a déjà adopté en masse les véhicules électriques, est passée aux batteries LFP. Selon M. Passalacqua, ceci s’explique par leur faible coût (les batteries NMC, ou nickel-manganèse-cobalt, étaient environ 25 % plus onéreuses que leurs équivalents LFP en 2023), leur sécurité en cas d’incendie et leur durée de vie plus longue, ainsi que la disponibilité des matériaux.
« Il faut bien comprendre que les batteries LFP ont été inventées en Amérique du Nord mais rachetées par la Chine », indiquait-il. « L’Occident est terriblement en retard. Nous n’avons même pas encore commencé à produire des batteries. Toutes nos soi-disant giga-usines qui prévoient de produire du nickel-manganèse-cobalt ne sont pas encore construites, et la technologie est déjà en train d’être remplacée. »
Minerai de fer de grande pureté
Dans un communiqué du 10 juin qui a suivi l’annonce, la société québécoise Champion Iron Ore a accueilli favorablement l’inclusion du minerai de fer de grande pureté dans la liste. Comme l’expliquait Noémie Prégent-Charlebois, directrice des communications et des affaires gouvernementales à Champion Iron Ore, à l’équipe du CIM Magazine, la presse indiquait que le Canada « souhaite devenir un chef de file durable à l’international dans la chaîne d’approvisionnement de l’acier vert. Selon nous, cela favorisera des investissements majeurs dans la région en attirant des partenaires stratégiques qui développeront l’industrie du minerai de fer de grande pureté. » Le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont aussi ajouté le minerai de fer de grande pureté dans leurs listes de minéraux critiques.
Le minerai de fer de grande pureté est utilisé dans la réduction directe, un procédé de fabrication de l’acier qui émet moins de dioxyde de carbone et implique d’utiliser un agent de réduction tel que le gaz naturel ou l’hydrogène pour éliminer l’oxygène du minerai. Le fer de réduction directe est ensuite traité dans du métal liquide chaud dans un four à arc électrique (FAE). Le procédé élimine le besoin de charbon métallurgique, l’agent de réduction utilisé dans les hauts fourneaux traditionnels. D’après la World Steel Association, le rendement du FAE représentait 30 % de la production mondiale d’acier en 2021. Les producteurs d’acier canadiens ArcelorMittal Dofasco et Algoma Steel se préparent, eux aussi, à transitionner vers la fabrication de l’acier par FAE.
En avril 2023, Champion a donné le feu vert pour un investissement de 52 millions de dollars dans un projet de fines pour bouletage à réduction directe dans son complexe de minerai de fer du lac Bloom, au Québec. D’après Mme Prégent-Charlebois, ce projet devrait améliorer la production de concentré de minerai de fer de l’usine dans la deuxième phase du projet du lac Bloom et augmenter sa teneur de 66,2 % à 69 %. Il produira l’un des minerais de fer parmi les plus purs au monde.
Comme l’indiquait un communiqué de presse de RNCan du 10 juin dernier, ces ajouts, qui portent le nombre de minéraux critiques à 34 dans la liste, sont le fruit de consultations avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, l’industrie, les groupes autochtones et d’autres ministères du gouvernement fédéral.
Les sociétés de prospection et les producteurs de minéraux critiques canadiens sont éligibles à un crédit d’impôt pour l’exploration de minéraux critiques (CIEMC) de 30 %. M. Passalacqua indiquait que l’accès à ce crédit d’impôts est particulièrement utile compte tenu des changements qui se profilent en matière de taux d’inclusion des gains en capital, lesquels auront une incidence sur les investissements dans les sociétés de prospection minière.
Toutefois, M. Killeen indiquait un petit problème. De fait, la loi qui a introduit le CIEMC a été rédigée de manière à n’inclure que des minéraux spécifiques. Ainsi, les trois derniers minéraux ajoutés ne seront pas éligibles dans l’immédiat.
Les sociétés peuvent aussi être éligibles au crédit d’impôt à l’investissement pour la fabrication de technologies propres pour six principaux minéraux critiques, en plus d’un soutien de 1,5 milliard de dollars émanant du fonds d’infrastructure des minéraux critiques visant à développer l’infrastructure nécessaire pour relier les minéraux critiques aux marchés en aval. Ceci place aussi les sociétés sur le radar des partenaires commerciaux tels que les États-Unis, l’Union européenne et le Japon.
Traduit par Karen Rolland