(de gauche à droite) Kelly Silva, chargée du recrutement chez Iamgold, Pamela Osorio Corales, Nikol Cubillos Fernandez, Francisca Puebla Careaga, Heather Gamble, cofondatrice et directrice générale du projet Artemis, Priscilla Navarro et Anesh Daya, président et fondateur de l’initiative On the Spot Language. Avec l’aimable autorisation de l’Artemisa Mining Challenge

Francisca Puebla Careaga a grandi au Chili. Sa grand-mère lui a raconté d’innombrables histoires de son arrière-grand-père, qui a travaillé comme houilleur dans le pays toute sa vie.

« J’ai toujours dit que les mines coulaient dans mes veines », déclarait Mme Puebla Careaga, le sourire aux lèvres. Les traditions de sa famille, associées à l’apprentissage de l’histoire et l’économie du Chili, lourdement façonnée par l’industrie minière qui constitue une part importante de son identité, l’ont incité à étudier le génie minier à l’Universidad de Concepción.

Toutefois, malgré l’histoire de sa famille, sa passion pour l’exploitation minière et son diplôme en génie minier, Mme Puebla Careaga a eu beaucoup de mal à trouver du travail dans le génie minier après avoir décroché son diplôme en avril 2022. Elle a donc fini par accepter un poste de spécialiste de la communication et de la compilation des données techniques.

« Je travaillais sur un site minier, mais dans la zone de construction, pour le développement d’une descenderie dans la mine. Cela n’avait rien à voir avec [ce que j’avais étudié] », indiquait Mme Puebla Careaga. « Je n’avais pas besoin de penser au forage et à l’abattage, ni à [l’aménagement des mines] ou à la production. Il ne s’agissait que de béton projeté et de choses dont je n’avais jamais entendu parler. C’est toujours intéressant d’apprendre de nouvelles choses, mais cela n’avait rien à voir avec mon domaine de spécialisation. »

Pamela Osorio Corales a vécu une expérience similaire. Alors qu’elle étudiait le génie civil appliqué à l’industrie minière à l’Universidad Andrés Bello au Chili (elle a obtenu son diplôme en août 2022), elle a eu du mal à trouver un stage dans son domaine et a fini par accepter un poste d’ingénieure stagiaire dans le secteur de l’énergie renouvelable.

Les inégalités entre les femmes et les hommes

Leur situation est courante pour les ingénieures des mines au Chili. D’après un rapport de l’Intergovernmental Forum on Mining, Minerals, Metals and Sustainable Development (IGF, le forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable), intitulé Women and the Mine of the Future (Les femmes et la mine du futur), l’industrie minière chilienne ne comprenait en 2021 que 10 % de femmes, en comparaison du Canada qui en comptait 19 %. Pour Heather Gamble, cofondatrice et directrice générale du projet Artemis, un programme visant à accélérer les résultats professionnels des entrepreneuses dans l’industrie minière, ceci constituait un appel à l’action.

Mme Gamble a entendu parler par la section chilienne de sa société que les femmes rencontraient des difficultés à trouver du travail dans leur domaine. D’après elle, même si ces femmes obtenaient leur diplôme dans des établissements universitaires de renommée, de nombreuses diplômées ingénieures au Chili envoyaient sans succès des dizaines de candidatures.

« Ces femmes viennent d’obtenir leur diplôme et elles se heurtent sans cesse à un mur », déplorait-elle. « Très peu d’entre elles obtiennent ne serait-ce qu’un entretien d’embauche. Elles se retrouvent contraintes d’accepter des postes qui n’ont rien à voir avec leurs diplômes de génie. »

En réponse, Mme Gamble a cofondé l’initiative Artemisa Mining Challenge en 2021 avec Helen Krissilas, fondatrice du Krissilas Group, une société de recrutement qui se spécialise dans les placements de femmes dans des emplois du domaine des mines et de la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STIM).

L’Artemisa Mining Challenge vise à faciliter l’embauche d’ingénieures d’Amérique latine par les sociétés minières canadiennes, qui font face à des pénuries de main-d’œuvre et à des cohortes toujours plus restreintes d’étudiants en génie minier.

« Nous savons tous qu’une crise des talents est en cours [dans l’industrie minière] et que la plupart des sociétés minières se sont fermement engagées à renforcer leurs niveaux de diversité, car ils améliorent la performance », indiquait Mme Gamble. « [L’Artemisa Mining Challenge] alimente vraiment cet effort et aide les [sociétés minières] à embaucher des candidates qualifiées et à promouvoir leur développement. Ces jeunes filles ont tendance à constamment chercher des occasions d’apprendre et de se développer. Ainsi, c’est une parfaite association de talents. »

En juin 2024, l’Artemisa Mining Challenge a lancé la campagne 24 by 24, qui vise à promouvoir les efforts de recrutement visant à faire embaucher, d’ici la fin de l’année 2024, un total de 24 ingénieures de pays d’Amérique latine.

Depuis la création de l’Artemisa Mining Challenge, sept femmes ont été embauchées en tant qu’ingénieures en formation par quatre sociétés minières. Rio Tinto a embauché Mmes Puebla Careaga et Osorio Corales en janvier, Iamgold deux autres ingénieures, New Gold une autre, et Eldorado Gold deux autres. Comme l’expliquait Mme Gamble, les ingénieures des mines s’engagent à rester au Canada pour un minimum de trois années une fois qu’elles ont été sélectionnées par l’Artemisa Mining Challenge.

Faire le voyage

Mmes Osorio Corales et Puebla Careaga ont eu connaissance de l’Artemisa Mining Challenge par son partenaire Red Ingenieras de Minas (RIM) Chile, une organisation à but non lucratif qui promeut les femmes dans l’industrie minière du pays.

Mme Osorio Corales partage actuellement son temps entre le bureau de Rio Tinto à Montréal et sa fonderie à Sorel-Tracy. Quant à Mme Puebla Careaga, elle a accepté un poste à la mine de Diavik de la société, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Cette nouvelle lui est parvenue alors qu’elle avait été sélectionnée pour le programme en janvier, seulement deux semaines avant qu’elle ne saute dans un avion pour venir au Canada. Malgré le très court délai, et avec le soutien de sa famille, elle a facilement fait le pas.

« J’étais tellement frustrée. Je me sentais coincée, incapable d’avancer dans ma vie professionnelle. C’était très déprimant », indiquait-elle, au bord des larmes. « Lorsque Mme Krissilas m’a demandé si je souhaitais participer [au programme], je travaillais [dans la construction], [mais] ce n’était pas le travail dont je rêvais. »

Mme Puebla Careaga indiquait qu’elle avait toujours souhaité travailler ailleurs qu’au Chili pour rencontrer des gens du monde entier et découvrir de nouvelles cultures. Toutefois, il lui était difficile de laisser sa mère et sa grand-mère.

« Je suis fille unique et j’ai grandi avec ma grand-mère et ma mère. J’étais une enfant gâtée », admettait-elle. « Nous n’avons jamais eu beaucoup de ressources. Je sais à quel point c’était difficile pour ma mère de m’élever. Elle menait de front deux ou trois emplois simultanément, et avait à peine suffisamment d’argent pour pouvoir acheter à manger. »

Elle ajoutait que l’expérience est pour elle révélatrice, car elle peut désormais aider sa famille au Chili.

« J’ai demandé à ma famille si je pouvais y aller, si elle souhaitait que j’y aille. Ma grand-mère m’a dit que oui. Je m’attendais à ce qu’elle refuse, car c’est tellement loin, qu’elle me dise qu’elle ne voulait pas que je parte. Mais je sais qu’elles souhaitent toutes les deux ce qui est le mieux pour moi. Leur soutien m’a donné le courage dont j’avais besoin pour faire ce grand pas dans ma vie », indiquait-elle. « On s’appelle en vidéo tous les jours, mais elles savent que ma vie ici est extraordinaire. »

Mme Osorio Corales rêvait, elle aussi, de travailler dans le secteur minier ailleurs que dans son pays natal. Sa mère, expliquait-elle, l’a toujours encouragé à aspirer à de grandes choses. Ainsi, très jeune, elle a décidé de se donner les moyens de vivre ailleurs qu’au Chili. Accompagnée de ses chiens, elle indiquait que son départ pour le Canada a été facile. Elle venait d’obtenir son diplôme, et personne de sa famille ne la retenait au Chili.

« Ma mère est décédée il y a deux ans. C’est ce qu’elle avait toujours souhaité pour moi. Elle me disait toujours qu’un jour viendrait où je partirais du Chili, pour travailler dans l’industrie minière. Pour moi, c’est un rêve, et le rêve de ma mère aussi, qui se réalise », ajoutait-elle, la voix tremblante.

Aujourd’hui, cinq mois après leur nouveau départ dans ce secteur, Mmes Osorio Corales et Puebla Careaga aiment beaucoup leur nouvel environnement canadien.

« Tout le monde est si accueillant. Je travaille aussi avec beaucoup d’autres femmes, qui sont des modèles pour moi. Je travaille dans les bureaux de Montréal, ce qui me permet de rencontrer les directeurs et de bénéficier de leur expérience pour mon apprentissage », déclarait Mme Osorio Corales. « J’adore la vie à Montréal. »

Pour Mme Puebla Careaga, malgré sa difficulté à s’acclimater aux températures plus basses des Territoires du Nord-Ouest, elle vit actuellement tout ce qu’elle espérait d’une carrière dans cette industrie.

« Les personnes qui travaillent [à Diavik] viennent de Serbie, du Nigéria, de Chine, d’Australie. C’est un brassage des cultures, il n’y a pas que des Canadiens. On comprend donc le point de vue de différentes réalités, ce qui est formidable », ajoutait-elle.

Mme Puebla Careaga ajoutait qu’elle apprécie beaucoup de travailler avec d’autres femmes et de voir qu’elles occupent des postes à haute responsabilité. « On peut désormais en rêver nous aussi, nous dire qu’un jour peut-être, nous y parviendrons. C’est une grande source d’inspiration pour nous. »

S’acclimater à un nouveau pays

Avant d’être embauchées par des sociétés minières, Mmes Osorio Corales, Puebla Careaga et deux autres ingénieures sélectionnées pour l’Artemisa Mining Challenge ont suivi un programme de formation de six semaines durant lequel elles vivaient ensemble à Toronto, une formation linguistique et culturelle, et elles ont appris la terminologie technique.

« C’était vraiment une belle occasion de cohabiter, toutes ensemble dans cette maison. Je me suis liée d’amitié avec elles », indiquait Mme Osorio Corales, expliquant que leurs expériences partagées ont facilité l’installation au Canada.

Pendant leur séjour, elles ont rencontré Sophie Bergeron, directrice exécutive pour le fer, le titane et les diamants à Rio Tinto.

En tant que commanditaires de l’Artemisa Mining Challenge, Rio Tinto et Iamgold financent le programme de formation pour les ingénieurs miniers et, en retour, les sociétés ont la priorité lors du choix des candidates. Les candidates sont présélectionnées par les équipes de l’Artemisa Mining Challenge et de RIM Chile. Pendant le programme de formation, Rio Tinto et Iamgold peuvent les rencontrer afin de déterminer les candidates qui correspondent le plus à leurs besoins.

Mme Bergeron a embauché Mmes Puebla Careaga et Osorio Corales, et n’a pas tari d’éloges sur leur désir d’apprendre dans leurs nouvelles fonctions.

« C’est formidable de voir leur passion dans la discipline qu’elles ont étudiée, [malgré] toutes les difficultés qu’elles ont rencontrées sur leur chemin », expliquait Mme Bergeron. « Elles apportent une bouffée d’air frais. C’est un soulagement de rencontrer de jeunes ingénieures qui sont si heureuses de pouvoir rejoindre notre industrie minière au Canada. »

Jusqu’ici, Rio Tinto a embauché Mmes Osorio Corales et Puebla Careaga par le biais de l’Artemisa Mining Challenge, mais Mme Bergeron indiquait qu’elle a l’intention d’embaucher quatre autres ingénieures d’ici la fin de l’année.

« Chaque société cherche de nouvelles manières d’intégrer une plus grande diversité et inclusion dans sa main-d’œuvre. Artemisa est une initiative très innovante, qui montre que tout est possible quand on a la volonté de faire bouger les choses. Quand on me dit qu’il est difficile [de parvenir] à la diversité, je pense à Artemisa », ajoutait-elle.

Kelly Silva, dirigeante en charge du recrutement des talents à Iamgold, indiquait dans un courriel à l’équipe du CIM Magazine qu’elle était touchée par le dévouement et le courage des femmes sélectionnées par le programme.

« Leur histoire nous rappelle que la passion n’a pas de limite, et que la quête de connaissances et de croissance est une langue universelle qui nous unit toutes et tous. Je suis très heureuse d’avoir la possibilité de partager cette expérience inspirante et je me réjouis de suivre l’évolution de leur carrière », écrivait-elle. Elle ajoutait que les deux nouvelles recrues d’Iamgold, Nikol Cubillos Fernandez et Priscilla Navarro, qui travaillent comme ingénieures en formation dans sa mine de Côté Gold en Ontario, sont « un ajout précieux pour Iamgold ».

Iamgold envisage aussi d’embaucher d’autres femmes par le biais de l’Artemisa Mining Challenge.

Actuellement, Artemisa doit répondre à la demande d’embauche de 17 autres femmes d’ici la fin de l’année, afin d’atteindre son objectif 24 by 24. Mme Gamble ajoutait que l’organisation a présélectionné plusieurs candidates et a reçu de nombreuses candidatures, toutes très inspirantes.

« J’espère qu’elles savent à quel point elles sont formidables. Elles ont beaucoup de courage de s’embarquer dans une telle aventure et de quitter leur pays natal pour s’installer dans des régions reculées, où se trouvent souvent les sites miniers, et de simplement faire ce choix, s’engager et faire de leur mieux. C’est exceptionnel. Ces femmes sont des modèles », concluait Mme Gamble.

Comment déposer sa candidature

Les candidates peuvent déposer leur demande à lArtemisa Mining Challenge via le site Internet de l’initiative ou par le biais de son association partenaire Red Ingenieras de Minas (RIM) Chile.

Les candidates doivent avoir :

» un passeport en cours de validité

» un diplôme en génie minier, géologie, métallurgie ou génie mécanique

» six mois d’expérience pratique dans leur domaine

» un permis de conduire, ou la preuve qu’elles sont en train de le passer

» et au minimum deux doses du vaccin contre la COVID-19.

Les candidates doivent en premier lieu venir dans le pays avec un visa de visiteur. Elles obtiennent un permis de travail une fois qu’elles sont embauchées par une société minière.

Traduit par Karen Rolland