: Jennie Christensen, chef de la direction et fondatrice de la société TrichAnalytics, dans son laboratoire près de Victoria, en Colombie-Britannique. Avec l'aimable autorisation de Jennie Christensen
Un laboratoire de toxicologie de la région de Victoria, en Colombie-Britannique, a développé une nouvelle méthode de dépistage qui permet de mesurer la concentration de métaux dans le corps à partir d’un seul cheveu. L’étude pilote de six mois a recruté 100 volontaires dans le complexe de fonte et d’affinage du zinc et du plomb de Teck Resources, à Trail. Au terme de l’étude le mois dernier, on a pu conclure que l’analyse d’un cheveu était une méthode sensible et efficace de dépistage de la plombémie – en plus d’être rapide et presque indolore.
« Notre objectif était de recourir moins souvent aux aiguilles de prélèvement », explique Jennie Christensen, chef de la direction et fondatrice de TrichAnalytics. Toxicologue de formation, c’est elle qui a dirigé l’étude. « Nous avons trouvé un moyen d’approximer le taux de plomb sanguin à partir de la concentration de plomb dans un cheveu. Nous pouvons analyser n’importe quel cheveu sain, à condition qu’il pousse et que sa racine soit intacte. »
Les travailleurs de la fonderie ayant une aversion pour les prises de sang ont accueilli avec soulagement cette nouvelle technique d’échantillonnage non invasive, qui se résume à prélever trois à cinq cheveux avec une pince à sourcils.
« Relever les risques pour la santé au travail et les gérer pour veiller à la santé à long terme de nos employés font partie des valeurs et des politiques préconisées par Teck, affirme Corrine Balcaen, directrice de la santé et de l’hygiène au travail de Teck. Nous avons été ravis d’appuyer ce projet pilote, qui pourrait remplacer partiellement ou complètement les contrôles sanguins de l’exposition aux substances nocives en milieu de travail, et rendre le processus plus simple et confortable pour nos employés. »
La méthode pourrait trouver des applications dans la communauté, comme le dépistage de la plombémie chez les enfants et les familles vivant à proximité de sites industriels. Teck, en partenariat avec la municipalité de Trail et l’Interior Health Authority de la Colombie-Britannique, œuvre au sein d’un comité régional de santé et d’environnement, le Trail Area Health and Environment Committee (THEC), qui fait le dépistage de la plombémie chez les enfants de la communauté. À l’heure actuelle, le comité collecte régulièrement des échantillons de sang sur une base volontaire.
Jusqu’à tout récemment, les taux de plomb sanguin étaient élevés dans la région de Trail. En 1989, les enfants de 6 à 36 mois vivant à Trail enregistraient en moyenne 13,5 microgrammes de plomb par décilitre de sang. Ce taux était descendu à 4 microgrammes par décilitre en 2017, la plus basse mesure jamais enregistrée, selon une déclaration du THEC diffusée en février. Selon la norme canadienne en vigueur, le seuil d’intervention est un taux de plomb sanguin de 10 microgrammes par décilitre. Les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, pour leur part, recommandent des tests pour les personnes enregistrant un taux de 5 microgrammes par décilitre.
Après avoir reçu les échantillons de cheveux, Jennie Christensen et son équipe du laboratoire TrichAnalytics emploient la technique d’ablation au laser et spectroscopie de masse à plasma à couplage inductif (LA-ICP-MS) pour analyser une section de trois millimètres de l’échantillon près de la racine, juste sous la peau, pour éliminer tout effet de contamination de l’échantillon par le plomb se trouvant dans l’environnement.
« Nous avons développé un algorithme statistique qui nous permet de trouver le point exact où le taux de plomb dans le cheveu correspond au taux de plomb dans le sang, explique Jennie Christensen. Notre laboratoire est le seul à faire cette analyse commercialement. »
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Le dépistage de l’exposition au plomb est indispensable car, à faible concentration, le plomb a des effets néfastes sur le système nerveux entraînant une faiblesse dans les membres, l’anémie et l’hypertension artérielle. À forte concentration, le plomb endommage gravement le cerveau et les reins. Jennie Christensen explique que, dans le passé, les échantillons de cheveux étaient surtout utilisés pour les analyses nutritionnelles, et non pour des contrôles sanitaires en milieu de travail, qui étaient considérés comme inexacts et imprécis à cause des effets de la contamination.
Ce problème de contamination a été résolu par Jennie Christensen dans une étude antérieure, qui portait sur les causes du décès de l’un des marins de la tragique Expédition Franklin de 1845, John Hartnell. Dans cette étude, Jennie Christensen a analysé un ongle vieux de 170 ans ayant appartenu à John Hartnell. Au moyen d’une analyse par fluorescence X, Jennie Christensen et ses collègues ont cartographié la distribution de certains éléments sur la surface extérieure et la surface intérieure de l’ongle. Ce travail leur a permis de perfectionner une méthode de mesure de la contamination dans les tissus en croissance, et d’élucider le rôle du plomb dans le décès du marin.
« L’étude sur l’Expédition Franklin nous a permis de comprendre comment la contamination influe sur les résultats, et comment en soustraire les effets. Il suffisait d’appliquer cette approche au domaine de la santé au travail, explique Jennie Christensen, qui a publié ses résultats d’analyse et ses conclusions sur l’intoxication au plomb des membres de l’Expédition Franklin dans le numéro de décembre 2017 du Journal of Archeological Science. Nous utilisons la partie du cheveu protégée par le cuir chevelu et le follicule, qui est moins touchée par la contamination environnementale. Même les cheveux teints, traités ou endommagés peuvent être analysés. »
L’étude pilote de Jennie Christensen a été menée parallèlement au programme conventionnel de prélèvements sanguins sur les lieux de travail de Teck. Plus de 70 pour cent des participants se sont prononcés en faveur du nouveau test capillaire; seulement neuf pour cent auraient préféré garder le test sanguin. Dans l’avenir, le test capillaire non invasif pourrait être utilisé pour obtenir une approximation du taux de plomb dans le sang, et un test sanguin pourrait être prescrit si le taux de plomb dans le cheveu dépassait un certain seuil.
Pour les besoins de cette étude pilote, Teck a fourni à TrichAnalytics une aide financière, une aide matérielle et un accès au personnel de Trail. Le Programme d’aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada a également contribué au projet. Le projet a suscité des réactions positives, et des pourparlers sont en cours pour élargir le programme à Trail et ailleurs, affirme Jennie Christensen.
« Nous sommes à la recherche de sociétés avant-gardistes qui souhaitent changer leurs méthodes de dépistage », affirme la scientifique, qui espère que sa méthode, par sa rapidité et sa simplicité de prélèvement, deviendra un outil de prévention dans les mines, les fonderies, les raffineries, les usines de fabrication et de recyclage des piles et les ateliers de soudage, ainsi que dans les communautés environnantes.
« Au lieu de faire des tests sanguins une ou deux fois par année, nous pourrions analyser des cheveux plus fréquemment, peut-être une fois par mois, et détecter précocement des tendances. Cela nous permettrait d’intervenir plus rapidement », conclut-elle.