Échantillonnage d’eau à la mine de Medialine d’Agnico Eagle dans le Nunavut. Mathieu Dupuis, avec l’aimable autorisation de Mines Agnico Eagle
Barrick Gold Corporation a publié son rapport 2022 sur le développement durable en avril cette année, et les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies y figuraient en premier plan. Ceci constitue un nouvel exemple de sociétés minières se tournant récemment vers les ODD pour aller au-delà des cadres et des exigences de divulgation des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
« En prenant les ODD comme grandes lignes de notre rapport, nous sommes plus à même d’appliquer une approche intégrée et holistique à la gestion de la durabilité. Nous évitons ainsi de suivre un mode de pensée cloisonné et une approche symbolique pouvant être la conséquence de l’adoption d’une méthode axée sur la conformité aux critères ESG », lisait-on dans le rapport de Barrick.
Créés en 2015, les ODD sont 17 objectifs interdépendants qui présentent un schéma directeur en faveur d’un avenir plus équitable et plus durable à l’horizon 2030 en répondant à des enjeux mondiaux liés à la pauvreté, au changement climatique, à l’inégalité et plus encore.
En avril 2023, l’Organisation des Nations Unies (ONU) déclarait que « seulement 12 % des ODD sont en phase d’être atteints ». Elle appelait à prendre des mesures déterminantes pour rectifier nos orientations et satisfaire l’échéance à l’horizon 2030. D’après l’ONU, compte tenu de son incidence sur l’environnement et les économies locales à l’échelle internationale, l’industrie minière peut contribuer à atteindre nombre de ces objectifs, et même montrer la voie.
Si aucun des ODD ne fait explicitement référence à l’exploitation minière, l’industrie peut toutefois s’appuyer sur plusieurs d’entre eux pour faire évoluer la divulgation de ses critères ESG. D’après Patrick Drouin, premier vice-président des relations avec les investisseurs et de la durabilité à Wheaton Precious Metals, qui s’est engagée à soutenir les ODD en 2019, le grand avantage de se conformer aux ODD pour les sociétés minières est que les objectifs aident à présenter un cadre holistique où les sociétés peuvent intégrer divers ODD et répondre à plusieurs problèmes simultanément, plutôt que d’adopter une approche graduelle ou fragmentée.
Mines Agnico Eagle est une autre société qui s’inspire des ODD pour communiquer ses indicateurs de développement durable. Elle présentait pour la première fois en 2017 son alignement sur les objectifs. « Nous avons pris des mesures afin d’aligner tous nos travaux en faveur de la durabilité des communautés et de la société sur le cadre défini par les ODD de l’ONU », déclarait Melanie Plante, directrice de la performance et de l’engagement en matière de durabilité à Agnico Eagle, à l’équipe du CIM Magazine.
Pour Agnico Eagle, les ODD offrent une orientation à son approche en matière de durabilité, et constituent un objectif commun pour l’industrie d’œuvrer dans le même sens. D’après Mme Plante, les ODD ont plus de valeur qu’une société ou que l’industrie. Ils ouvrent la voie à des actions collectives pour bâtir un avenir meilleur et offrent des manières concrètes de contribuer à cet objectif ainsi que l’inspiration nécessaire pour aller plus loin. « Cela implique que l’on gère certaines questions, et que l’on repousse les frontières des pratiques exemplaires », indiquait-elle. « En d’autres termes, nous devons chaque année atteindre le niveau supérieur pour parfaire nos actions. »
Agnico Eagle a récemment fait équipe avec le gouvernement du Québec pour utiliser les résidus ne produisant pas d’acide de sa mine d’or de Goldex pour l’assainissement du site abandonné de Manitou, dans le nord-ouest du Québec. L’assainissement du site est en lien direct avec les ODD 6 et 15 qui définissent, respectivement, des cibles pour garantir l’accès de toutes et tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable, et pour préserver et restaurer les écosystèmes terrestres et d’eau douce, en veillant à les exploiter de façon durable. Mme Plante qualifiait ce partenariat de « mutuellement bénéfique » pour ses contributions aux ODD.
D’autres sociétés minières suivent son exemple. Teck, par exemple, s’est engagée à aligner sa stratégie de durabilité sur les ODD en 2022. L’une de ses initiatives qui contribue aux ODD vise à adopter une « approche positive à l’égard de la nature à l’horizon 2030 » (un cadre émergeant qui vise à « [stopper] et [inverser] la destruction de la nature d’ici à 2030 », comme le décrit le Forum économique mondial). Ce cadre aidera Teck à s’aligner sur l’objectif 15, qui porte sur l’exploitation durable des terres. Pour répondre à cet objectif, Teck précisait sur son site Internet qu’elle prévoit de collaborer avec des partenaires locaux, des Autochtones et avec les communautés dans l’optique de préserver les terres ayant une importance sur les plans écologique et culturel. Parmi les mesures prises par la société figure un don de 10 millions de dollars en juin au programme chilien sur les zones marines protégées, en mettant l’accent sur l’archipel Juan Fernández, classé réserve de biosphère par l’UNESCO et « l’un des écosystèmes les plus menacés au monde ».
Les sociétés minières ont la responsabilité de réduire leur incidence sur l’environnement et doivent aussi, comme le précise l’ONU, s’assurer que, « lorsqu’elles génèrent des profits, une hausse de l’emploi et une croissance économique dans des pays à faibles revenus », ces avantages se poursuivent au-delà de la durée de vie de la mine. Toutefois, elles doivent aussi s’assurer que les objectifs organisationnels existants sont déjà alignés sur les ODD. Par exemple, l’exploitation des métaux et des minéraux critiques est nécessaire pour satisfaire l’objectif 13 dédié à la lutte contre les changements climatiques, lequel définit une cible visant à atteindre à l’horizon 2030 des réductions de 40 % à 45 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en deçà des niveaux de 2010, et à éliminer totalement les émissions de GES à l’horizon 2050. « On ne pourra s’attaquer à l’action climatique sans cuivre, lithium ou cobalt », déclarait M. Drouin à l’équipe du CIM Magazine.
L’industrie s’aligne également sur l’objectif 10, ajoutait-il, qui vise à réduire les inégalités de revenus. « À mes yeux, l’exploitation minière constitue le meilleur moyen de transférer les ressources des zones urbaines plus riches vers les zones rurales qui n’en ont pas », indiquait-il. « C’est là que l’industrie minière se distingue. Il n’est pas question d’installer une usine de puces en silicone en pleine zone rurale mexicaine, mais [on peut y construire une mine] si le sol renferme de l’or. Ceci offrira des intérêts économiques à la région [au travers de] la création d’emplois, de la croissance économique, de l’infrastructure communautaire et du financement de programmes sociaux. C’est crucial. »
Toutefois, il est parfois difficile de se conformer aux ODD, notamment pour mesurer l’incidence des politiques et des pratiques, expliquait M. Drouin. « [L’impact] n’est pas toujours quantifiable, mais on peut s’assurer de retirer le maximum de bénéfices des efforts mis en œuvre. » Le durcissement de l’environnement réglementaire dans certaines régions du monde pourrait, selon lui, empêcher les sociétés minières de progresser vers les objectifs et de devenir des acteurs du changement.
Des difficultés externes entrent également en jeu. D’après M. Drouin, si les permis et les réglementations limitant l’exploitation minière peuvent donner l’illusion de protéger l’environnement, cela vient compromettre certains intérêts économiques qui réduisent la pauvreté et l’insécurité alimentaire et qui améliorent la santé et le bien-être tout en contribuant davantage à la région. « L’exploitation minière joue un rôle crucial, aussi il est toujours inquiétant de voir les autorisations réglementaires pour l’attribution de permis devenir toujours plus strictes et créer des obstacles », ajoutait-il. « Si l’exploitation minière est menée de manière responsable, elle peut s’aligner sur 16 des 17 ODD. Qu’elle perturbe les terres, cela ne fait aucun doute. [Mais] elle peut mener ses activités de manière responsable et gérer tout le reste. »
Si plusieurs sociétés minières prennent des mesures, un rapport de 2020 de la Responsible Mining Foundation (la fondation pour l’exploitation minière durable) intitulé Mining and the SDGs: a 2020 status update (rapport d’étape de 2020 sur l’exploitation minière et les ODD) indiquait que l’adoption des ODD dans l’industrie minière doit se généraliser si cette dernière souhaite s’y conformer. Le rapport, qui passait en revue les politiques et les pratiques de 38 grandes sociétés minières à l’échelle internationale, déclarait que les mesures systématiques prises par les sociétés dans les 17 ODD « faisaient cruellement défaut » et « qu’aucune des sociétés ne prenait de mesures globales pour se conformer aux 17 ODD ».
Le rapport énumérait quatre ODD pour lesquelles les sociétés minières ne prenaient que très peu de mesures. Il s’agissait de l’ODD 3 dédiée à la bonne santé et au bien-être, de l’ODD 5 sur l’égalité des sexes, de l’ODD 6 sur l’accès de toutes et tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement, et de l’ODD 14 sur la vie aquatique. En outre, le rapport postulait que, si certaines sociétés insistent énormément sur la priorité de ces objectifs, les ODD 3 et 6 font partie « des ODD auxquels est fréquemment accordée la plus grande priorité, mais qui montrent des niveaux d’action de la part des sociétés minières parmi les plus faibles ».
Pour atteindre les objectifs à l’horizon 2030 et au-delà, le rapport indiquait que l’action doit constituer une priorité. « [Les objectifs] offrent un certain degré d’ambition, mais à défaut d’agir, cela ne fera pas de différence », indiquait Mme Plante. « C’est formidable de pouvoir dire que l’on est alignés sur les objectifs et que l’on cible certains domaines, mais à défaut de pouvoir démontrer concrètement nos actions, et de mettre en œuvre des initiatives sur le terrain, on ne parviendra jamais à atteindre ces objectifs. »
Traduit par Karen Rolland