Site Highland Valley Copper de Teck, en Colombie-Britannique. Le gouvernement canadien a obtenu l’engagement de Teck Resources à réinvestir un montant important des produits de la vente de ses activités de charbon sidérurgique à Glencore, dans son portefeuille de croissance pour le cuivre. Avec l’aimable autorisation de Teck Resources
Il est peu probable que la décision prise par le gouvernement fédéral de limiter les prises de contrôle étrangères de compagnies minières canadiennes exploitant des minéraux critiques ait un impact significatif sur le secteur, et elle ne devrait affecter que les plus grandes entreprises du pays, d’après ce que disent les avocats et les analystes.
Dans une déclaration faite le 4 juillet, et qui a accompagné l’approbation de l’acquisition par Glencore, pour 6,9 millions de dollars US, de Elk Valley Resources (EVR), qui constitue la branche du charbon sidérurgique de Teck Resources, le ministre Francois-Philippe Champagne a affirmé qu’à partir de maintenant, il n’autoriserait l’acquisition, par des étrangers, de « compagnies minières canadiennes importantes engagées dans l’exploitation de minéraux critiques … que dans les circonstances les plus exceptionnelles. »
La majorité des transactions de ce type ne répondrait plus au critère de l’avantage net en vertu de la Loi sur Investissement Canada, a déclaré M. Champagne, ajoutant que le fait d’avoir mis la barre plus haut reflétait « l’importance stratégique » du secteur des minéraux critiques au Canada, et la nécessité de poser une action « décisive » pour le protéger.
Michael Pickersgill, partenaire chez Torys LLP et responsable des pratiques de l’entreprise en matière d’exploitation minière et de métaux, a dit dans une entrevue accordée au CIM Magazine que le but de cette politique était d’appuyer l’industrie de la transition énergétique.
« Des minéraux critiques, nous en avons. Mais en fait, pas autant que certaines personnes pourraient le penser en termes de minéraux critiques purs en tant que tels, mais nous avons des entreprises de premier ordre qui possèdent ces actifs et de nouveaux actifs potentiels, » a-t-il dit. « Le gouvernement veut entretenir cette infrastructure, et cela inclut d’avoir des compagnies ayant leur siège social au Canada, des compagnies leaders au Canada, parce que cela aide à développer et à conserver un rôle de leader au niveau mondial. »
Une surveillance accrue
Le Canada a considérablement renforcé sa vigilance par rapport aux investissements étrangers et aux prises de contrôle de minières canadiennes dans les récentes années. En 2022, le gouvernement a commencé à exiger que toute tentative d’investissement ou d’acquisition d’une compagnie minière canadienne par une entreprise d’État passe par un examen relatif à la sécurité nationale, ce qui a mené à un nombre records d’examens de ce type en 2022-23. Durant cette période, on a dénombré 32 investissements, une forte augmentation par rapport aux 24 investissements effectués l’année précédente, d’après le rapport annuel de la Loi sur Investissement Canada.
Solaris Resources, une petite entreprise canadienne avec un projet cuivre-or encore au stade de l’exploration, a annulé un investissement de 130 millions de dollars de la compagnie chinoise Zijin Mining en mai, déclarant que l’accord prendrait trop temps à suivre le processus de l’examen relatif à la sécurité nationale.
En juillet, Falcon Energy Materials, autrefois SRG Mining, a redomicilié son siège social de Montréal aux Émirats Arabes Unis (EAU). Quelques mois plus tôt, en mars, l’entreprise avait annulé une opération d’investissement de 16,9 millions de dollars avec une société chinoise en raison d’un processus d’approbation trop long.
Dans un communiqué de presse diffusé le 2 juillet, la société Falcon déclarait que la redomiciliation aux EAU allait lui offrir « des options stratégies élargies pour faire avancer ses discussions relatives aux partenariats. »
Mike Kilby, un partenaire chez Stikeman Elliott et responsable du groupe concurrence et investissements étrangers, a déclaré que cette politique fait écho au débat né au début des années 2000 au sujet de l’impact de l’absorption de trois géants de l’industrie minière du Canada, Inco Ltd, Falconbridge Ltd. et Alcan, respectivement par Vale, Xstrata et Rio Tinto. (Stikeman a représenté Teck Resources pour la vente d’EVR.)
« L’idée était de se demander si c’était « une bonne politique ». Pas que cela menace la sécurité nationale, mais plutôt… si cela présentait des avantages pour l’écosystème minier canadien avec le fait d’avoir des sociétés minières à très forte capitalisation ayant leur siège social au Canada, constituées au Canada, et inscrites à la Bourse de Toronto, » a-t-il déclaré.
La politique a soulevé des inquiétudes dans le secteur à l’effet que les investisseurs étrangers allaient devenir méfiants pour ce qui est d’investir dans des entreprises canadiennes, même dans les petites et moyennes entreprises.
« Si vous créez des contraintes dans un marché financier, cela ne peut pas être positif, » a dit Dean McPherson, responsable du secteur minier mondial pour TMX Group Ltd, qui gère la Bourse de Toronto et la Bourse de croissance TSX, dans une entrevue accordée au CIM Magazine. « Les entreprises devront commencer à chercher des façons de se protéger. »
Jeff Killeen, directeur des politiques et des programmes pour la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs), a écrit dans un courriel adressé au CIM Magazine que le manque de clarté entourant l’expression « dans les circonstances les plus exceptionnelles créait de l’incertitude » qui pourrait avoir un impact négatif sur la valeur des entreprises minières du pays par rapport à leurs homologues du reste du monde.
Toutefois, M. Kilby, a minimisé l’impact des nouvelles directives. Contrairement à un examen relatif à la sécurité nationale, qui peut s’appliquer à des transactions de toute taille et de toute nature, le critère de l’avantage net de la Loi sur Investissement Canada n’entre en jeu que durant des prises de contrôle, par des acheteurs étrangers, d’entreprises canadiennes de taille importante, généralement celles d’une valeur de 2 milliards de dollars ou plus.
Il a ajouté que le gouvernement n’a bloqué qu’à deux reprises des transactions pour des raisons d’avantage net, incluant la tentative de prise de contrôle hostile, par BHP, de Potash Corp, en 2010, une société dont le siège se trouvait à Saskatoon, et qui a plus tard fusionné avec Agrium pour former Nutrien.
Les analystes de la Banque Scotia, Orest Wowkodaw et Eric Winmill, ont écrit dans une note du 16 juillet qu’ils s’attendaient à ce que « seulement les plus grandes sociétés minières engagées dans l’exploitation de minéraux critiques ayant leur siège social au Canada soient susceptibles d’être pleinement protégées des acheteurs étrangers », et qu’il était peu probable que le gouvernement barre la route à des transactions de fusions et acquisitions impliquant des petites et moyennes entreprises, à moins qu’il n’y ait des inquiétudes en matière de sécurité nationale.
« Le statut de projets de développement à court terme ou en cours de construction pourrait être sujet à interprétation si ces projets impliquaient d’importants actifs ayant des impacts matériels sur leurs bourses de marchandises respectives ; il est probable que des projets de ce type soient traités au cas par cas, » ont-ils écrit.
M. Wowkodaw et M. Winmill ont déclaré croire que Teck et Cameco sont interdites d’accès aux acheteurs étrangers, et possiblement Nutrien. Il est probable que de grandes compagnies minières sans actifs au Canada et ayant un siège social relativement petit, comme First Quantum Minerals et Ivanhoe Mines Ltd, soient exemptées de la politique, » ont-ils écrit.
Engagements des acheteurs
M. Kilby a dit qu’il ne considérait pas que cette politique signifiait de fermer la porte à toute tentative de prise de contrôle de sociétés minières canadiennes à forte capitalisation. La voie à suivre pour qu’une transaction soit approuvée a toujours historiquement été une question d’engagements pris par l’acheteur, ce qui peut inclure l’engagement de fonds dans la recherche et le développement au Canada, et, dans le secteur minier, pour faire avancer des projets canadiens.
Il est aussi probable que le gouvernement serait ouvert à des tentatives d’acquisition par des entreprises ayant leur siège social dans le Groupe des cinq (une alliance de renseignement comprenant l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, et les États-Unis) ou dans d’autres juridictions amies, a déclaré M. Pickersgill.
Selon lui, la déclaration de politique devrait être lue en conjonction avec l’approbation par le gouvernement de l’accord Glencore-Teck. Si le charbon métallurgique ne figure pas sur la liste des minéraux critiques du Canada, le gouvernement a tout de même inclus des conditions pour la vente.
Il a été exigé de la multinationale qu’elle s’engage à établir et à conserver un siège social canadien pour EVR à Vancouver, et des bureaux régionaux à Calgary et à Sparwood, en Colombie-Britannique, et qu’elle s’assure que la majorité des membres du conseil d’administration d’EVR soient canadiens, et qu’au moins deux tiers des dirigeants et des cadres supérieurs soient des Canadiens, tout cela pour au moins 10 ans. De plus, pendant au moins cinq ans, l’entreprise doit conserver « des niveaux d’emploi importants » chez EVR.
Glencore a hérité des obligations de Teck en vertu de l’obligation de réhabilitation requise par le gouvernement de la Colombie-Britannique. La société a également assumé la responsabilité de payer toutes les obligations environnementales en vertu du droit canadien qui ne sont pas couvertes par l’obligation jusqu’en 2050. L’entreprise resterait responsable de ces obligations même si elle décidait de vendre ou de défusionner EVR dans le futur, à moins que le ministre de l’Industrie ne soit satisfait du fait que le nouveau propriétaire d’EVR pourrait reprendre ses passifs environnementaux.
L’entreprise a aussi accepté de consacrer 350 millions de dollars de plus à des activités de réhabilitation et de fermeture, sur une période de cinq ans, afin de maintenir les engagements d’EVR envers les Premières Nations, et pour travailler « en toute bonne foi » avec les Premières Nations afin de trouver des occasions d’augmenter leurs bénéfices provenant des activités de charbon métallurgique.
« L’intention ici, c’est qu’ils veulent soutenir le développement de l’industrie canadienne, » a dit M. Pickersgill. « Le but [des conditions] était de protéger une compagnie canadienne elle-même, comme on s’y attendrait dans le contexte de l’avantage net. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont aussi intégré des éléments concernant les engagements ESG, s’agissant de maintenir des engagements en matière d’obligation de réhabilitation. Ils ont envisagé cela d’une manière un peu plus holistique lorsqu’ils ont réfléchi au maintien d’une entreprise canadienne et de normes d’exploitation canadiennes. »
Il est probable que des délais d’approbation plus longs vont dorénavant devenir une caractéristique de toute transaction majeure, selon M. Pickersgill.
« L’accord [Glencore-Teck] a pris huit mois à se concrétiser, » a-t-il dit. Étant donné la nature politique de la chose, même si les gens veulent essayer d’élaborer des circonstances exceptionnelles pour les transactions, on peut s’attendre à des délais plus longs. »
Traduit par Michèle Tirlemont