Participants à la session plénière d'ouverture (de gauche à droite) : Don Duval de Norcat (modérateur) ; Saskia Duyvesteyn de Rio Tinto ; Jeff Moore de MineSense Technologies ; Kim Keating de Pan American Silver et Eric Desaulniers de Nouveau Monde Graphite. Photo : Jon Benjamin Photography
Rohitesh Dhawan, président et directeur général de l’International Council on Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux), a prononcé un discours d’ouverture qui a marqué le lancement de la discussion plénière en groupe du 5 mai au congrès et salon commercial CIM CONNECT 2025. Il a commencé ce discours en citant des exemples de sites miniers dans le monde qui illustrent l’esprit d’initiative éthique dans leur utilisation de la technologie.
L’un de ses exemples concernait Los Bronces, une mine à ciel ouvert et usine de cuivre et molybdène située à 65 kilomètres au nord-est de Santiago, au Chili. Ces 40 dernières années, c’est Anglo American qui exploite cette mine, créée en 1867. Il s’agit de l’une des plus grandes mines de cuivre (uniquement disponible en anglais) au monde, et elle renferme deux pour cent des réserves de cuivre mondiales connues. Durant la transformation technologique de la mine, qui a entraîné l’automatisation d’environ un tiers de son parc et l’ouverture d’un centre d’exploitation intégré à distance (IROC, de l’anglais integrated remote operating centre) à Santiago en 2021, Anglo American s’est engagée à ce que cette transformation n’entraîne aucune perte d’emploi.
« L’automatisation peut s’accompagner d’une réduction du nombre de travailleurs », déclarait M. Dhawan. « Plutôt que de considérer que cela s’inscrit dans les coûts regrettables liés aux affaires, Anglo American l’a envisagé différemment. La société s’est engagée à ne licencier personne involontairement en raison de l’évolution vers ce centre d’exploitation intégré à distance, et elle a tenu sa promesse. »
Il décrivait l’approche de la société, qui consistait à reformer son personnel et à leur attribuer de nouveaux postes afin que la technologie ne remplace aucun emploi. Par ailleurs, au lieu de développer le centre pour desservir sa mine d’El Soldado, située à 125 kilomètres au nord de Santiago, la société a construit un nouvel IROC proche de la mine pour créer des emplois locaux.
Il concluait en précisant que ce genre de récits « nous montre qu’en tant que secteur, nous avons de quoi être fiers et confiants dans notre capacité à exploiter et à extraire dans le respect des principes, et de diriger avec un but. »
Après le discours-programme, une discussion en groupe s’est penchée sur les difficultés et les possibilités qu’offrait l’utilisation des nouvelles technologies dans l’industrie minière.
Présidée par Don Duval, directeur général de NORCAT, la discussion comprenait l’intervention de Saskia Duyvesteyn, conseillère en chef de la recherche et du développement à Rio Tinto, Jeff More, président et directeur général de MineSense Technologies, Kimberly Keating, membre du conseil d’administration de Pan American Silver et Eric Desaulniers, fondateur, président et directeur général de Nouveau Monde Graphite.
M. Duval a inauguré la session en demandant aux membres du groupe si le problème de l’industrie minière était l’innovation en tant que telle, ou plutôt son adoption et son utilisation.
D’après Mme Duyvesteyn, l’innovation réunit les personnes, la technologie et les processus ou les systèmes. « Nous avons tendance à nous intéresser principalement à cet élément de technologie, à la manière de l’inventer, de le développer. C’est toutefois cet élément qui permet de réunir les personnes, les systèmes. Il faut s’intéresser davantage à la manière dont nous utilisons la technologie, l’interaction des personnes avec cette dernière, son évolution. C’est selon moi à ce moment-là que des choses intéressantes commencent à se produire. De fait, dès que les personnes interagissent avec la technologie, on comprend que cela ouvre de nombreuses possibilités dont nous [n’]avions pas conscience. »
D’autres déclaraient que si les sociétés minières intègrent déjà des technologies de pointe dans leurs activités, l’industrie a la réputation d’être relativement conservatrice lorsqu’il est question d’innovation, en raison de l’investissement conséquent nécessaire pour intégrer une technologie totalement nouvelle ou révolutionnaire. « Le taux d’adoption représente encore un problème qui empêche l’industrie d’aller de l’avant plus rapidement », déclarait-il.
Mme Keating suggérait que les sociétés ont à l’esprit le concept d’échec rapide pour encourager leur société à mettre en œuvre de nouvelles technologies. « Je ne pense pas que l’innovation soit le problème pour notre industrie. Comme beaucoup, je pense que c’est l’intégration et l’adoption de l’innovation qui posent problème, ces nouvelles technologies innovantes qui nous mèneront jusqu’aux années à venir », indiquait-elle.
M. Desaulniers faisait remarquer qu’il est difficile d’être innovant avec un projet entièrement nouveau, citant comme exemple le projet phare de Matawinie de NMG, une mine de graphite à ciel ouvert proche du village de Saint-Michel-des-Saints, au Québec. En effet, les investisseurs sont plutôt hésitants à prendre des risques.
« Ils ne veulent rien savoir du terme " nouveau " », déclarait-il. « Ils veulent des technologies éprouvées. Il faut vraiment choisir ses combats en termes d’innovation lorsque l’on développe un projet entièrement nouveau. C’est notre réalité. Nous voulons innover, mais nous devons d’abord comprendre clairement si cela [pourrait fonctionner]dans une exploitation commerciale avant de changer [quoi que ce soit]. »
Les membres du groupe ont également débattu des avantages et des difficultés qui accompagnent l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) à l’exploitation minière.
D’après Mme Duyvesteyn, l’IA devrait aider les humains à prendre des décisions, créant ainsi ce qu’elle qualifie d’intelligence décisionnelle, déclaration qui lui a valu une vague d’applaudissements du public.
« Nous envisageons souvent l’IA comme l’entité prenant des décisions, mais quand les humains utilisent l’IA pour prendre des décisions, [c’est] là que l’on obtient un réel changement », ajoutait-elle. « C’est une occasion concrète pour nous d’opérer un changement de stratégie et de réellement envisager la manière dont nous pouvons concrètement utiliser l’[IA] dès maintenant. C’est de là que nous tirerons de la valeur. »
M. Desaulniers était du même avis que Mme Duyvesteyn, indiquant que « les humains utilisent l’IA aujourd’hui lorsqu’ils en ont assez de prendre la même décision. Ils souhaitent automatiser une décision qu’ils prennent tellement souvent qu’ils finissent par s’en lasser. »
Mme Duyvesteyn ajoutait que si l’IA peut paraître prometteuse, il est important de ne pas négliger les investissements dans l’infrastructure et les autres aspects essentiels d’une mine.
« L’[IA] apparaît certes comme un outil brillant, mais il faut se rappeler qu’elle repose sur les données fondamentales que sont la qualité, la gouvernance et l’infrastructure, ce qui est bien moins passionnant », indiquait-elle. « Nous aimons dire que nous devons traiter les données comme un atout, et qu’il faut donc investir dans ces systèmes, tout autant que l’on investit dans des pompes. La meilleure IA ne compensera pas la qualité médiocre des données ni les mauvaises décisions prises sur la base de ces données. »
Les membres du groupe ont également évoqué le fait que si l’industrie existe depuis bien longtemps, elle déborde de progrès technologiques, et l’innovation pourrait l’aider à résoudre son problème de pénurie de main-d’œuvre de l’industrie minière.
Mme Duyvesteyn indiquait que Rio Tinto étend sa technologie au milieu scolaire, à partir du lycée, pour montrer que l’industrie minière est un secteur hautement technologique. La société explique également la manière dont l’industrie minière tente d’aborder son rôle dans l’une des plus grandes difficultés de notre temps, le changement climatique.
« Pour les générations à venir, il faut penser à ces grands problèmes mondiaux. Nous essayons de leur expliquer que l’industrie minière fait partie de la solution », indiquait-elle.
Mme Keating recommandait aux sociétés de penser aux compétences qui deviendront nécessaires dans la main-d’œuvre, pas seulement aujourd’hui mais aussi à l’avenir. « Il faut se demander quelles compétences principales seront indispensables pour attirer les plus grands talents en 2030 », indiquait-elle. « Elles [seront] bien différentes d’il y a 15 ans en arrière, avec les mégadonnées, l’IA, la pensée critique. »
Elle ajoutait que s’il est important de parler des choses passionnantes qui se passent dans l’industrie pour attirer de jeunes talents, l’industrie minière ne peut pas perdre de vue sa main-d’œuvre existante.
« Il ne faut pas oublier qu’une large cohorte dans nombre des sociétés minières est d’une autre génération », rappelait-elle. « Il [est important] d’essayer de gérer cela à mesure que nous intégrons plus de technologie et de ne pas exclure [cette cohorte], car nous avons encore besoin de ces personnes dans nos exploitations minières. »
M. Desaulniers ajoutait que l’industrie minière n’a jamais été « aussi séduisante ». Il indiquait que le Premier ministre Mark Carney et le président des États-Unis Donald Trump font constamment la une en parlant de l’importance des minéraux critiques, et qu’il est temps de saisir ce regain d’intérêt.
Il ajoutait qu’il est essentiel de nouer le dialogue avec les communautés autochtones, qui pourraient constituer une part encore plus importante de la main-d’œuvre. « Je pense que l’industrie minière leur est chère. Elle est chère à leur communauté. Nous devons trouver un moyen d’attirer tout ce talent inexploité dans l’industrie minière. S’ils veulent travailler dans la technologie dans le secteur minier, cela est tout à fait possible. S’ils veulent conduire un camion et extraire des minéraux, c’est aussi possible. S’ils veulent travailler dans l’usine, nous avons besoin de tout un ensemble de compétences. Il est de notre responsabilité de rendre notre industrie séduisante. »
Traduit par Karen Rolland