Le Dr Vikram Yadav et son équipe de chercheurs de l'université de la Colombie-Britannique (UBC) produisent par génie biologique une souche d'E. coli pour oxyder les acides naphténiques présents dans les eaux contaminées par le traitement des sables bitumineux. Avec l'aimable autorisation de Metabolik Technologies
Les eaux de traitement sont une source d'irritation constante pour les exploitations de sables bitumineux. Les eaux contaminées par le traitement des sables bitumineux (OSPW, de l'anglais oil sands process-affected water), résultant de l'extraction du bitume dans les sables bitumineux du Canada, contiennent des solides en suspension, des matières dissoutes, des sels ainsi que des polluants organiques. « Il s'agit essentiellement d'un mélange collant et gluant de sables, de pétrole, de glace et de matières organiques problématiques », expliquait Vikram Yadav, chercheur à l'université de la Colombie-Britannique (UBC). Si la majeure partie de ces eaux est recyclée, elles devront tout de même être traitées à un moment donné, puis libérées dans l'environnement.
D'après M. Yadav, une société d'extraction des sables bitumineux estime qu'elle générera entre 50 et 100 millions de mètres cubes (m3) d'OSPW d'ici à 2045.
Pour la plupart de ces composants, des procédés de séparation et de purification ont été mis au point afin de réduire leur concentration à des limites acceptables. Cependant, ce sont les polluants organiques connus sous le nom d'acides naphténiques (AN) qui posent problème.
Aujourd'hui encore, il n'existe aucune solution modulable et rentable qui permet d'éliminer ces AN. Ainsi, une fois éliminés les autres polluants organiques, la concentration dans les OSPW restantes est de l'ordre de 25 à 50 milligrammes par litre (mg/l) d'AN, laquelle présente une toxicité chronique et sévère pour la faune locale.
M. Yadav et son équipe de chercheurs de l'UBC œuvrent actuellement à utiliser une souche d'E. coli produite par génie biologique pour oxyder les acides naphténiques présents dans les eaux contaminées par le traitement des sables bitumineux. En faisant équipe avec Metabolik Technologies, une entreprise en démarrage financée par Evok Innovation et fondée pour offrir cette solution à l'industrie, ils ont pu obtenir un financement de 100 000 $ par le biais du programme de partenariat des utilisateurs de Genome BC en vue de développer cette souche microbienne. « Ce projet offre une application et une solution très concrètes à un problème inhérent au secteur minier », déclarait Catalina Lopez-Correa, agent scientifique en chef et vice-présidente du développement de secteur à Genome BC.
Ces bactéries s'autodétruiront dans 3...2...
Dans l'environnement austère de l'Alberta, il est difficile de développer une solution passive de traitement de l'eau étant donné les températures très froides qui limitent le temps octroyé aux bactéries pour dégrader passivement les AN. « Pendant une bonne partie de l'année, tout est gelé, aussi les [bactéries] ne disposent que de cinq à six mois pendant l'été pour dégrader pratiquement tous les AN qui pénètrent l'environnement », expliquait M. Yadav.
Cet environnement contient déjà des souches uniques de microbes capables de consommer les AN ; elles les utilisent comme source de carbone pour leurs propres activités métaboliques cellulaires. Le seul problème est que la dégradation des AN par les souches natives se fait lentement. « Elles peuvent décomposer l'AN jusqu'à 90 à 95 %, mais il leur faut environ 40 à 50 jours pour l'équivalent d'un flacon d'agitateur secoueur », indiquait M. Yadav. Son équipe a essayé de manipuler le métabolisme de ces souches natives afin d'augmenter la vitesse de dégradation des AN, mais elle n'y est pas parvenue.
« Nous avons donc décidé d'envisager le problème sous un autre angle et d'étudier la dégradation dans ces souches natives, puis d'utiliser ces informations pour concevoir une nouvelle voie de dégradation dans une souche comme E. coli, qui est la " bête de somme " de la biotechnologie industrielle », déclarait M. Yadav.
Pour compliquer la tâche, E. coli n'est pas issue des OSPW, et une solution produite par génie biologique doit répondre aux spécifications les plus strictes en raison de la nature même du projet. « D'une part, elle doit survivre à ces conditions [en Alberta] et dégrader les AN en temps voulu ; d'autre part, une fois que l'objectif de traitement a atteint le niveau voulu, ces E. coli doivent s'autodétruire », expliquait James Wells, directeur de Metabolik Technologies.
Cette dernière étape est un aspect primordial du projet, et l'une des principales raisons pour laquelle Genome BC s'y est intéressé. M. Yadav la qualifiait de confinement biologique, ou encore de fabrication d'un « coupe-circuit ». L'idée est qu'une fois qu'E. coli a mené à bien sa fonction de neutralisation de la toxine, elle s'autodétruit. « Il n'y a aucun risque d'endommager [les organismes vivants] dans l'environnement naturel, ni de provoquer de problèmes de contamination », indiquait Rahul Singh, chef de projet de cette initiative à Genome BC.
À ce stade de la recherche, l'équipe de M. Yadav avait déjà développé plusieurs variantes de ce coupe-circuit. Elle étudie maintenant la façon dont les souches natives de microbes peuvent survivre dans cet environnement particulier. L'équipe prévoit d'utiliser ces informations pour fabriquer des souches d'E. coli qui reposent sur des signaux uniques aux OSPW. « Si la souche venait à quitter ces environnements, les signaux qu'elle recevrait normalement ne seront pas disponibles et elle commencera donc à produire, essentiellement, des gènes cytotoxiques », expliquait M. Yadav.
Cette solution consistera en l'avant-dernière étape de l'assainissement des OSPW. Une fois les eaux assainies à l'aide de l'E. coli conçue, elles pourront être libérées dans un milieu humide artificiel. D'après M. Yadav, l'industrie « dispose d'un programme de recherche complet et très agressif dédié à la construction et la conception des [milieux humides] ». Les matières végétales du milieu humide élimineraient toute toxine qui subsiste.
La recherche menée dans le cadre de ce projet a débuté en juillet dernier, et l'industrie a commencé à fournir des échantillons en début d'année. Metabolik pense pouvoir proposer d'ici la fin de l'année un microbe qui présente des progrès sur ses trois principaux objectifs, à savoir la capacité de survie, la dégradation et le confinement biologique.
L'équipe espère pouvoir mener un projet pilote dans un petit réservoir, le « mésocosme », d'ici 2018. L'industrie pourrait tester la technologie d'ici 2019 et commencer la mise en œuvre de la solution par la suite.
La biologie dans une perspective d'ensemble
Le recours à la biologie dans les applications minières est encore relativement nouveau. En raison du conservatisme propre à l'industrie minière, les sociétés sont réticentes à adopter des processus biologiques et à les déployer à grande échelle. Cependant, plusieurs projets pilotes sont actuellement en cours, déclarait M. Yadav. « Les sociétés minières ont été très encourageantes dans le sens où elles ont soutenu une partie des travaux de recherche et développement dédiés à ces technologies », ajoutait-il, évoquant les recherches menées à l'UBC en collaboration avec Teck Resources et First Point Minerals. « On observe un désir d'adopter la voie biologique. »
Cependant, en ce qui concerne l'utilisation d'organismes modifiés qui s'autodétruisent, M. Yadav indiquait qu'il n'avait aucun autre exemple.
Pour l'instant, la recherche menée dans le cadre de ce projet porte spécifiquement sur le développement d'une souche d'E. coli qui peut dégénérer l'AN. Metabolik se penche néanmoins sur d'autres volets de l'industrie minière pour lesquels cette approche pourrait se révéler intéressante. « Nous apprenons ce que l'on peut et ne peut pas faire avec cette souche particulière », déclarait M. Wells de Metabolik, « et examinons d'autres applications pour d'autres industries ».