Afin d’atteindre leurs objectifs de neutralité carbone, les sociétés minières doivent prendre le risque de tester des technologies non éprouvées et de se tourner vers des technologies qui existent mais sont rarement mises en oeuvre, comme le triage du minerai. Avec l’aimable autorisation de Stantec

La mine de Tanami de Newmont Corp. en Australie et son exploitation de Cripple Creek & Victor dans le Colorado sont très différentes. Tanami, une exploitation souterraine, a devant elle des décennies de vie et a reçu un investissement majeur de la part de Newmont pour la construction d’un nouveau puits. La mine à ciel ouvert de Cripple Creek & Victor (CC&V), quant à elle, a une durée de vie bien plus limitée après une campagne de production de plusieurs décennies.

Chacune, à sa manière, est le lieu idéal pour un partenariat entre Newmont et Caterpillar Inc., qui développera et testera des parcs de véhicules électriques à batterie dans des environnements souterrains et à ciel ouvert. Au titre de l’entente, conclue l’année dernière, Newmont a initialement investi 100 millions de dollars américains pour développer « un système minier de bout en bout sans émissions de dioxyde de carbone » avec Caterpillar, notamment des véhicules miniers électriques, l’infrastructure, l’automatisation ainsi que la collecte et l’analyse de données.

Tanami donnera au géant de l’équipement les terrains d’essai pour sa technologie souterraine de véhicules électriques à batterie, dont il ne dispose pas actuellement. Ses décennies de vie prévues donnent à Newmont la flexibilité nécessaire pour expérimenter de nouvelles conceptions de mines qui pourront s’adapter à une infrastructure électrique.

Quant à la mine CC&V, Caterpillar y testera ses tombereaux électriques à batterie pour les mines à ciel ouvert dans des conditions météorologiques austères, des étés étouffants aux hivers glacials, et des pluies torrentielles aux vents forts. « Si la technologie fonctionne ici, les essais sont catégoriquement probants », déclarait Rob Atkinson, vice-président exécutif et directeur de l’exploitation de Newmont. Pour Newmont, expliquait M. Atkinson, les avantages de CC&V montrent à l’industrie les solides arguments économiques pour déployer les véhicules électriques à batterie (VÉB), même pour une mine en exploitation depuis de longues années et arrivée à maturité.

Les sociétés prévoient l’adoption du parc électrique souterrain et de l’automatisation d’ici 2026, et celle de camions électriques et d’une infrastructure électrique à ciel ouvert d’ici 2027. D’après M. Atkinson, le développement des calendriers est agressif, mais Newmont a ressenti l’impératif de faire partie des premières sociétés à adopter ces véhicules.

« Nous sommes conscients que nous ne pouvons plus attendre pour agir, que nous devons prendre des mesures absolument tangibles », indiquait M. Atkinson, qui faisait remarquer qu’environ 40 % des émissions de la société émanaient des parcs de véhicules souterrains et de surface.

Pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone, les sociétés minières doivent choisir de s’opposer à une préférence propre à cette industrie, consistant à être « la première à arriver en deuxième position ». Elles prévoient d’intégrer des technologies et des processus qui ne sont pas adoptés à grande échelle ni même commercialisés.

« Nous nous trouvons vraiment à un tournant dans l’industrie. La question n’est pas de savoir pourquoi nous procédons de la sorte, mais plutôt comment », déclarait Brian Mashford, premier vice-président de l’exploitation minière à Stantec. « Nous recevons de nombreuses demandes de la part de nos clients qui sollicitent notre aide pour mettre en œuvre certaines technologies et pour se familiariser avec la direction que va prendre l’industrie en aval. »

D’après M. Mashford, les parcs de véhicules à batterie pour les exploitations à ciel ouvert ainsi que les véhicules à l’hydrogène, les petits réacteurs modulaires (PRM), le transport modulaire autonome et le triage du minerai sont des technologies qui contribueront énormément à l’objectif de neutralité carbone de l’industrie minière. Il reconnaît toutefois que les sociétés sont encore aux prises avec leur mise en œuvre.

Tenir les rênes

Durant l’année qui s’est écoulée, nombre de sociétés minières ont annoncé des partenariats ou des consortiums avec des fabricants d’équipement d’origine (FEO) et des fournisseurs afin d’accélérer le développement des parcs de véhicules électriques à batterie ou à l’hydrogène, ainsi que de véhicules pilotes à mesure qu’ils deviennent disponibles.

En juin 2021, la société Nouveau Monde Graphite (NMG) de Montréal annonçait un accord de coopération avec Caterpillar pour développer un parc sans émissions pour sa mine phare de Matawinie d’ici sa cinquième année de production commerciale. Matawinie, qui devrait être opérationnelle d’ici 2025, commencera les activités avec un parc de véhicules fonctionnant au diesel, et recevra son nouvel équipement électrique de Caterpillar au cours des années à venir. Eric Desaulniers, fondateur, président et chef de la direction de NMG, indiquait que ce calendrier permettrait à la société de progressivement tester et intégrer les nouveaux véhicules dans la production, et de comparer leurs indicateurs de rendement clés (IRC) à ceux du parc existant au diesel.

Teck Resources, de son côté, s’est engagée à tester un véhicule à émission nulle (VÉN) en phase précommerciale de Caterpillar à compter de 2024. L’essai aura lieu à sa mine de charbon d’Elk Valley, mais pas dans une capacité de production, indiquait le directeur des relations publiques Chris Stannell. La société prévoit de commencer la production en testant un petit parc de VÉN pilotes d’ici 2026, dans l’objectif de commencer à utiliser 30 camions commercialisés l’année suivante.

D’après M. Stannell, la société étudiera des paramètres telles que la vitesse en pente, la durée de vie des composants et la disponibilité mécanique, ainsi que des données sur le groupe motopropulseur électrique à batterie telles que le taux de charge et le rendement énergétique. « L’objet de ces essais sera de comprendre le bien-fondé du remplacement du parc au diesel dans l’exploitation en évaluant un éventail de paramètres opérationnels, notamment la chaleur et le froid extrêmes, la résistance variable au roulement, les cycles de transport d’un véhicule chargé à la montée et à la descente, et beaucoup d’autres paramètres », indiquait-il. L’exploitation d’Elk Valley utilise plus de la moitié du parc de camions de la société, et plus de deux tiers de ses camions de transport de la catégorie ultra-class (les plus gros tombereaux). Il était donc « stratégiquement important » pour la société de s’assurer que les VÉN sont bien adaptés à ces conditions, expliquait M. Stannell.

Dans le centre de la Colombie-Britannique (C.-B.), Martin Turenne, président, chef de la direction et directeur de la société FPX Nickel Corp. basée à Vancouver, envisage une technologie différente en cours de développement. Pendant des années, le projet Decar d’exploitation du nickel de FPX a accueilli Greg Dipple, professeur de sciences de la Terre de l’université de la Colombie-Britannique (UBC), dont le laboratoire CarbMinLab travaille sur l’avancement de la séquestration du carbone dans les résidus miniers.

Les travaux de recherche de M. Dipple ont montré que la roche ultrabasique (ou roche ultramafique, des roches magmatiques très pauvres en silice et très riches en oxydes de fer et de magnésium et en potassium) est la plus optimale pour capturer et minéraliser le dioxyde de carbone (CO2). Le gisement de Decar est plus qu’adapté à cette technique.

D’après les précédents travaux de M. Dipple à la mine de Mount Keith de BHP, en Australie-Occidentale, la séquestration du carbone dans les résidus est un processus naturel. Il a découvert que les résidus de la mine captaient naturellement 40 000 tonnes de CO2, soit 11 % des émissions annuelles de l’exploitation. M. Dipple s’efforce d’accélérer le processus. La recherche n’est pas terminée, mais M. Turenne indiquait que FPX l’intégrera à son plan de mine pour Decar. La société prévoit de parvenir à une décision concernant la construction du projet de nickel d’ici 2027.

« Notre avantage est que nous avons espoir de pouvoir développer nous-mêmes certains de ces procédés. Nous les fabriquerons de manière à les adapter spécifiquement à notre plan de développement du site en général, et de la mine. Nous pourrons les construire et les intégrer à l’ADN du produit en effectuant des travaux techniques relativement tôt. »

D’après M. Turenne, FPX devra mener des essais pilotes afin d’obtenir des données précises quant au potentiel de séquestration de ses résidus en grattant leur surface et en comparant le degré de séquestration naturelle à une quantité contrôlée de matériaux qui n’ont pas été grattés. Il ajoutait que d’après les travaux de recherche de M. Dipple, c’est en « perturbant » les résidus (par exemple en refroidissant leur surface) que l’on obtient une plus grande séquestration.

« Se profile devant nous une longue phase d’essai, mais nous savons qu’en prenant le problème à la racine, nous allons pouvoir parvenir à une séquestration relativement importante, sans rien faire pour renforcer la réaction chimique », indiquait-il.

Critères de conception

La planification inhérente à l’adoption de nouvelles technologies s’accompagne de difficultés en termes de conception, indiquait M. Atkinson. Les mines souterraines traditionnelles présentent des contraintes particulières, notamment des tunnels étroits et des rayons de braquage qui doivent s’adapter à l’infrastructure de chargement. « Il faut aussi vraiment penser à l’intégralité de l’infrastructure, et déterminer si cela implique une conception différente des intersections. Il faut calculer si des galeries d’avancement vides doivent être prévues pour le chargement, si de nouvelles infrastructures doivent être installées latéralement aux camions afin qu’ils soient constamment alimentés en électricité », expliquait-il. « Si l’on considère qu’il ne s’agit que d’un équipement à brancher, on ne parviendra jamais aux résultats. »

Les mines qui utilisent des véhicules autonomes, expliquait-il, ont toujours construit des routes plus larges et des virages qui tiennent compte de l’envergure de ces camions. Toutefois, Newmont cherche à réduire la largeur de ces routes étant donné l’évolution de la technologie d’automatisation à ce jour, afin d’éviter de créer des résidus supplémentaires.

Nouveau Monde Graphite a procédé à plusieurs changements au niveau de la conception de la mine en prévision du parc de véhicules entièrement électriques à Matawinie, indiquait M. Desaulniers.

La société a changé son plan de mine afin de commencer l’extraction dans la partie sud de son gisement de trois kilomètres de long pour les cinq premières années. Il s’agit d’une application à la montée, où les camions descendent à vide dans la fosse et remontent à plein. D’après M. Desaulniers, cette situation est loin d’être idéale pour les véhicules électriques, mais le parc initial fonctionnant au diesel pourra assurer ces besoins. À compter de la sixième année, date à laquelle tous les véhicules devraient être électriques, l’exploitation minière passera à une application à la descente dans le reste du gisement. « La descente est bien plus simple, plus productive et moins onéreuse pour un parc de véhicules électriques. De fait, on ne gaspille pas d’énergie pour freiner, et le camion n’a pas besoin d’être rechargé aussi souvent. »

La société a également décidé de ne pas faire fonctionner la mine de Matawinie la nuit, accordant ainsi un temps supplémentaire pour la recharge des VÉB, ajoutait-il.

Les aléas

Particulièrement en ce qui concerne les parcs de VÉB, M. Mashford reconnaissait qu’il existe un compromis financier en amont. Les véhicules électriques et l’infrastructure qui leur est associée requièrent plus de capital au début, mais s’avèrent être moins onéreux que le diesel sur leur durée de vie. De fait, les coûts opérationnels de l’équipement fonctionnant au diesel sont supérieurs, notamment au niveau des exigences en termes d’aérage. Les sociétés minières devront aussi composer avec le coût et le procédé de remplacement de leur parc de véhicules au diesel pour un parc entièrement électrique, ce qui peut s’avérer extrêmement difficile pour des sociétés plus petites.

Nouveau Monde Graphite maîtrise ces coûts en concluant une entente avec Caterpillar dans le cadre de ses services de gestion de flotte Job Site Solutions. Le FEO facturera un tarif par heure pour chaque équipement que la société utilise, ce qui permettra à NMG d’éviter des dépenses en immobilisations exorbitantes liées à l’achat d’un équipement en totalité, puis à son remplacement.

« Il est difficile pour une petite entreprise en démarrage de justifier une telle dépense en immobilisations telle que celle requise pour les [VÉB]. La solution que propose Caterpillar, qui consiste à l’intégrer à son bilan, est très intéressante », indiquait M. Desaulniers, ajoutant qu’il s’attend à ce que ce type d’entente devienne plus populaire à mesure que les sociétés minières s’équipent de parcs de véhicules électriques.

M. Stannell ajoutait que le passage aux VÉN nécessitera des changements « dans pratiquement chaque aspect du fonctionnement et de l’entretien de nos camions aujourd’hui ». D’après Teck, ces véhicules exigeront un complément ou un élargissement des compétences des employés, ajoutait-il.

Ces dernières années, les sociétés minières ont redoublé d’engagements envers la décarbonation. Pourtant, M. Mashford précisait que le « fossé » entre les engagements des entreprises envers la neutralité carbone et les activités sur le terrain est encore bien réel.

Il donnait l’exemple du triage du minerai, une technologie avancée et existante qui pourrait aider les sociétés minières à réduire leur utilisation d’énergie, mais qui n’a pourtant pas été très utilisée ou régulièrement intégrée dans les plans des mines.

M. Turenne trouvait « ironique » que FPX, une petite société minière, soit l’une des rares sociétés minières à soutenir la recherche sur la séquestration du carbone. « Nous souhaiterions voir d’autres sociétés faire le pas… et financer davantage de [travaux de recherche] dans ce domaine », indiquait-il. « Le fait qu’une petite société comme la nôtre devienne un chef de file dans ce domaine met le doigt sur un manque d’intérêt notoire envers l’innovation. »


 La série Objectif neutralité carbone se poursuivra tout au long de l’année 2022. Elle examinera les difficultés liées à la réduction des gaz à effet de serre et à l’élimination des empreintes carbone, et étudiera également les possibilités qu’offrent ces actions. Si vous souhaitez apporter votre contribution, veuillez nouscontacter à l’adresse : editor@cim.org. 

Traduit par Karen Rolland

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