Des membres de la communauaté visitent l'une des deux usines de traitement de l'eau à la mine Pierina de Barrick au Pérou. Avec l'aimable autorisation de Barrick Gold

L’accès à l’eau représente un enjeu humanitaire et environnemental croissant au niveau mondial. Dans le dernier rapport sur les risques mondiaux du forum économique mondial (FEM), les crises de l’eau se classaient en cinquième position en termes d’incidence au niveau mondial. Les demandes concurrentes en eau entraîneront inéluctablement des crises alimentaires, une migration forcée à grande échelle et une dégradation de l’environnement. D’après la banque mondiale, 70 % de l’eau douce à l’échelle planétaire est utilisée pour l’agriculture, et ce secteur devra croître de 50 % pour nourrir les dix milliards d’habitants de la planète escomptés d’ici 2050.

« La réalité est que nous devons tous apprendre à vivre dans un monde où les ressources sont limitées », déclarait Resa Furey, analyste de marché dans la société internationale d’études techniques et de conception Stantec. « L’eau, c’est la vie, mais c’est aussi une ressource limitée ; et les ressources limitées en eau douce mettent une pression importante sur tout le monde, l’industrie minière, l’agriculture et la société. » 

Un approvisionnement fiable en eau est essentiel à toute exploitation minière. À mesure que les réserves de minerai déclinent, on déplace les mines vers des lieux plus isolés, souvent dans des régions et des pays touchés par des stress hydriques. D’après un rapport de 2014 du Moody’s Investor Service (le service dédié aux investisseurs du groupe Moody’s), environ 70 % des mines exploitées par les « six grands » (BHP, Rio Tinto, Anglo American, Vale, Xstrata et Glencore) se trouvent dans des pays où le stress hydrique est considéré comme un risque majeur. À défaut de trouver une stratégie solide en matière de gestion de l’eau, les sociétés minières pourraient exposer leurs exploitations, ainsi que l’environnement, à des risques.

« Le risque le plus latent est de perdre son permis social d’exploitation, ce qui entraînera des retards, un conflit et une animosité qui se dissiperont difficilement », indiquait Jim Finley, géochimiste principal chez Stantec qui travaille depuis des décennies sur des projets de gestion de l’eau dans les mines. « L’un des éléments importants dans un programme de gestion des risques globaux consiste à aborder le problème de l’approvisionnement en eau et son utilisation tout en limitant l’impact sur les utilisateurs existants de ces ressources en eau. »

Il existe aujourd’hui autant de solutions spécifiques de gestion de l’eau que de mines, mais on voit apparaître une tendance. « Une approche souvent utilisée, et pourtant encore innovante, consiste à adopter une stratégie d’utilisation de l’eau apte à l’usage », expliquait Mme Furey. Cette approche consiste à remplacer l’eau douce que l’on pourrait utiliser dans une exploitation par une eau de qualité inférieure, par exemple des eaux souterraines salines, de l’eau de mer ou des eaux usées ; cette eau sera ensuite traitée comme si elle était « apte à être consommée », puis recyclée par le biais de différents circuits de gestion de l’eau sur tout le site minier.

Cette stratégie implique d’adopter des solutions personnalisées pour chaque site qui requièrent des réflexions créatives et une association d’innovation technique et de collaboration sociale. On espère de cette manière pouvoir considérablement réduire la consommation d’eau des exploitations. Une société envisage même d’éliminer un jour ses prélèvements d’eau dans l’environnement.

Vers la fin de la consommation

Lors d’une conférence interne sur la durabilité en mars 2016, le président et chef de la direction de Goldcorp David Garofalo a fixé un objectif ambitieux pour sa société, qu’il a baptisé objectif Zéro eau.

« Il nous a fallu près d’un an pour bien appréhender l’ampleur de cet objectif, pour lui donner une définition et un sens, et pour commencer à avancer », déclarait Brendan O’Brien, responsable de l’environnement chez Goldcorp. Plus tard cette même année, la société lançait sa stratégie de réduction des ressources en eau Zéro eau (H2OZéro).

« Nous recherchons sans cesse des moyens de réduire notre consommation d’eau douce », expliquait Michael Jacobs, directeur de l’eau et des résidus chez Goldcorp. « Nous sommes clairement arrivés à un point dans l’exploitation minière où nous ne pouvons pas avancer sans utiliser d’eau, mais notre objectif est de réutiliser l’intégralité de l’eau et de ne pas en rajouter dans le système. »

Les mines ont besoin de millions de litres d’eau chaque année pour traiter et extraire le minerai, stocker les stériles comme des résidus, refroidir les engins de forage et supprimer la poussière. Actuellement, les plus grandes réserves d’eau non disponible du processus minier se trouvent dans les traditionnelles boues de résidus ; les sociétés minières s’efforcent cependant de trouver d’autres moyens créatifs de stocker les résidus. Le projet EcoTails de Goldcorp étudie et teste les manières de mélanger des stériles grossiers et des résidus filtrés plus fins dans un système de transporteur géant. Ceci permettrait aux deux tailles de « se mélanger » et au matériau le plus fin de combler les écarts entre les particules les plus grosses afin de produire des résidus solides, stables et résistants. On pourrait récupérer jusqu’à 95 % de l’eau non disponible, ce qui rendrait inutiles les digues à stériles. Ce procédé pourrait également réduire la probabilité ou le volume de drainage rocheux acide, ce qui constituerait un avantage supplémentaire. Les résidus solides de ce type permettraient alors de réduire l’empreinte de la mine et les risques globaux ; sur le long terme, en tenant compte des périodes de fermeture et de post-fermeture de la mine, les coûts seraient également inférieurs. En 2017, Goldcorp a commencé à tester le concept EcoTails dans son exploitation à ciel ouvert Peñasquito, au nord-ouest du Mexique.


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« EcoTails représente selon nous la méthode de gestion des résidus la plus responsable des points de vue environnemental et social », indiquait M. Jacobs. « Nous testons également ce concept dans notre mine fermée au Guatemala ; jusqu’ici, les résultats sont bons. »

EcoTails nécessiterait un investissement plus important dans des machines et des transporteurs plus grands et plus résistants, aussi Goldcorp collabore avec FLSmidth, qui lui fournit l’équipement de filtration et de manutention pour les essais. Un prototype grandeur nature est prévu pour le site Peñasquito ; en fonction des résultats, il pourrait être déployé à la mine.

« Nous sommes en phase de finaliser l’étude de faisabilité pour pouvoir lancer notre prototype », déclarait M. Jacobs. « Nous espérons pouvoir à terme le déployer sur d’autres propriétés de Goldcorp. »

En plus de développer EcoTails, les équipes de Goldcorp procèdent à des modifications spécifiques à chaque site dans toutes leurs exploitations afin de considérablement réduire leur utilisation des ressources en eau. Sur le site Peñasquito, un système de lavage à haute pression des camions récemment installé recueille et réutilise 100 % de l’eau ayant servi à éliminer la poussière, les saletés et les débris sur les véhicules utilisés sur le site. À Porcupine Gold Mines (PGM), une filiale de Goldcorp dans l’Ontario, la quantité d’eau douce prélevée dans le lac Porcupine voisin a considérablement décliné pour atteindre 0,1 mètre cube (m3) par once d’or en 2017, par rapport à 0,35 m3 en 2014, après la reconfiguration du circuit d’eau du concentrateur de manière à ce qu’il accepte 100 % de l’eau récupérée. La mine Red Lake a récemment mis en œuvre un nouveau système de recyclage de l’eau de trop-plein provenant de l’usine de remblai en pâte, qui la renvoie vers le réservoir d’eau de l’installation de préparation du minerai. Ceci couvrira une partie des ressources en eau nécessaire à la mine, qu’elle puisait jusqu’à présent dans le lac Balmer. La mine Cerro Negro a également commencé à utiliser un agent de dépoussiérage qui permettra à la société d’utiliser moins d’eau sur une longue route de transport. Enfin, à la mine Musselwhite, Goldcorp a installé une usine de recyclage de l’eau souterraine qui utilise les rayons ultraviolets (UV) pour empêcher la reproduction des virus dans l’eau recyclée sans ajouter de substances chimiques.

Partenaires en matière de gouvernance de l’eau

Au nom de ses sociétés membres, le conseil international des mines et métaux (CIMM) a publié un exposé des fonctions sur la stratégie de gouvernance de l’eau en janvier 2017, qui définit la gouvernance de l’eau comme l’utilisation équitable du point de vue social, durable sur le plan de l’environnement et avantageuse en termes économiques de cette ressource. Selon le CIMM, pour une gouvernance efficace, les sociétés minières doivent collaborer avec le gouvernement, la société civile, les entreprises et les communautés locales en favorisant l’engagement exempt de toute exclusion des parties intéressées.

« L’innovation technique est fondamentale pour résoudre les problèmes de l’accès limité à l’eau douce pour les activités minières », indiquait M. Finley de Stantec. « Il est très important d’associer les innovations techniques aux efforts d’action sociale. Si l’innovation technique est essentielle au fonctionnement interne d’une exploitation minière, l’obtention et le maintien d’un permis social d’exploitation est indispensable à sa réussite future. »

Sur le terrain, cela signifie que les sociétés font preuve de créativité et d’ingéniosité pour trouver des manières de travailler avec les communautés, les gouvernements et avec d’autres sociétés afin de garantir un approvisionnement sûr en eau pour toute la durée de vie de l’exploitation minière, de recycler autant d’eau que possible sur le site et de réintégrer une eau saine dans l’environnement. La synergie entre le permis social d’exploitation et l’accès à l’eau fait en ce moment même l’objet d’une démonstration unique et réussie à Cerro Verde, la plus grande mine de cuivre du Pérou, où Freeport-McMoRan a construit une usine de traitement des eaux usées qui profitera non seulement à l’exploitation, mais aussi à la communauté locale d’Arequipa.

Des chercheurs de l’institut canadien international des ressources et du développement (ICIRD) se sont rendus à Cerro Verde pour s’entretenir avec la direction de Freeport-McMoRan, le gouvernement local et les chefs de la communauté afin de décrire ce cas dans le cadre de leur projet Éducation et recherche pour la gestion intégrée des ressources en eau au Pérou.

« Freeport n’avait plus aucun moyen de récupérer l’eau de la rivière », expliquait le Dr André Xavier, directeur du projet à l’ICIRD. « Pour se développer, il leur fallait trouver d’autres manières de collecter l’eau. »

Rio-ChiliPhotos de la même section du fleuve Rio Chili au Pérou, prise à deux années d'intervalle. Avec l'aimable autorisation de Jose Luis Valverde Ortiz

L’une des options, expliquait le Dr Xavier, consistait à investir dans la construction de plus de 100 kilomètres (km) de canalisations et de nombreuses stations de pompage et de traitement de l’eau pour faire remonter de l’eau de mer du littoral sur 2 500 mètres, sur un terrain montagneux. D’autres exploitations telles que la mine de cuivre et d’or de Minera Esperanza au Chili sont parvenues à utiliser de l’eau de mer non traitée dans leur usine de traitement, mais cette option coûteuse a été rejetée.

La communauté a opté pour la solution originale proposée à Cerro Verde, qui suggérait que la mine utilise des eaux usées traitées pour ses activités minières. Après sept années de négociations et de planification, l’usine de traitement des eaux usées a été mise en service à la fin de l’année 2015, et traite désormais 85 % des eaux d’égout municipales d’Arequipa. Pour ses activités minières, la mine utilise à peine plus de la moitié des 1,8 mètre cube par seconde (m3/s) d’eaux usées traitées produites par l’usine ; le reste est évacué dans le fleuve Rio Chili, qui couvre 95 % des besoins municipaux et agricoles en eau de la région.

En échange de la construction, de l’exploitation et de l’entretien de l’usine, Freeport-McMoRan garantit non seulement une source d’eau pour sa mine Cerro Verde en pleine expansion, mais également le maintien de son permis social d’exploitation. Dans l’étude de cas de l’ICIRD, M. Fraser fait remarquer que « contrairement aux autres projets menés dans la région, Cerro Verde n’a pas été confronté à des pertes en termes de production en raison d’une opposition de la communauté. » Seulement 90 km séparent Cerro Verde de la mine Tia Maria de Southern Copper ; pourtant, la communauté locale s’oppose depuis longtemps à l’exploitation de Tia Maria car la contamination possible de l’eau l’inquiète ; de fait, la société n’a pu obtenir pendant plusieurs années de permis social d’exploitation.

Exploitation des données

La volonté de Freeport-McMoRan d’écouter et de s’impliquer dans les communautés de la région ainsi que d’investir dans la construction d’une infrastructure partagée vient nous rappeler que les mines ne fonctionnent pas en totale autonomie. Elles sont d’une part, des occupants intégrés dans une société et d’autre part, un minuscule point sur une carte dans la zone plus vaste du bassin hydrographique. Barrick Gold reconnaît les bienfaits de cette stratégie et adopte désormais une « approche de gouvernance des bassins » pour la gestion de l’eau ; la société communique désormais ses activités aux communautés dans lesquelles elle travaille par le biais d’une participation équitable dès le début d’un projet.

« La transparence est la devise de la confiance », déclarait John McCartney, vice-président de la gestion de l’eau chez Barrick. « Nous devons nous assurer que tout le monde est bien au courant de toutes nos activités, et nous encourageons les communautés à prendre part aux décisions que nous prenons. »

Barrick s’efforce d’aller au-delà de la simple divulgation des données dans ses rapports de durabilité, et « facilite leur accès, les rend plus visibles et plus interactives afin que tout le monde puisse véritablement se rendre compte de la manière dont nous procédons. » En deux clics sur notre page d’accueil, tout membre ou partie intéressée du public a accès à des graphiques interactifs sur l’utilisation de l’eau et peut télécharger des tableurs contenant les données détaillées relatives à la gestion de l’eau pour toutes les exploitations de Barrick dans le monde entier.

Barrick-Pueblo-Viejo-MargajitaLes communautés locales participent à une surveillance en aval du fleuve Margajita, qui coule le long de la mine Pueblo Viejo de Barrick en République dominicaine. Les membres de la communauté aident à recueillir des échantillons d'eau pour les faire analyser dans des laboratoires indépendants certifiés. Avec l'aimable autorisation de Barrick Gold

 En plus de cette diffusion accrue des données de la société, Barrick valorise également ses données en exploitant l’apprentissage automatique pour pouvoir mieux prévoir les enjeux liés à l’eau. « La sécheresse extrême peut, par exemple, affecter notre approvisionnement », expliquait M. McCartney. « Nous avons lancé un programme de mise en œuvre de bilans hydriques constamment accessibles en ligne, alimentés par des mises à jour régulières des conditions météorologiques pour des installations données afin d’examiner le niveau de risque pour chacune d’elles. »

Barrick a créé une plateforme de données regroupées pour relier les bases de données qui stockent de grands volumes d’informations essentielles recueillies dans les mines et les bureaux aux quatre coins du monde. Cet intermédiaire numérique fournit une plateforme permettant un accès et un partage rapides des données que l’on peut ensuite intégrer à des algorithmes d’apprentissage automatique pour surveiller et prévoir, entre autres, l’utilisation de l’eau ainsi que le traitement et la productivité à la mine.

« En utilisant l’apprentissage automatique, nous pourrons suivre et étudier ces modèles et tendances pour déterminer les probabilités de risques émergents », indiquait M. McCartney.

Évacuation de l’eau

L’un des plus gros risques liés à la gestion de l’eau sur les sites miniers concerne l’évacuation non anticipée d’eau non traitée dans les cours d’eau environnants. En janvier, la société Tahoe Resources basée dans le Nevada a dû faire face à une accusation suivant un déversement présumé à la mine Shahuindo dans le centre du Pérou, où de fortes pluies avaient provoqué le débordement d’un fossé de dérivation. Les médias ont rapidement mentionné le déversement, et la société a répondu par un communiqué de presse détaillant l’incident et l’inspection par les autorités locales.

Agnico-Eagle-Meliadine-campVue aérienne de la mine Meliadine d'Agnico Eagle dans le Nunavut. Avec l'aimable autorisation d'Agnico Eagle

L’examen minutieux de l’utilisation de l’eau ne se cantonne pas aux régions arides ou à forte densité démographique. Près de la côte ouest de la baie d’Hudson, dans la région Kivalliq du Nunavut, l’exploitation de minerai aurifère à haute teneur Meliadine d’Agnico Eagle est en cours de construction et est passée au peigne fin. En 2016, Agnico Eagle a obtenu un permis d’utilisation des eaux de l’office des eaux du Nunavut pour commencer ses activités de construction sur le site minier envisagé.

« La qualité de l’eau au Nunavut est très importante, car l’environnement de la région est encore pur », expliquait Michel Julien, vice-président de l’environnement chez Agnico Eagle. « L’eau est une ressource et elle doit être protégée au même titre que toute autre ressource. Nous nous devons de l’utiliser de manière raisonnable et responsable. Nous nous efforçons de limiter au possible notre usage externe de l’eau, ce qui nous oblige à nous tourner vers des technologies promouvant le recyclage et la réutilisation de l’eau. »


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Agnico Eagle prévoit d’utiliser des résidus filtrés à la mine Meliadine une fois que la production sera lancée en 2019 dans le cadre de ce projet, actuellement en construction. L’intégralité de l’eau de traitement excédentaire sera réintégrée dans le cycle par le biais de l’usine de filtration d’eau, expliquait M. Julien, ce qui est plus complexe du point de vue opérationnel mais permet de réduire grandement la quantité d’eau gérée en surface. Agnico Eagle étudie également les technologies permettant de gérer la salinité à Meliadine pour empêcher que l’eau affichant une salinité élevée ne soit rejetée dans l’environnement.

Comme l’admettait M. Julien, ces solutions techniques nécessitent un effort et une dépense en immobilisations supplémentaires afin d’améliorer la gestion de l’eau sur le site de Meliadine, mais la récompense en est une réduction des risques. « L’eau est souvent au cœur des problèmes que l’on rencontre », expliquait-il.