Les bornes de recharge pour voitures électriques installées sur les sites d’exploitation et les bureaux d’Agnico Eagle contribuent à réduire les émissions de GES de champ d’application 3 de la société liées aux déplacements des employés. Avec l’aimable autorisation de Mines Agnico Eagle

Avant la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, l’International Council on Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux) déclarait qu’il imposait à ses sociétés membres d’éliminer totalement leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de champs d’application 1 et 2 d’ici 2050 au plus tard. Il accordait toutefois plus de liberté à ses membres concernant les émissions de champ d’application 3.

Les sociétés devront fixer des objectifs au niveau de ces émissions d’ici la fin de l’année 2023, ou « le plus tôt possible ». Les émissions de GES de champ d’application 3 sont celles qui sortent du cadre des activités directes, telles que les biens de consommation, les déplacements des employés et des membres de la direction, ainsi que le traitement en aval et l’utilisation des matières premières extraites, par exemple la production d’acier pour les sociétés d’extraction de charbon métallurgique et la production d’aluminium pour les exploitations de bauxite.

Et c’est là la difficulté. Christian Spano, directeur de l’innovation à l’ICMM, faisait remarquer que pour certains des produits extraits, plus de 90 % des émissions totales ne sont pas du ressort de la société minière. Il ajoutait toutefois que la chaîne de valeur de chaque matière première est différente. La question est d’autant plus complexe car il n’existe pas de normes concernant la justification des émissions de champ d’application 3. Ceci a donc mené les sociétés à adopter des approches totalement différentes en termes de ce qu’elles comptabilisent.

« Ces émissions sont bien plus complexes à gérer que celles de champs d’application 1 et 2 », déclarait M. Spano.

Pour réduire leur empreinte en termes d’émissions de champ d’application 3, de plus en plus de sociétés minières évoquent la question avec les fournisseurs. Elles mettent notamment en place de nouvelles exigences contractuelles concernant la communication de leurs émissions de GES et annoncent des partenariats avec des clients afin de développer de nouveaux processus et technologies à faibles émissions de dioxyde de carbone (CO2) pour l’utilisation en aval des métaux.

Approches diverses

Contrairement aux émissions de champs d’application 1 et 2, dont « les frontières, les règles et les modèles sont bien définis » et qui bénéficient de normes professionnelles en matière de justification, le champ d’application 3 « est un domaine qui offre une certaine flexibilité ou marge de manœuvre », indiquait Geoff Olynyk, expert principal en matière de durabilité et de décarbonation à McKinsey & Company. Ceci s’explique principalement par la difficulté à englober les vastes émissions en aval.

La plupart des sociétés se fondent sur les normes du protocole sur les GES (développées par une organisation internationale du même nom) pour mesurer les émissions de champ d’application 3. Toutefois, la norme énumère 15 catégories d’émissions appartenant au champ d’application 3, que toutes les sociétés ne communiquent pas intégralement, déclarait Jordy Lee, directeur de projet au Payne Institute for Public Policy (l’institut Payne pour la politique publique) de la Colorado School of Mines (l’école des mines du Colorado), qui mène des recherches sur la transparence de la chaîne d’approvisionnement et la transition énergétique.

Ces 15 catégories incluent des produits et services achetés, des biens d’investissement, le transport et la distribution en amont et en aval, les déplacements professionnels et les trajets quotidiens des employés, le traitement et l’utilisation de produits vendus, ainsi que la gestion des produits vendus en fin de vie, entre autres. Étant donné la position de l’exploitation minière en début de nombreuses chaînes d’approvisionnement, l’utilisation de produits vendus est l’un des plus importants moteurs des émissions de champ d’application 3, indiquait M. Lee.

Coauteur d’un article de 2020 dans Environmental Research Letters, M. Lee constatait dans cette étude qu’aucune des 14 grandes sociétés minières étudiées, dont Antofagasta, BHP, First Quantum Minerals, Freeport McMoRan, Glencore, Mosaic, Rio Tinto et Vale, n’abordaient les 15 catégories dans leurs communications de 2018. Ceci s’explique en partie par les réalités économiques de certaines sociétés. Par exemple, Freeport est intégrée verticalement. Ses émissions de champs d’application 1 et 2 sont supérieures à celles de la plupart des sociétés minières, indiquait-il. Toutefois, leur variété évoque à quel point la communication des émissions de champ d’application 3 est « source de confusion et dynamique ».

« Beaucoup de sociétés ont du mal à obtenir des données précises », déclarait M. Lee, ajoutant que les sociétés ont aussi la latitude de choisir jusqu’à quel point de la chaîne de valeur elles souhaitent remonter pour communiquer leurs émissions. Il faisait référence à BHP, qui a intentionnellement comptabilisé deux fois ses émissions de champ d’application 3 dans un souci de se rapprocher de la réalité. De fait, elle n’était pas certaine que ses calculs initiaux couvrent réellement toutes les émissions de la société, montrant à quel point ces données sont complexes.

« Je pourrais aller travailler pour une société minière et augmenter ou réduire l’empreinte de ses émissions de champ d’application 3 de 50 % en moins d’une journée. Cela ne me prendrait pas plus de 20 minutes. Je pourrais envoyer ces données à la Securities and Exchange Commission (SEC, la commission des valeurs mobilières des États-Unis) et elles seraient vérifiables à 100 % », déclarait-il. « Aucune norme n’existe véritablement. »

M. Spano mettait également en avant la variation en termes de communication, et indiquait que l’ICMM collabore avec ses 26 sociétés membres pour améliorer la cohérence des mesures, des justifications et de la communication dans toutes les catégories du protocole sur les GES. « La première étape consiste à comprendre les principaux domaines de divergence et d’alignement qui existent actuellement au niveau des mesures, des justifications et de la communication des émissions de champ d’application 3, et à aider les sociétés à évaluer leurs émissions dans toutes les catégories », indiquait-il.

Mohammed Ali, vice-président de la durabilité et des affaires réglementaires à Mines Agnico Eagle, faisait remarquer que les sociétés minières rencontrent une difficulté unique au niveau des émissions de champ d’application 3. De fait, leurs fournisseurs n’ont pas encore de vision claire de leurs émissions.

« Prenons le cas de la fabrication par exemple. Vos fournisseurs sont des [sociétés] spécialisées dans l’acier, l’aluminium ou le fer, et ont des profils de GES établis car ces secteurs sont matures et sont généralement en mesure de [fournir] des chiffres précis de leurs émissions de champ d’application 3 », indiquait M. Ali. L’exploitation minière se trouve relativement loin dans la chaîne de valeur, expliquait-il, ajoutant que la plupart des biens de consommation, mis à part les pneus et le diesel, n’en sont pas au même point en termes de comptabilisation des émissions.

Rio Tinto reconnaissait cette difficulté dans son rapport de 2021 sur le changement climatique, indiquant que dans la plupart des cas, la communication des émissions spécifiques des fournisseurs et des clients « n’est tout simplement pas accessible ».

Les données en question

D’après M. Lee, même les sources de données que les sociétés considèrent comme fiables pourraient ne pas l’être autant qu’elles le pensent. Un article à venir de la Coalition on Materials Emissions Transparency (COMET, la coalition sur la transparence des émissions issues des matériaux), auquel M. Lee a contribué, prétend que l’approche actuelle pour obtenir des données sur les émissions de GES pour tous les champs d’application oblige les sociétés à communiquer leur incidence avec peu de soutien des chercheurs, des autorités réglementaires et des partenaires de la chaîne d’approvisionnement, et « à identifier des sources d’émissions complexes, à trouver des données précises [et] à comparer ces données aux références mondiales » seuls. Dans le même temps, les sociétés doivent se conformer à divers outils et cadres de communication en matière de CO2 et d’ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), qui ont tous leurs propres méthodologies.

Cette approche a engendré des communications peu cohérentes et peu fiables de la part des sociétés, et a ouvert la voie à « une tendance à l’écoblanchiment, intentionnelle ou non, et à des affirmations trompeuses », lisait-on dans le rapport. En bref, M. Lee et ses coauteurs sont d’avis qu’une bonne partie des justifications concernant les émissions de champs d’application 1, 2 et 3 pourraient être fausses.

« De manière générale, nous avons du mal à comprendre d’où proviennent les émissions, quelles sont les sources d’émissions et comment les justifier. Jusqu’à ce que l’on ait en main toutes ces informations, on peut difficilement justifier les émissions de manière cohérente », déplorait M. Lee.

La COMET est en train de développer un cadre normalisé pour la justification des émissions des chaînes d’approvisionnement, qui doit être « transparent et vérifiable ». Ce cadre donnerait naissance à des exigences de communication spécifiques à chaque matière première en identifiant toutes les étapes et les contributions de la chaîne d’approvisionnement de chaque matière première et en normalisant les données nécessaires pour mesurer l’intensité des GES à chaque étape. Le cadre inclura aussi des analyses de la sensibilité pour les variations des émissions régionales.

D’après M. Lee, cette approche envers les chaînes d’approvisionnement permettrait non seulement d’améliorer la communication des émissions de champs d’application 1 et 2, mais mènerait aussi à une meilleure communication entre les sociétés minières et leurs fournisseurs et clients, contribuant par là même à réduire les émissions de champ d’application 3.

Faisons équipe

Certaines sociétés minières ont déjà débuté les discussions avec leurs partenaires en amont et en aval. Comme l’expliquait Vivian MacKnight, directrice du changement climatique à Vale, à l’équipe du CIM Magazine, la société a signé environ 30 accords avec des clients d’aciérie pour mettre au point conjointement des solutions de décarbonation. Ces solutions incluent notamment des briquettes vertes qui, d’après la société, réduiront de plus de 10 % les émissions de ses fabricants d’acier. Les briquettes peuvent remplacer les agglomérés (dont la création exige l’utilisation lourde de charbon de bois) dans un haut fourneau, et aussi être utilisées dans le processus de réduction directe du minerai de fer.

Dans son rapport de 2021 sur le changement climatique, Rio Tinto évoquait sa collaboration avec Baowu, Nippon Steel et POSCO dans le cadre de projets d’optimisation des hauts fourneaux. Elle s’est aussi associée à des universités et des instituts de recherche dans le cadre de projets de traitement du minerai de fer avec l’énergie micro-ondes et d’optimisation de la qualité de son minerai de fer pour les technologies vertes émergentes relatives à l’acier à sa mine de Pilbara, en Australie. Enfin, elle a travaillé avec des fournisseurs de technologies de réduction directe, des producteurs d’hydrogène ainsi que les gouvernements canadien et du Québec sur des études en phase préliminaire dédiées à la réduction directe du minerai de fer avec de l’hydrogène vert, parmi ses autres projets axés sur l’acier.

Entre-temps, ELYSIS, l’entreprise commune de Rio Tinto et d’Alcoa visant à créer un processus de fusion d’aluminium sans CO2, a atteint un tournant majeur en novembre dernier lorsque la société est parvenue à produire dans son centre de recherche et développement de Saguenay, au Québec, de l’aluminium sans émissions de GES directes. En début d’année, Apple s’est engagée à utiliser l’aluminium d’ELYSIS dans son iPhone SE. La société espère atteindre la pleine production commerciale d’ici 2024.

Tout en se concentrant sur la recherche et le développement en aval, certaines sociétés minières utilisent aussi leur influence sur les fournisseurs en amont.

« Nous pouvons exercer une influence indirecte en adoptant une approche collaborative avec les parties prenantes de notre chaîne de valeur et en apportant des changements à notre portefeuille de produits », indiquait un porte-parole de Glencore dans le rapport de durabilité de 2021 de la société. Elle a renforcé ses engagements auprès des fournisseurs d’équipement et des clients en 2021, et indiquait qu’elle « surveille de près » les efforts de décarbonation de ses parties prenantes sur le court terme. Sur le moyen terme, elle prévoit d’intégrer les objectifs en matière de climat dans son processus de sélection des fournisseurs.

En 2020, Vale a introduit une nouvelle clause contractuelle pour près de 500 de ses fournisseurs identifiés comme des sources « importantes » d’émissions de champ d’application 3. Cette clause les invite à participer au programme de communication des émissions de CO2 de la chaîne d’approvisionnement de Vale ainsi qu’à une formation en ligne, indiquait Mme MacKnight. « Elle n’oblige pas les [fournisseurs] à atteindre une réduction spécifique d’émissions, car la stratégie actuelle consiste à mobiliser la chaîne de valeur et à mener à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. » En 2022, 84 % des 492 fournisseurs invités ont participé au programme de communication des émissions de CO2, une hausse par rapport au taux de participation de 75 % en 2021 sur les 375 fournisseurs.

M. Ali indiquait que Mines Agnico Eagle a entamé une conversation avec les fournisseurs qu’elle a identifiés comme contribuant énormément aux émissions de champ d’application 3. Au cours des discussions avec ses fournisseurs de carburant, la société a demandé si des options renouvelables telles que le biocarburant seraient disponibles, ou à quel moment ils prévoyaient de les intégrer à leur offre, indiquait-il. « Nous entendons parler de centrales qui vont voir le jour en 2024 et essayons de garantir [notre approvisionnement] dès maintenant », indiquait-il.

Natalie Frackleton, directrice des communications externes d’Agnico, indiquait que des fournisseurs de pneus tels que Michelin avaient organisé des débats à l’occasion du congrès de la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs) concernant la réduction de leurs émissions. « Ils contactent leurs clients pour ouvrir le dialogue et travailler sur les manières d’améliorer leurs produits et de réduire leurs émissions sans compromettre la qualité. »

D’après M. Lee, ces initiatives sont un premier pas dans la bonne direction pour comprendre l’ampleur des émissions de champ d’application 3.

« La situation idéale est d’établir une bonne communication avec les sociétés qui sont tout aussi motivées pour comprendre d’où proviennent leurs émissions », ajoutait-il. « Avec une communication ouverte, on obtient de meilleures informations et on peut œuvrer, ensemble, à trouver des solutions. »


La série Objectif neutralité carbone s'est déroulée tout au long de l’année 2022. Elle examiné les difficultés liées à la réduction des gaz à effet de serre et à l’élimination des empreintes carbone, et étudié également les possibilités qu’offrent ces actions.  

Traduit par Karen Rolland

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