Un employé récupère du tellure dans un filtre presse au circuit de tellure de Kennecott. Avec l’aimable autorisation de Rio Tinto
Le circuit de tellure de la mine de Kennecott de Rio Tinto ne produira qu’environ 20 tonnes de minéraux critiques par an. Cela ne représente qu’une fraction des quelque 200 000 tonnes de cuivre que la mine de Salt Lake City, en Utah, pompe chaque année. D’après Saskia Duyvesteyn, conseillère principale de la recherche et du développement pour le cuivre à Rio Tinto, les principes chimiques de la récupération du tellure dans les déchets riches en métaux des boues anodiques générées par la fusion du cuivre sont « d’une simplicité si embarrassante qu’elle pourrait avoir lieu dans notre cuisine ».
Toutefois, indiquait Mme Duyvesteyn, ce circuit représente un changement de mentalité pour la grande société minière. Il s’inscrit aussi dans le cadre d’une tendance croissante, à mesure que de nombreux acteurs de l’industrie minière reconnaissent la valeur du vieil adage « Les déchets des uns sont les trésors des autres ». Ces derniers réexaminent les résidus miniers, les anciennes batteries et les déchets des boues pour récupérer des métaux de valeur dans un contexte de popularité des métaux critiques.
Dans les années 1990, Rio Tinto avait envisagé d’extraire des minéraux dans les boues, mais les facteurs économiques manquaient. La société a de nouveau envisagé cette idée en 2012 mais, sortant à peine de la crise financière de 2008, elle était dans une optique de profits. En 2019, après avoir participé à un événement du Critical Minerals Institute (CMI, l’institut des minéraux critiques), des représentants de la société ont rencontré des membres de 5N Plus, une société de production de semi-conducteurs et de matériaux de performance, et de First Solar, une société spécialisée dans les solutions solaires photovoltaïques (PV), en quête de tellure. Cette rencontre a provoqué une étincelle, et a abouti à la construction d’un circuit de 2,9 millions de dollars américains en 2022.
Les occurrences de tellure ne sont généralement pas isolées. On le trouve souvent dans des gisements de cuivre et d’or. Toutefois, les gouvernements canadien et américain l’ont identifié comme un minéral critique, surtout pour son utilisation dans les cellules solaires PV. D’après Mme Duyvesteyn, d’un point de vue de la « valeur minière globale », la récupération du tellure n’alourdit absolument pas l’empreinte carbone de la société et elle contribue à la transition énergétique.
Une fois que le minerai de la mine de Kennecott subit la fusion afin de créer du cuivre pur, tous les métaux supplémentaires tels que l’or, l’argent, le sélénium, le tellure et le plomb finissent dans des boues anodiques. Jusqu’ici, l’or et l’argent étaient récupérés ultérieurement dans l’usine de traitement de Kennecott. Quant au tellure et au sélénium, ils étaient dissous et envoyés dans les résidus. Pour commencer à récupérer le tellure, Rio Tinto a ajouté un petit circuit dans son usine de traitement. Le tellure dissous est placé en solution avec les copeaux de cuivre recyclés de Kennecott, puis chauffé. On ajoute de l’acide, et le tellure réagit avec du cuivre pour faire du tellurure de cuivre, lequel est ensuite envoyé à 5N Plus pour l’affinage. Essentiellement, la réaction rend sa forme initiale au tellure.
« Du point de vue des revenus, les enjeux sont nombreux. [Mais] c’est là qu’apparaît le changement. [Le circuit de tellure] a véritablement aidé à établir avec des hauts dirigeants l’importance de cette pratique, en dépassant le simple point de vue des revenus », indiquait Mme Duyvesteyn. « Cette démarche s’inscrit dans nos efforts en faveur de l’avenir de la décarbonation. Si l’on ne commence pas quelque part, la transition n’aura pas lieu. »
Rio Tinto n’est pas la seule à se tourner vers les piles de déchets. Geoscience BC a lancé un projet en 2022 visant à évaluer les résidus et les stériles de certaines mines historiques en Colombie-Britannique afin d’identifier si certaines d’entre elles abritaient des concentrations de minéraux critiques présentant un intérêt économique. À Sudbury, BacTech, qui travaille en conjonction avec MIRARCO, a annoncé son projet en avril 2022 d’utiliser la biolixiviation et les bactéries naturelles pour récupérer le nickel, le cobalt, la dufrénite et le sulfure des résidus des mines. Des sociétés telles que Li-Cycle, Electra Battery Metals et toute une série d’autres petits acteurs promeuvent les projets de recyclage des batteries au Canada et aux États-Unis. En mars, l’Ontario a présenté un projet de mise à jour de la loi provinciale sur les mines qui faciliterait l’obtention d’un permis pour récupérer les minéraux des résidus.
Certains projets bénéficient également d’un financement du gouvernement. En février, Suncor a reçu 7 millions de dollars d’Emissions Reduction Alberta (ERA, un programme de réduction des émissions de l’Alberta) pour mettre en œuvre un projet de 36 millions de dollars visant à récupérer du vanadium dans le produit dérivé de cendres volantes de ses chaudières à coke, dans l’objectif d’utiliser le métal critique sur le marché du stockage de l’énergie. Le mois précédent, Geomega Resources annonçait un financement de 3 millions de dollars du ministère de l’environnement du Québec pour la construction d’une usine de recyclage des aimants afin de récupérer les éléments des terres rares (ÉTR).
Décomposer la masse noire
À Cobalt, en Ontario, Electra déclarait en février avoir atteint un tournant important. La société avait en effet terminé le premier recyclage à l’échelle de l’usine de 10 tonnes de matériau de masse noire, après avoir lancé son usine pilote fin décembre. La masse noire, aussi appelée broyat noir, est la matière restante après que les batteries lithium-ion sont démontées et leur enveloppe retirée. Elle contient généralement des minéraux critiques tels que du nickel, du cobalt, du manganèse, du cuivre, du lithium et du graphite.
Electra avait initialement prévu de traiter 75 tonnes de masse noire durant son essai. Toutefois, expliquait Trent Mell, directeur général d’Electra, compte tenu des résultats positifs qu’elle a obtenus, les projets de la société ont changé en vue d’acquérir davantage de matériau et de poursuivre le traitement après la date de fin du projet, initialement fixée à juin 2023.
Si la masse noire est généralement traitée par un procédé pyrométallurgique, Electra a mis au point un procédé hydrométallurgique qui s’accompagnera d’une empreinte carbone bien plus faible. D’après les représentants officiels de la société, les récupérations de février constituent la première utilisation réussie à l’échelle de l’usine d’un procédé de récupération hydrométallurgique.
Cette démarche, expliquait M. Mell, « se rapproche davantage de la science exacte » que la pyrométallurgie. Elle a eu des implications pour le type de matériau qu’Electra peut accepter pour le traitement, et l’ordre dans lequel il extrait les métaux de la masse. « Il s’agit de s’assurer que l’on contrôle bien ce que l’on a et ce que l’on extrait… [car] une composition différente pourrait affecter les récupérations », indiquait-il.
Electra donne la priorité aux matériaux riches en cobalt, en nickel et en cuivre, que l’on trouve principalement dans les équipements électroniques portables. Toutefois, M. Mell indiquait qu’à mesure que la société acquiert de l’expérience et se familiarise avec ce procédé, elle peut choisir des matériaux ne répondant pas aux spécificités.
L’usine de recyclage de la masse noire de la société s’inscrit dans le cadre de ce qu’Electra qualifie de parc de matériaux pour batteries à Cobalt, lequel compte aussi une affinerie de cobalt. M. Mell s’attend à ce que les marges bénéficiaires de la société sur une petite usine de recyclage « fassent concurrence » à une affinerie de cobalt ayant une capacité de traitement de 50 tonnes par jour. D’après les prévisions de Benchmark Intelligence et Li-Cycle, environ 250 000 tonnes de batteries lithium-ion pourraient être envoyées au recyclage à partir de déchets de fabrication en Amérique du Nord d’ici 2025.
L’utilité cachée des résidus
EnviroGold Global, qui prévoit de récupérer des métaux précieux et critiques dans les résidus miniers et les flux de déchets, avait aussi de bonnes nouvelles à partager en début d’année. Cette société de Toronto spécialisée dans les technologies propres a lancé un projet pilote à l’ancienne mine de Hellyer en Tasmanie, en partenariat avec Hellyer Gold Mines, le propriétaire de la mine, pour retraiter les résidus à l’aide d’une technique de traitement de marque déposée.
Mark Thorpe, directeur général d’EnviroGold, indiquait que Hellyer Gold Mines, qui récupérait environ 5 % de son or et 30 % de son argent dans les résidus et souhaitait renforcer ces résultats, s’est rapprochée de sa société. Pendant plus de deux ans, la société a mis au point sa propre technologie. D’après M. Thorpe, les premiers essais montraient des taux de récupération de jusqu’à 80 % d’or et 90 % d’argent.
La technologie, que l’on peut intégrer à une usine de traitement ou utiliser pour le traitement indépendant des résidus, est une lixiviation acide simple qui repose sur un acide spécifique pour décomposer et oxyder la pyrite et libérer les métaux qu’elle contient. Les métaux communs finiront par être dissous dans l’acide, et l’or et l’argent persistent sous forme de résidu. Lorsque l’acide et le résidu sont séparés, le résidu est envoyé pour une récupération classique de l’or et de l’argent, et l’acide est envoyé pour récupération des métaux par une résine échangeuse d’ions ou une précipitation. L’acide est recyclé dans le traitement et le résidu est détoxifié et envoyé dans les résidus. D’après M. Thorpe, l’oxydation de la pyrite dans le traitement d’EnviroGold réduit énormément le potentiel des résidus à produire un drainage acide.
Si la plupart des traitements par lixiviation acide ont lieu à haute température et haute pression, celui d’EnviroGold est fait à pression atmosphérique et à une température de 85 degrés Celsius.
« La technologie s’appuie sur des traitements métallurgiques antérieurs et les perfectionne en ajoutant un élément clé de la maîtrise des coûts, le recyclage des catalyseurs », indiquait-il. Il faisait toutefois remarquer que ce traitement est plus adapté aux hautes concentrations en sulfure. Ainsi, la société se tourne vers des projets dans lesquels sont présents l’or, l’argent, le zinc, le plomb et les sulfures de nickel.
Il ajoutait également que l’une des difficultés pour élargir l’approche adoptée par la société à une plus vaste gamme de charge d’alimentation de l’usine était d’obtenir l’accès à des données qui aideraient à comprendre les résidus dans un site donné, et la manière de modifier les acides dans le processus de lixiviation initial afin d’obtenir les meilleurs résultats possible.
Regeneration Enterprises, qui prévoit de récupérer les minéraux dans les stériles, les résidus ou l’eau et d’assainir les sites qu’elle exploite, dispose aussi d’une liste détaillée de critères concernant les sites où elle prévoit de procéder à une seconde extraction. Stephen D’Esposito, directeur général de Regeneration, indiquait que la liste d’exigences de l’entreprise en démarrage soutenue par Rio Tinto et RESOLVE pourrait bien différer de celle d’une société minière traditionnelle.
La valeur résiduelle du minéral dans un site minier historique est importante, indiquait M. D’Esposito. Dans la mesure où elle a été constituée en société d’utilité publique, la société considère aussi la biodiversité des terres, son importance pour les communautés locales et la possibilité de les assainir à l’aide de solutions naturelles. « Nous pourrions mener un projet qu’une société purement commerciale ne fera pas », indiquait-il.
Comme l’expliquait M. D’Esposito, la mission unique de Regeneration donne la possibilité d’utiliser une technologie nouvelle et plus efficace sur les sites miniers, que l’industrie n’a pas encore totalement mise à l’essai, telle que la lixiviation in situ. « Nous essayons d’être un véhicule pour que cette approche se concrétise. Nous souhaitons amener la nouvelle technologie sur le terrain afin de tester et de partager nos enseignements, pour qu’ils servent à d’autres », indiquait-il.
Toutefois, indiquait-il, l’une des difficultés que la société s’attend à rencontrer concerne les responsabilités environnementales possibles qui accompagnent le réexamen des déchets miniers. « La plus grande difficulté pour tous ces sites est probablement de surmonter la dynamique où tout ce que l’on fait est perçu comme un facteur d’augmentation du risque. »
La société examine actuellement cinq sites potentiels (elle prévoit de commencer une campagne de forage sur l’un de ces sites en mars), et espère annoncer ses premiers résultats dans le courant de l’année 2024.
Un enjeu critique
De retour à Kennecott, Mme Duyvesteyn indiquait que le circuit de tellure constituait une première incursion dans ce domaine pour Rio Tinto. Cette incursion s’est avérée fructueuse et en valait la peine.
Les gisements cuprifères contiennent souvent entre 11 et 23 minéraux critiques identifiés qui sont bien plus difficiles à trouver seuls. D’après Mme Duyvesteyn, le programme de recherche et développement de son équipe détermine maintenant les prochains minéraux à retirer du cuivre à la mine de Kennecott.
Cette approche, selon elle, cadre bien avec le dynamisme qui entoure les minéraux critiques. Si les gouvernements ont publié une liste de ce qu’ils considèrent comme les principaux minéraux essentiels ainsi que des incitations financières à l’intention des sociétés minières pour qu’elles les explorent et les développent, ces domaines prioritaires peuvent évoluer en fonction de l’économie et des politiques. Elle ajoutait que les minéraux qui ne sont pas mentionnés dans la liste ont tendance à refléter les « enjeux économiques » inhérents à leur extraction. On peut dire que cela rend « critique » la récupération d’autant de minéraux que possible dans le minerai.
« L’approche que j’ai adoptée consiste à vraiment réfléchir de manière holistique », indiquait-elle. « Il s’agit de reconnaître que les minerais referment toute cette valeur, et que nous devons bien réfléchir à la manière de la récupérer. »
Traduit par Karen Rolland