Les mines souterraines qui utilisent un remblai en pâte cimenté pourraient réduire leur empreinte carbone en diminuant la quantité de ciment utilisée ou en la remplaçant par d’autres liants. Avec l’aimable autorisation de Sika Canada

La crise climatique menaçante et les fortes préoccupations environnementales qui en découlent incitent toutes les industries, secteur minier y compris, à réduire leur bilan carbone. Le remblai en pâte cimenté (RPC) est l’un des domaines dans lequel il est possible de considérablement réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) dans les mines souterraines.

« Le remblai en pâte cimenté est un mélange de résidus miniers associé à de l’eau et du ciment en vue de créer une pâte qui sera aspirée, puis qui durcira et générera une force structurelle après avoir été déposée », expliquait Sara Arcila Gut, responsable du développement de l’entreprise à Sika Canada, une société créatrice de produits et substances chimiques spécialisés pour des applications industrielles, dont l’exploitation minière. « La composante du remblai en pâte cimenté réellement responsable du bilan carbone [élevé] est le ciment [tout usage]. »

La pâte ainsi formée est aspirée par une pompe dans les vides souterrains créés par l’excavation minière. Elle se solidifie et soutient donc la roche environnante tout en réduisant le risque d’affaissement de surface. Entre 2 % et 10 % du RPC contient du ciment tout usage, indiquait-elle. Environ 30 mines au Canada l’utilisent, cela représente donc une quantité considérable de ciment.

D’après Neea Heino, chercheuse et directrice de projet à la Geological Survey of Finland (GTK, la commission géologique de Finlande), la production de ciment est responsable de 5 % à 8 % des émissions mondiales de CO2 en raison des procédés de combustion chimique et thermique nécessaires. Mme Heino fait partie du projet SETELIT qui étudie les manières de lier les résidus dans le remblai en pâte par le biais de méthodes neutres en carbone.

Par conséquent, en réduisant la quantité de ciment utilisée, ou en la remplaçant par d’autres agglomérants, les mines qui utilisent le RPC peuvent réduire leur bilan carbone.

Manières de réduire l’utilisation de ciment

Cette réduction peut être considérable et aider les sociétés minières ayant des exploitations souterraines à respecter leur engagement à éliminer leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Paul Deram, ingénieur des services techniques chez le prestataire de solutions en construction Lafarge Canada, indiquait qu’une exploitation minière qui utilise 200 000 tonnes de matériaux de remblai par an peut réduire de 7 000 tonnes ses émissions de CO2 en passant du ciment tout usage à un produit cimentaire (semblable au ciment) de substitution.

« Compte tenu du bilan carbone très élevé de la production de ciment, ainsi que des complexités de la chaîne d’approvisionnement pour atteindre les sites miniers, il est évident que le remblai en pâte cimenté est un processus à haute teneur en carbone », faisait-il remarquer. Il faisait par ailleurs remarquer que la déclaration environnementale de produits (DEP) moyenne au Canada pour le RPC indique un potentiel de réchauffement planétaire (PRP) de 850 kilogrammes d’équivalent CO2 par tonne.

Une stratégie efficace pour réduire le bilan carbone associé à l’utilisation de ciment dans le RPC consiste à utiliser d’autres liants faits à partir de déchets provenant d’autres industries. Ils peuvent inclure des scories d’usines d’acier ou des cendres volantes de centrales à charbon. Mme Arcila Gut de Sika faisait remarquer que les ciments à plus faible bilan carbone permettent à la mine de réduire les émissions de CO2 connexes du ciment acheté, qui est déclaré dans les émissions de champ d’application 3 (les émissions indirectes qui interviennent dans la chaîne de valeur et qui échappent à l’autorité directe de la mine). Toutefois, faisait-elle remarquer, la demande croissance de ces liants de substitution de la part de nombreuses mines dépasse l’offre disponible de ce déchet.

Certains fabricants de ciment remplacent aussi 10 % à 15 % du ciment par des fines calcaires. Selon Mme Arcila Gut, cela semble parfois avoir une incidence sur les propriétés du RPC, par exemple sur le temps de prise, et peut potentiellement mener à une réduction de la résistance à la compression uniaxiale (UCS, de l’anglais uniaxial compressive strength).

Des adjuvants du béton dans le RPC (des additifs qui modifient les propriétés de la pâte) peuvent sinon aider les mines à réduire la quantité de ciment qu’elles utilisent. Ceci présente plusieurs avantages : réduire les émissions de CO2 émanant de la consommation de ciment, augmenter la quantité de résidus entreposés sous terre, ce qui réduit l’effet sur l’environnement du stockage des résidus à la surface, accélérer le processus de coulage du béton, ce qui diminue le délai nécessaire pour combler les trous, et réduire la consommation d’eau des mines.

« En utilisant des adjuvants du béton, on peut réduire de 26 % la consommation de ciment de la mine. Pour moi, c’est une manière de dire que, pour obtenir un RPC durable, il faut optimiser l’utilisation du ciment [qui] émet les émissions les plus faibles », indiquait Mme Arcila Gut.

Toutefois, comment les adjuvants du béton peuvent-ils autant réduire le bilan carbone du RPC ? « En ajoutant une petite dose d’additifs, de 0,5 % à 2 % du poids du ciment, dans le mélange du RPC, la pâte devient bien plus fluidifiable. Ceci permet aux [mines] de réduire la quantité d’eau nécessaire et d’augmenter le contenu solide jusqu’à ce que la pâte arrive à sa consistance originelle fluidifiable. Avec l’adjuvant du béton, la pâte se comporte de la même manière. Toutefois, en raison de sa teneur en eau plus faible, elle est bien plus résistante. Cette approche nous permet donc de réduire progressivement la teneur en ciment jusqu’à ce que nous atteignions la résistance à la compression requise dès le début », expliquait Mme Arcila Gut.

Mme Heino ajoutait que l’utilisation du RPC à plus faible émission de carbone dans des mines souterraines a aussi des effets positifs à la surface, ce qui est en faveur de l’économie circulaire et de l’exploitation minière durable. « Sans remblai, les résidus sont éliminés en tant que déchets dans la zone réservée aux résidus, généralement une grande superficie. Si les résidus sont utilisés comme RPC qui se solidifie dans les structures souterraines, les effets pour l’environnement et le paysage à la surface [de la mine] sont moindres », expliquait-elle.

« Réduire l’utilisation des terres constitue une meilleure option pour la biodiversité. Les zones de stockage des résidus peuvent aussi créer une certaine résistance de la part des communautés, car les résidus endigués sont souvent considérés comme un risque de sécurité pour l’environnement et la communauté. Sans gestion compétente des déchets issus de l’extraction, ces zones peuvent réellement poser un risque à l’environnement. La diminution des incidences sur l’environnement et le paysage [en utilisant le RPC] ainsi que la manipulation sans risques des résidus renforcera l’acceptabilité de l’exploitation minière. »

M. Deram indiquait que Lafarge collabore déjà avec plusieurs clients miniers pour identifier les meilleurs produits à utiliser dans leurs situations spécifiques, en gardant à l’esprit le bilan carbone, mais aussi les considérations logistiques, l’efficacité opérationnelle et les coûts. Nombreux sont ceux qui ont déjà adopté des produits affichant des bilans carbone inférieurs de 85 % au ciment tout usage.

Collaboration intersectorielle

L’industrie du ciment est également en faveur de la réduction du bilan carbone du ciment, à tout le moins en position de légitime défense. La World Cement Association (WCA, l’association internationale du ciment), un organisme indépendant à but non lucratif basé en Angleterre, s’efforce aussi de réduire le bilan carbone des produits de ses membres. On peut lire sur son site Internet que « la WCA est en faveur d’une industrie du ciment durable et encourage le développement technique et d’autres étapes pour atteindre la décarbonation totale. »

Après la Conférence des Nations unies sur le changement climatique de 2023 (COP28), qui s’est tenue à Dubaï fin 2023, le président de la WCA a publié une déclaration approuvant l’accord visant à promouvoir la production de ciment et de béton à faible émission de carbone signée lors de la conférence. « Il est devenu impératif de réagir face aux effets du changement climatique, aussi de nombreuses industries dans le monde reconnaissent que la transition vers une économie faible en carbone est la seule voie possible pour l’avenir », ajoutait-il. Les émissions de CO2 représentent 7 % des émissions mondiales. Ainsi, la réduction des émissions de dioxyde de carbone et le captage du CO2 constituent un enjeu majeur que l’industrie du ciment doit attaquer de front si elle envisage d’embrasser un développement écologique et durable.

M. Deram ajoutait que les fournisseurs doivent faire preuve d’initiative pour réduire le bilan carbone de l’industrie du ciment. « Proposer des produits à faible émission de CO2 n’est pas un simple engagement vis-à-vis de leur durabilité. C’est aussi une contribution directe aux objectifs environnementaux des utilisateurs finaux », indiquait-il. « Selon moi, c’est en introduisant le bilan carbone de ces produits comme facteur de décision dans le processus d’achat que l’on encouragera le changement. Cette évolution s’impose peu à peu dans beaucoup d’industries. »

Pour accélérer cette transition, le dialogue serait, selon lui, la réponse. « Nos industries doivent renforcer leurs échanges sur ce sujet », indiquait-il. « Si les industries minière et du ciment ont des ambitions agressives indépendantes de réduction du CO2 et prennent des mesures concrètes pour les réaliser, la possibilité de progrès effectifs accélérés est réellement importante si nous collaborons. »

Toutefois, l’amélioration de la technologie ne fait pas tout, faisait remarquer Mme Heino. « Les solutions pour un avenir plus durable requièrent également un changement culturel. Elles impliquent de changer nos habitudes de travail », indiquait-elle. « Pour qu’un changement s’opère dans les méthodes d’exploitation, les attitudes et la manière de penser des personnes doivent aussi évoluer. Chacun et chacune de nous est donc responsable de ses propres actions. Ensemble, nous pouvons provoquer le changement. »

Traduit par Karen Rolland