Un incendie de forêt dans la région de la Côte-Nord, au Québec, le 5 juin 2024. Photo: Jennyfer Verreault-Martin

Les incendies de forêt, les foudroiements, les tempêtes tropicales, les sécheresses, les inondations et les autres phénomènes météorologiques extrêmes s’accélèrent en fréquence et en intensité en raison du changement climatique.

L’année 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés de la température mondiale. Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale en raison de sa masse terrestre dans le Nord. Il abrite plus d’un quart des forêts boréales de la planète, et des incendies de forêt sans précédent ont décimé des régions entières du pays en 2023, dévorant 16,5 millions d’hectares et obligeant certaines sociétés minières à suspendre leurs activités. Si les statistiques depuis le début de l’exercice montrent que la saison 2024 des incendies de forêt est moins impitoyable que celle de l’année passée, il est encore trop tôt pour connaître son incidence totale. De nombreuses sociétés minières dans tout le pays ont déjà été touchées par les incendies de forêt.

« Les incendies de forêt marquent la première prise de conscience canadienne », déclarait Theo Yameogo, leader national du secteur des mines et métaux à EY Canada, basée à Toronto. « Le changement climatique est bien réel, mais les sociétés minières se trouvent à différents niveaux de maturité en fonction de leur expérience ou de leur exposition à cette réalité. »

Les sociétés plus grandes ayant des activités à l’échelle internationale sont davantage à l’écoute de la diversité et de l’ampleur des risques climatiques sur tous les continents, indiquait-il. Alors que les coûts augmentent pour faire face aux risques liés aux changements climatiques, les petites sociétés minières trouvent que les mesures préventives constituent une activité à forte intensité capitalistique. « Même les petits problèmes sont très coûteux », expliquait M. Yameogo. « Certaines devront réduire leur rentabilité, et le coût devient alors un débat avec les actionnaires et les investisseurs. »

Une enquête d’EY auprès de 150 dirigeants d’exploitations minières l’année dernière classait le changement climatique comme la quatrième plus forte menace pour l’industrie minière après les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), les capitaux et le permis social d’exploitation. Dans la même enquête l’année précédente, le changement climatique constituait la troisième plus forte menace pour l’industrie minière.

« Les sociétés doivent être certaines d’intégrer le risque dans leurs décisions commerciales », indiquait Eric Jones, directeur international du conseil en matière de risques d’entreprise pour la société de mutualité FM, anciennement connue sous le nom de FM Global.

« Quelles sont leurs vulnérabilités ? S’il existe un risque d’incendies de forêt, quelle sera l’incidence pour elles ? Si elles reposent sur un fournisseur pour un équipement important et qu’elles se trouvent dans une zone inondable depuis 100 ans, dans quelle mesure sont-elles prêtes à accepter ce risque ? Il faut comprendre les menaces physiques. Si vous construisez un centre de production, assurez-vous qu’il est loin d’un risque d’inondation et d’incendie de forêt », conseillait-il.

Réduire les risques

L’une des approches d’atténuation que les sociétés minières peuvent intégrer dans leurs plans de développement concerne l’utilisation de la technologie qui permet de détecter et de prévoir les phénomènes météorologiques extrêmes.

Pour la gestion des risques d’incendie, la société SenseNet basée à Vancouver propose une technologie qui intègre l’imagerie satellite, des détecteurs de gaz sophistiqués, des caméras de détection de la fumée, des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) et une analyse des données en temps réel pour donner des alertes rapides en cas d’incendies.

La société recueille des données environnementales en temps réel à partir de capteurs qui détectent la température, l’humidité, la qualité de l’air, les composés organiques volatils, le dioxyde et le monoxyde de carbone, le méthane, les oxydes d’azote et les particules.

Ces capteurs durent jusqu’à huit ans et peuvent détecter les incendies à l’étape de feux couvant, même dans des forêts denses. Ils recueillent des données sans interruption et les envoient dans le nuage, où elles sont traitées par des algorithmes d’IA spécialisés. En cas d’irrégularités ou de pics dans la composition de l’air, ces derniers sont détectés.

Lorsque les capteurs remarquent des anomalies, les caméras zooment pour obtenir une meilleure vision. En capturant des images en temps réel de zones d’incendies de forêt, l’algorithme de SenseNet peut ensuite détecter le comportement de l’incendie, les niveaux de dangers et la qualité de l’air. La société peut aussi suivre l’indice forêt météo (IFM) et d’autres ensembles de données pour comprendre les situations météorologiques et prévoir les débuts d’incendies possibles provoqués par des foudroiements.

C’est un point important car le réchauffement climatique entraîne des étés plus secs et plus ventés, ce qui augmente la fréquence des foudroiements. D’après l’Institut climatique du Canada, 93 % des terres brûlées au Canada en 2023 sont le résultat d’incendies de forêt entraînés par des foudroiements. En outre, la saison des feux commence bien plus tôt et dure plus longtemps. Certains incendies, que l’on surnomme « feux zombies » (ou feux hibernant), continuent même de brûler pendant les mois d’hiver. Ils sont maintenus en vie par une association de sphaigne et de neige dense.

« La première difficulté consiste à faire passer le message », indiquait Alex Pourian, directeur des partenariats stratégiques de SenseNet. « Nous assistons toutefois à une amélioration. L’exploitation minière est un secteur vertical relativement nouveau pour nous, et nous avons constaté un certain intérêt de leur part ces six derniers mois. »

La société américaine AEM, elle aussi, recueille des données, les analyse et alerte grâce à des technologies de pointe, notamment la détection d’éclairs, les observations de surface, la détection de fumée par IA et les données hydrologiques, pour garantir la sécurité des travailleurs et la déclaration réglementaire en matière d’environnement. L’AEM propose aussi des prévisions météorologiques personnalisées 24 heures sur 24 avec l’aide de son équipe de météorologistes. Grâce à un moteur d’alerte automatisé, AEM utilise plusieurs sources de données et permet aux utilisateurs de personnaliser les alertes d’atteinte des seuils en fonction de l’emplacement et d’envoyer des notifications par SMS, courriel, via l’application et via une sirène ou une lumière stroboscopique.

AEM possède ses propres réseaux de stations météorologiques et de détection de la foudre, que les sociétés minières utilisent afin de comprendre les conditions de surface ainsi que le lieu, le moment et la gravité de la foudre. Des alertes préviennent au moment opportun les travailleurs quand ils doivent aller se mettre à l’abri et les informent quand ils peuvent retourner au travail. Les stations météorologiques utilisées à distance collectent des données pour la déclaration réglementaire simplifiée, et servent aussi à prévenir des conditions tels que les vents forts et le stress thermique.

« Nous travaillons avec l’une des plus grandes sociétés minières aux États-Unis. Nous avons équipé la plupart de ses mines et sites de traitement », déclarait Stuart Hershon, spécialiste des solutions minières à AEM. « Les sociétés minières ne souhaitent pas s’encombrer de considérations météorologiques. Elles ne souhaitent pas allouer des ressources au maintien de l’équipement et des données en fonction des conditions météorologiques. Elles préféreraient une approche gérée. »

M. Hershon, qui a travaillé à AEM pendant près de 20 ans, faisait remarquer que le secteur minier commence à comprendre depuis quelques années seulement la disponibilité des solutions exhaustives contre les risques météorologiques pour les applications liées à la sécurité et l’environnement.

« Beaucoup d’exploitations minières bricolent leur vision des problèmes météorologiques à partir de sources diverses, notamment à l’aide d’applications publiques gratuites et/ou de capteurs obsolètes et non calibrés », indiquait-il. « Une solution technologique qui offre non seulement un système global en temps réel, mais garantit aussi la qualité des données, est une décision facile à prendre. »

Les difficultés surviennent lorsque l’on travaille dans des sites reculés, où les communications ne sont pas toujours aussi simples qu’une connexion câblée ou cellulaire. Sur l’un des sites, la société ne pouvait se connecter à aucun des réseaux cellulaires locaux, mais AEM a pu leur proposer des communications satellites pour la collecte de données en temps réel.

« Ils observent bien moins de pertes de données, et même les cadres supérieurs peuvent se connecter au logiciel puis obtenir une image claire des conditions dans tous les sites à l’échelle internationale », indiquait M. Hershon. « C’est la saison de la mousson en Arizona en ce moment, et ils peuvent consulter les informations relatives à l’activité de la foudre, aux données de précipitation, au stress thermique et aux crues éclair, le tout sur une seule et unique plateforme d’exploitation, qui peut aussi envoyer des notifications. »

AEM travaille en direct ou dans le cadre de partenariats stratégiques avec des clients au Canada, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie, en Afrique et en Asie du Sud-est. « Les demandes de renseignements augmentent, à l’échelle nationale et internationale, sur des sites miniers nouveaux et reconstitués qui mettent à profit la demande croissante émanant de la prolifération des batteries solaires et pour VÉ [véhicule électrique] », ajoutait-il.

« Une attention croissante est accordée au changement climatique. Selon moi, les sociétés minières ont la responsabilité de se procurer les meilleures données possible pour la sécurité et l’atténuation, particulièrement en ce qui concerne les ressources en eau et les incendies de forêt. »

Vaisala, une grande société finlandaise spécialisée dans les instruments de mesure et l’intelligence pour l’action climatique, dispose d’une variété d’outils, notamment des scanneurs de détection et télémétrie par ondes lumineuses (LIDAR) pour les voiles de poussière, des capteurs de la qualité de l’air qui mesurent les particules jusqu’à 0,3 micron, ainsi que des stations météorologiques reliées au nuage équipées de capteurs adaptés à tous les temps. La société propose aussi des capteurs du niveau de l’eau qui mesurent le niveau d’une digue à stériles à l’aide de la technologie de radars, et des capteurs de précipitation qui détectent la pluie verglaçante et le brouillard givrant.

« La technologie existe pour atténuer les incidences des phénomènes météorologiques extrêmes, et pour sauver des vies », indiquait Frank DeFina, directeur du développement des entreprises de Vaisala basé à New York

Le réseau canadien de détection de la foudre (RCDF), qui relève d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), utilise la technologie de Vaisala. « Nous pouvons détecter des éclairs nuage-sol avec une précision quant à la localisation inférieure à 100 mètres », indiquait M. DeFina. « Sur le site de nombre de ces mines à ciel ouvert, il n’y a pas grand-chose autour et les véhicules sont les éléments les plus hauts du site. [Ainsi], il est extrêmement important de savoir où se trouve l’éclair, et de combien de temps on dispose pour arrêter les opérations. »

M. DeFina confirmait que l’industrie minière accorde désormais une plus grande attention au changement climatique. « Dans certaines conférences sur l’exploitation minière, je parlais du changement climatique devant un public de quelques personnes », indiquait-il. « Je pense que nombre de directeurs généraux commencent à comprendre, de plus en plus, les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes. Nous avons toujours travaillé avec les mines, mais la valeur pécuniaire des événements météorologiques qui se produisent en raison du changement climatique ne cesse de croître. Ils savent qu’ils doivent protéger l’environnement. »

Impact financier

D’après le Bureau d’assurance du Canada (BAC), les dégâts assurés en cas d’événements météorologiques extrêmes et de catastrophes naturelles ont atteint 3,1 milliards de dollars en 2023 au Canada. Rien qu’en août et septembre 2023, le montant des dommages couverts résultant de deux incendies de forêt dans les régions d’Okanagan et de Shuswap, en Colombie-Britannique, s’élève à 720 millions de dollars.

D’après M. Jones de FM, si les sociétés minières parlent des risques climatiques et des impacts qualitatifs, elles réagissent généralement lorsqu’elles connaissent la charge financière de l’inaction.

« Il faut savoir ce qui peut dégénérer, qu’il s’agisse d’un incendie de forêt, du risque climatique ou d’un train qui déraille. En d’autres termes, tout ce qui peut aboutir à une fermeture. Il faut bien comprendre les ramifications financières qui peuvent en découler », indiquait-il.

Ce n’est pas uniquement le coût de la perturbation qui est inquiétant, ajoutait M. Jones. Les événements perturbateurs peuvent laisser « de longues traces d’impact financier », notamment des coûts d’opportunité, des clients perdus ou une part de marché réduite.

« Tous ces éléments peuvent diluer le flux net de trésorerie prévu pour l’avenir », indiquait-il. « Lorsque le flux net de trésorerie est dilué, et lorsque les investisseurs et la communauté constatent que les activités sont associées à des risques plus élevés, ou encore que les risques ne sont pas correctement gérés, le coût des capitaux augmente et, par voie de conséquence, la valeur d’entreprise des activités diminue. »

Traduit par Karen Rolland