Avec la révolution de l’énergie propre qui stimule la demande de lithium, les sociétés minières explorent Canada pour trouver de nouvelles sources, comme E3 Lithium, qui a établi son projet de saumure de lithium Clearwater entre Calgary et Edmonton. Avec l’aimable autorisation de E3 Lithium

En 1950, les auteurs d’un document du gouvernement fédéral intitulé The Miscellaneous Non-Metal Mining Industry (uniquement disponible en anglais) indiquaient que le Canada n’avait que peu, voire pas d’utilisation connue pour le lithium. « Il faudrait donc trouver un marché extérieur pour sa production », concluaient les auteurs. Utiliser le lithium pour des lubrifiants, du verre, de la céramique et des médicaments pourrait ultérieurement ouvrir des niches commerciales pour ce minéral blanc. Toutefois, au fil des décennies, l’exploration et l’extraction du lithium au Canada sont restées sporadiques, les mines de lithium étant extrêmement rares. Aujourd’hui, le Canada a découvert un marché (qui plus est en plein essor) pour le lithium. Des dizaines de petites sociétés minières canadiennes ont rejoint la ruée mondiale vers le lithium en se mettant en quête de ce minéral sur leur territoire. D’après Ressources naturelles Canada (RNCan), les dépenses dans l’exploration et les activités d’évaluation des gisements pour « d’autres minéraux », qui incluent le cobalt, le lithium et les terres rares, ont augmenté de 167 % en 2021 pour atteindre 95 millions de dollars. Leur augmentation en 2022 est estimée à 77 %, pour une valeur de 169 millions de dollars. Collectivement, ces petites sociétés minières s’inscrivent dans un projet plus vaste que le simple développement d’une activité. De fait, elles donnent naissance à une toute nouvelle industrie d’extraction du lithium pour la fabrication de batteries au Canada.

Le gouvernement du Canada et d’autres régions, dont les États-Unis et l’Union européenne, classent le lithium parmi les minéraux essentiels à la décarbonation de l’approvisionnement mondial en énergie indispensable dans la lutte contre le changement climatique. D’après un rapport de 2022 de l’agence internationale de l’énergie (AIE), la demande en lithium devrait être six fois plus importante et atteindra 500 kilotonnes d’ici 2030. Pour satisfaire cette demande, environ 50 nouvelles mines de taille moyenne, non encore développées, devront être construites. La majeure partie de l’approvisionnement international provient d’Australie, du Chili, d’Argentine et de Chine. Toutefois, le gouvernement canadien indiquait en 2022 que le Canada était en bonne voie de devenir un fournisseur de lithium qui aidera à combler la pénurie prévisible.

Actuellement, le pays abrite seulement 2,5 % des gisements connus de lithium dans le monde, une seule mine de lithium (l’exploitation nord-américaine de lithium de Sayona Québec et Piedmont Lithium au Québec) qui devrait ouvrir ses portes en 2023, et aucun centre d’affinage du lithium nécessaire à la transformation de la matière première en un produit pouvant servir à la fabrication de batteries. Les sociétés de prospection et d’exploration ne se laissent toutefois pas décourager car, jusqu’à récemment, peu ont axé leurs efforts sur la recherche de ce minéral. Certaines prétendent que le pays abrite davantage de gisements de lithium que les 2,5 % connus.

« L’exploration du lithium au Canada n’a pas eu cours depuis de nombreuses années », déclarait Killian Charles, président et chef de la direction de la société montréalaise Exploration Brunswick, une société d’exploration de terres inexploitées. « L’Australie, qui abrite plusieurs des sites de lithium connus, est plus agressive dans sa démarche et a constitué un répertoire plus vaste des gisements connus de lithium. »

D’après le gouvernement australien, l’exploration active entre 2007 et 2017 a permis d’augmenter les ressources économiques connues de lithium du pays de 1 600 %. Les petites sociétés d’exploration canadienne retroussent leurs manches pour créer elles aussi un répertoire canadien.

« La géologie du Canada est idéale et pourrait mener à de nombreuses grandes découvertes sur l’ensemble du territoire », indiquait M. Charles. « Nous ne faisons que débuter. »

Le lithium contenu dans les roches dures

Actuellement, on trouve la plupart des ressources de lithium dans des gisements de pegmatites sous la forme de roches dures. Certaines petites sociétés minières canadiennes, telles que Grid Metals, mènent des activités d’exploration dans le Manitoba. Son projet de Donner Lake se situe dans la ceinture de roches vertes de Bird River, dans le sud-est de la province. Toutefois, la majorité des activités d’exploration du lithium menées par les petites sociétés minières canadiennes ont lieu en Ontario et au Québec. Par exemple, Frontier Lithium, une société de Sudbury, explore le lithium à Pakeagama Lake, dans le district de Kenora en Ontario. Ces activités suscitent un vif enthousiasme dans la région. La société avait lancé son projet en 2013. Jusqu’en 2022, elle n’avait foré que 14 000 mètres dans le cadre de ce projet, baptisé PAK, l’une des plus grandes enveloppes foncières dans la province abritant des pegmatites de qualité contenant du lithium. Durant l’année 2022, Frontier Lithium a foré 16 000 mètres supplémentaires.

En Ontario, certaines petites sociétés minières se réinventent en tant que sociétés d’exploitation minière ou de fabrication de produits chimiques. Frontier, par exemple, prévoit de construire un centre d’affinage du lithium pour la fabrication de batteries ainsi qu’une mine.

La société germano-canadienne Rock Tech, situé à Vancouver, prévoit de construire une exploitation à ciel ouvert sur le site de son projet de mine de lithium de Georgia Lake, situé à 160 kilomètres au nord-est de Thunder Bay, ainsi qu’un centre de traitement du lithium pour batteries à Guben, en Allemagne. L’année dernière, la société a signé un contrat d’approvisionnement avec Mercedes-Benz.

Certaines petites sociétés minières font preuve d’une grande ardeur. Avalon Advanced Materials, qui prévoyait initialement d’orienter son projet de mine de lithium de Separation Rapids, situé près de Kenora, sur le marché du lithium destiné au verre et à la céramique, a changé de direction. En 2022, elle a signé un protocole d’entente non contraignant avec LG Energy Solutions pour lui fournir du lithium pour batteries à compter de 2025. Avalon prévoit aussi de construire une installation de traitement du lithium à Thunder Bay pour approvisionner l’industrie des batteries pour véhicules électriques (VÉ).

Le Québec, qui abrite l’un des plus grands gisements connus de lithium contenu dans des roches dures, attire également un nombre croissant de petites sociétés canadiennes d’exploration du lithium. En 2021, l’une de ces sociétés, Patriot Battery Metals situé à Vancouver, a découvert un district pegmatitique jusqu’ici inconnu contenant du lithium dans sa propriété de Corvette, dans la région de la baie James de la province.

Fondée en 2020, Exploration Brunswick avait pour objectif de tester autant de pegmatites contenant du lithium que possible dans un temps limité dans l’ensemble du Canada. Elle a commencé par ses projets actuels au Québec, en Ontario, au Manitoba et dans le Canada atlantique, afin d’identifier environ 2 % des pegmatites qui pourraient contenir du lithium. Sur le terrain, l’équipe de la société utilise des analyseurs à fluorescence des rayons X (XRF, de l’anglais X-ray fluorescence) portables pour identifier la présence d’indicateurs géochimiques qui signalent une minéralisation du lithium. « Contrairement à l’exploration de l’or et des métaux communs, nous pouvons immédiatement établir si la pegmatite trouvée sur le terrain est susceptible de contenir du lithium. Cela nous permet d’assurer des activités d’exploration d’une efficacité incroyable », indiquait M. Charles. « Compte tenu de notre efficacité, nous avons décidé de faire preuve d’imagination et de nous concentrer sur l’acquisition d’autant de cibles que possible. »

Innovation dans l’Ouest

En 2014, Chris Doornbos, chef de la direction d’E3 Lithium, a vu poindre une pénurie potentielle de lithium. Pendant deux ans, il a parcouru le monde à la recherche de possibilités d’exploration du lithium. Un jour, il est tombé sur un rapport de l’Alberta Geological Survey (la commission géologique de l’Alberta). « Ils avaient échantillonné de l’eau de formation coexistant avec du pétrole et du gaz, et mené une analyse exhaustive », indiquait-il. « Ce rapport montrait que des échantillons contenant du lithium avaient été collectés dans le sud de la province où ils se trouvent désormais. Nous nous y sommes intéressés davantage et avons découvert que l’aquifère Leduc contenait du lithium. Je ne sais pas si toutes les personnes qui ont constaté la présence de lithium dans l’aquifère ont bien réalisé l’étendue de cet aquifère. »

Il s’avère que depuis des décennies, les étendues d’eau salée souterraine de l’ouest du Canada sont forées à la recherche de pétrole, mais les saumures enrichies en lithium sont réinjectées dans le sol. L’aquifère Leduc est immense. Il s’étend sur 2 500 mètres sous la surface et couvre des centaines de kilomètres carrés entre Calgary et Edmonton. En 2016, l’entreprise privée qui est devenue E3 a été constituée en société et a rapidement commencé à acheter des terres pour son projet d’exploitation de la saumure contenant du lithium de Clearwater. « Nous détenons désormais la majeure partie, voire l’intégralité de Leduc au sud d’Edmonton », indiquait M. Doornbos.

Dans un premier temps, l’exploration dans ce nouveau secteur en plein essor de la saumure contenant du lithium est un peu différente de l’exploration minière traditionnelle. Pour ce faire, E3 a dû collaborer avec des sociétés pétrolières afin de profiter de l’infrastructure existante pour procéder à l’échantillonnage. « Ainsi, nous n’avons pas eu besoin de forer pour obtenir les données nécessaires au développement d’une ressource », indiquait M. Doornbos. Depuis, E3 a mené des activités de forage pour délimiter ses ressources. Ses ressources présumées sont actuellement estimées à 24,3 millions de tonnes d’équivalent carbonate de lithium. Si la ressource a depuis longtemps été comprise, elle a été négligée jusqu’à l’intervention d’E3. La société s’est principalement concentrée sur le développement d’une technologie d’extraction et les études techniques relatives à une installation commerciale pour le projet en associant le pétrole et le gaz de l’ouest du Canada et l’exploitation minière.

E3 n’est pas la seule petite société minière à explorer la saumure. LithiumBank en fait de même pour son projet de mine de lithium de Boardwalk à Sturgeon Lake, découvert pour la première fois dans les années 1950 par l’industrie pétrolière et gazière, qui abrite quelque 1 100 puits. Son deuxième projet d’exploration, Park Place, est situé dans la région de Fox Creek, riche en pétrole et en gaz.

En Saskatchewan, des petites sociétés minières canadiennes telles que Prairie Lithium, qui explore le bassin de Williston de la région, et Grounded Lithium, dont le projet de lithium de Kindersley se trouve dans le sud-ouest de la province, ouvrent la voie à un nouveau secteur d’exploitation du lithium qui tire profit de l’infrastructure du secteur pétrolier et gazier pour accélérer le développement (la société australienne Arizona Lithium a conclu un accord d’acquisition avec Prairie Lithium fin 2022).

« Il faut comprendre que la construction d’une mine prend du temps », déclarait Matthew Dreis, chercheur et analyste principal du développement à Prairie Lithium. « Dans l’industrie du lithium, il faut compter environ 10 ans pour construire une mine et développer les ressources minérales. Toutefois, il est ici question d’une demande en lithium vouée à augmenter d’environ 500 % d’ici 2030. C’est pourquoi nous devons assurer très rapidement une production importante dans la décennie à venir. »

L’extraction du lithium à partir de saumure dans l’ouest du Canada pourrait être envisageable d’ici deux ans environ. D’après Alex Wylie, fondateur de Volt Lithium et désormais président d’Allied Copper, qui a racheté Volt en décembre 2022, l’exploitation de la saumure en quête de lithium peut s’inspirer de l’industrie pétrolière traditionnelle. Sa société explore les exploitations pétrolières de Rainbow Lake en Alberta et met au point une technologie d’extraction du lithium qui peut être ajoutée comme deuxième étape dans l’extraction pétrolière actuelle.

« Je travaille dans le secteur pétrolier et gazier et pour moi, un seul puits suffit », indiquait-il. « Si un seul puits produisant du pétrole dispose d’un réservoir de saumure souterrain, je peux développer l’activité en ajoutant des puits pour en extraire la saumure. Mais le pétrole aura la priorité, et il faudra l’extraire en premier lieu. Il faut ramener le pétrole à la surface, le traiter et montrer que tout fonctionne. Nous faisons la même chose avec le lithium. »

« Le Canada sera à l’avant-garde en termes d’approvisionnement en minéraux et métaux nécessaires à la transition énergétique », indiquait M. Charles d’Exploration Brunswick. « Honnêtement, ce n’est même pas une question de volonté politique ou d’argent. C’est une question de temps. »

Traduit par Karen Rolland