Des chercheurs de l’université de Toronto travaillent au développement d’un procédé de biolixiviation qui pourrait aider les sociétés minières à remettre en état des bassins de décantation des résidus et à récupérer l’équivalent de jusqu’à 11 milliards de dollars en nickel de ces bassins durant le processus. Avec l’aimable autorisation de Glencore
Plus de 100 millions de tonnes sèches. À tous les égards, ce chiffre est considérable. Il s’agit de la quantité de déchets issus de la pyrrhotite nickélifère actuellement entreposés dans des bassins de décantation des résidus situés dans la région de Sudbury.
En 2013, des chercheurs, dirigés par Vladimiros Papangelakis, professeur au sein du département de génie chimique et de chimie appliquée de l’université de Toronto, ont commencé à travailler sur le développement d’un processus de biolixiviation à bas prix qui pourrait nettoyer les déchets issus de la pyrrhotite nickélifère accumulés pendant 50 ans, et en extraire l’équivalent de 6 à 8 milliards de dollars américains en nickel. Cette technologie permettrait de compenser le coût de la remise en état du bassin de décantation des résidus grâce aux profits tirés de la vente du nickel ainsi que d’autres produits tels que du soufre ou d’autres métaux précieux. Malheureusement, l’extraction d’environ 0,8 % de nickel des résidus de pyrrhotite est, comme l’explique M. Papangelakis, un puzzle très complexe.
Au fil des ans, l’équipe diversifiée de recherche, qui comprend des microbiologistes et des bio-ingénieurs de l’université de Toronto, ainsi que Nadia Mykytczuk de l’université Laurentienne à Sudbury, a méthodiquement rassemblé les pièces du puzzle. L’une des chercheurs, Dazhi Ren, étudiante en maîtrise de génie chimique à l’université de Toronto, a récemment terminé une étude de deux années sur la méthode optimale de lixiviation du fer dans la pyrrhotite dans un contexte industriel. Ses résultats apportent un éclairage qui contribuera à augmenter le nombre de pièces du puzzle dont l’équipe dispose déjà.
Un problème de 100 millions de tonnes
La pyrrhotite est un minerai commun que l’on trouve dans les roches ignées et en quantité massive dans le bassin de Sudbury, où sont basées des sociétés qui procèdent à l’exploitation minière depuis un siècle. De fait, cette région fait partie de celles où l’on trouve les plus grandes occurrences de ce minerai. Traditionnellement, la pyrrhotite était traitée avec du concentré de pentlandite. Pendant le processus de grillage du minerai, le soufre présent dans la pyrrhotite était converti en dioxyde de soufre, qui pendant des années était libéré dans l’atmosphère. Le fer était rejeté dans les stériles. Dans les années 1950, les tentatives de récupérer le fer dans la pyrrhotite et de réduire les émissions de dioxyde de soufre se sont avérées économiquement irréalisables. Dans les années 1970, au vu de la sensibilisation croissante aux dangers des pluies acides résultant du dioxyde de soufre sur l’environnement et les organismes vivants, des réglementations environnementales ont été élaborées afin de réduire les émissions, et les circuits rejetant la pyrrhotite sont devenus monnaie courante. Ainsi, les sociétés minières de Sudbury se sont retrouvées avec une quantité croissante de déchets issus de la pyrrhotite.
Après l’exploitation du minerai contenant de la pyrrhotite nickélifère et l’extraction de ses précieux minéraux, le processus de décomposition naturel sur la pyrrhotite commence. Pour cette raison, les risques de pluies acides, mais aussi de drainage minier acide (DMA, l’écoulement d’eau acide dans l’environnement provenant du site minier), sont nombreux là où l’on trouve des déchets issus de la pyrrhotite.
« Trois choses doivent coexister pour que se produisent [la décomposition et l’acidification] », expliquait M. Papangelakis. « Le premier élément est l’oxygène de l’air, le second l’eau de pluie et le troisième les bactéries d’origine naturelle. Ces trois éléments permettent la décomposition spontanée du matériau en acide sulfurique qui, si on ne le traite pas, infiltre l’eau souterraine avec des métaux solubles dans l’acide, entraînant un impact environnemental. Si l’on élimine l’un des trois, la réaction s’arrête. »
Les sociétés minières ont éliminé l’oxygène de l’air pour préserver la stabilité des matériaux en entreposant les déchets issus de la pyrrhotite sous l’eau dans des bassins de décantation des résidus. En l’absence d’une solution de traitement viable, les tonnes de pyrrhotite se sont accumulées pendant des décennies.
Plus important encore, la méthode n’est pas parfaite. Ces dernières années, les chercheurs ont constaté que l’eau des bassins de décantation des résidus avait tendance à afficher un pH faible, ce qui pourrait montrer que les déchets issus de la pyrrhotite oxydent et acidifient les bassins.
« Actuellement, ces résidus sont gérés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an par Glencore et Vale, qui sont propriétaires de la zone où se trouvent les résidus », expliquait M. Papangelakis. « C’est un véritable casse-tête pour les sociétés, car pour se conformer aux réglementations en matière d’environnement, elles doivent arrêter toute transformation potentielle de ce matériau en acide et/ou neutraliser tout l’acide généré. »
Transformer les déchets en une opportunité
Mais on évoque là le côté sombre de la pyrrhotite. Ce minerai a aussi des atouts.
« Toute cette histoire a commencé par un article [rédigé] par l’équipe de Xstrata (aujourd’hui Glencore) en 2010, dans lequel les auteurs estimaient la valeur du nickel présent dans les résidus. Même dans le contexte des bas prix qui règnent actuellement, on se trouve dans des récupérations possibles de l’ordre de 6 à 8 milliards de dollars », indiquait M. Papangelakis.
La possibilité d’associer la remise en état à l’extraction a suscité la recherche, mais la question de savoir comment procéder restait une véritable énigme. Puisque la nature est si efficace dans la transformation chimique des minéraux, les chercheurs universitaires se sont tournés vers elle pour s’en inspirer et trouver une solution créée par l’homme.
« Nous pensions pouvoir reproduire ce que fait Mère Nature, mais en ajustant la composition chimique de manière à convertir le matériau afin qu’il ne soit plus dangereux ; ainsi, nous pourrions être en mesure de récupérer certains produits de valeur », expliquait M. Papangelakis. « Nous avons envisagé d’avoir recours à un procédé biocatalytique pour faire en quelques jours ce qui prend des années à la nature. »
Par rapport à la décomposition naturelle qui résulte en la production d’acide sulfurique, les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux possibilités offertes par la biolixiviation pour convertir efficacement le sulfure de fer présent dans la pyrrhotite (responsable de la création de dioxyde de soufre et d’acide) en hydroxyde de fer(III), ou hydroxyde ferrique, un solide inerte et insoluble jetable, et en soufre élémentaire. Il faudra séparer le soufre élémentaire et le récupérer comme un autre produit vendable ; les déchets restant de l’hydroxyde de fer(III) peuvent éventuellement être traités pour récupérer des métaux précieux avant de s’en débarrasser. Tout est question d’économie.
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« En produisant du soufre élémentaire à partir de ce matériau, nous évitons la production d’acide sulfurique », expliquait M. Papangelakis. « Pour ce faire, nous utilisons des bactéries d’origine naturelle qui se nourrissent de fer. Les humains utilisent des aliments organiques tels que les légumes ou les protéines, et respirent de l’oxygène pour convertir ces aliments en une forme oxydée de déchets ; de la même manière, les bactéries se nourrissent de la forme active du fer et le convertissent en une forme d’hydroxyde inactive. »
Le problème est que les bactéries d’origine naturelle se nourrissent également de soufre. « C’est pourquoi nous développons des bactéries qui se nourriront uniquement de fer. C’est un processus perpétuel », expliquait M. Papangelakis. « Notre processus de sélection pour les bactéries se poursuit. À l’aide d’outils de biotechnologie ultra-sophistiqués, nous sélectionnons, mais pouvons également créer des mutants bactériens. Nous détruisons les gènes qui ingèrent le soufre pour convertir les bactéries en un nouveau type de bactéries qui se nourrit uniquement de fer. Le nickel et les autres métaux solubles sont mis en solution, et on peut ensuite traiter et récupérer le nickel et les métaux. Notre objectif est également de produire du soufre élémentaire ; sa valeur commerciale est faible mais il fait partie des produits potentiels. »
Le matériau restant consistera en des résidus totalement inoffensifs qui peuvent être stockés sans impact sur l’environnement, car ils ne contiendront plus aucun matériau réactif lorsqu’ils sont exposés à l’environnement naturel, expliquait M. Papangelakis.
Atomes crochus
Avant d’y parvenir, cependant, l’équipe a besoin de connaître le mécanisme chimique du processus de biolixiviation. C’est là qu’entre en jeu Mme Ren. Elle a travaillé sur un procédé dans lequel les résidus sont filtrés par le sulfate de fer(III) ; l’élément ferreux est biorégénéré dans une deuxième étape. Mme Ren a collaboré avec Georgiana Moldoveanu, chercheuse associée à l’université de Toronto, les professeurs de génie biologique Radhakrishnan Mahadevan et Elizabeth Edwards ainsi qu’avec M. Papangelakis. « Dans de précédentes études, les chercheurs ont étudié la manière dont on peut s’assurer que la concentration des réactifs reste relativement stable pendant tout le procédé, et ils ont étudié cette réaction pour un très faible pourcentage de solides dans les résidus », expliquait-elle. « Le fait d’avoir un faible pourcentage de solides dans la solution impliquera de disposer d’une grande cuve pour filtrer les résidus, ce qui requiert une grande quantité d’eau et rend cette solution économiquement plus contraignante pour l’industrie. »
Mme Ren a étudié les effets de l’augmentation du contenu solide dans la solution de 1 %, de 5 % et enfin de 20 %. Afin de reproduire le fonctionnement continu d’un réacteur à l’échelle industrielle, elle a dû régénérer l’agent lixiviant ferrique in situ tout en comparant la performance de deux réactifs oxydants, le peroxyde d’hydrogène et le permanganate de potassium, pour déterminer le plus performant.
L’étude a constaté que le peroxyde d’hydrogène, peu coûteux, était très efficace pour la production de soufre élémentaire à partir de la pyrrhotite. Avec le permanganate de potassium, seulement 50 % à 70 % de la pyrrhotite dissoute étaient convertis en soufre élémentaire. Avec le peroxyde d’hydrogène, on atteignait un résultat entre 79 % et 92 %. Le peroxyde d’hydrogène est un réactif plus efficace, « mais également bien plus propre car il n’est composé que de deux éléments, de l’oxygène et de l’hydrogène », expliquait Mme Ren.
Les autres pièces du puzzle
« À l’avenir, notre objectif est d’associer l’attaque chimique sur la pyrrhotite et la régénération ferrique assistée par les microbes en un seul processus, connu sous le nom de biolixiviation. Ainsi, tout se passera dans la même cuve », indiquait M. Papangelakis.
Pour le moment, l’équipe prévoit de mener des recherches plus poussées pour développer la culture bactérienne optimale qui se nourrit uniquement de fer, et pour résoudre les derniers problèmes techniques dans la séparation du soufre élémentaire. Ensuite, elle envisage d’intensifier les recherches avec un processus de réacteur en continu.
À la fin de ces recherches, même si le processus d’assainissement et de biolixiviation que mettent au point les chercheurs ne se traduit pas par des profits de milliards de dollars résultant de la récupération de nickel et d’autres produits, il pourrait tout de même aider à couvrir les coûts de l’élimination de 100 millions de tonnes (qui ne cessent de croître) de pyrrhotite nickélifère qui se trouvent dans les bassins de décantation des résidus pour éviter sa décomposition et la création de dioxyde de soufre.
« Aucune feuille de route n’accorde de valeur pécuniaire à la responsabilité environnementale qui découle de la stagnation de ces résidus dans ces bassins pour une durée illimitée », indiquait M. Papangelakis. « Si l’on investit dans l’assainissement et l’extraction de valeur des résidus, on économise sur les coûts de la surveillance et de l’entretien des résidus pour toute la durée de vie des mines, et on compense ces coûts. C’est aussi simple que cela. »
Vladimiros Papangelakis et Dazhi Ren présenteront leurs résultats lors de l’Annual Conference of Metallurgists 2020 (COM 2020, la conférence annuelle des métallurgistes 2020) de la MetSoc, reprogrammée pour le mois d’octobre.
Traduit par Karen Rolland