Odontarrhena chalcidica est une plante hyperaccumulatrice de nickel indigène en Europe du Sud-Est. Avec l’aimable autorisation d’Antony van der Ent, université de Wageningen
En Nouvelle-Calédonie et à Bornéo, la résine de certains arbres coule dans des teintes de bleu et de vert. Ce ne sont pas des résidus de décors de films de science-fiction, mais une réaction qui résulte de l’absorption par ces arbres du nickel du sol.
On appelle ces arbres, ainsi que quelque 700 autres espèces de plantes, des hyperaccumulateurs, autrement dit des plantes qui absorbent de grandes concentrations de certains métaux dans le sol. Maintenant que les fabricants de véhicules électriques (VÉ) du monde entier sont à la recherche de métaux aussi écologiques que possible pour les inclure dans leurs batteries, certains se tournent vers les plantes afin qu’elles extraient à leur place.
C’est dans les années 1940 que l’on a découvert pour la première fois la forte accumulation de nickel dans les plantes. Les universitaires étudient le phytominage depuis les années 1980, mais la course récente vers l’électrification a entraîné avec elle une nouvelle vague d’intérêt en Amérique du Nord et au-delà. Le phytominage permet de libérer l’extraction des minéraux critiques dans des gisements qui ne répondent pas aux seuils économiques pour l’extraction traditionnelle. La teneur en carbone de cette méthode est aussi bien moindre que celle de l’exploitation minière traditionnelle. Un nouveau financement de la recherche sur le phytominage du gouvernement américain et des entreprises commerciales naissantes révèlent l’ampleur des possibilités, ainsi que les défis associés à ce procédé.
Cultiver le métal
Les hyperaccumulateurs ont évolué pour absorber les métaux dans leurs racines et les accumuler en hautes concentrations dans leur tissu, par exemple dans leurs feuilles. Parce que leurs systèmes racinaires sont généralement peu profonds, leur potentiel d’extraction concerne les gisements peu profonds.
Les sols ultrabasiques, ou serpentines, dans lesquels poussent nombre de ces plantes sont riches en métaux tels que le nickel et appauvris en éléments nutritifs pour les végétaux, en faisant des candidats médiocres pour l’agriculture traditionnelle. Plus de 500 des plantes identifiées comme hyperaccumulateurs (soit près des trois quarts) sont des hyperaccumulateurs de nickel. Toutefois, d’autres espèces documentées peuvent aussi extraire du sol des éléments des terres rares, du cobalt, du zinc ou du sélénium.
Afin d’obtenir du métal, il faut cultiver, récolter et traiter les hyperaccumulateurs. Ceci inclut des arbres et des buissons, mais les hyperaccumulateurs les plus efficaces sont des plantes herbacées vivaces qui se régénèrent après la récolte. Les plantes peuvent être récoltées à l’automne et se régénéreront l’année suivante, expliquait Dave McNear, professeur dans le département des sciences des plantes et des sols à l’université du Kentucky.
C’est à la dernière étape, lorsque la biomasse est transformée en sulfate de nickel ou en nickel métallique, par exemple, que l’exploitation minière entre en jeu. L’une des méthodes implique de brûler les plantes et d’extraire le métal des cendres hautement concentrées. La lixiviation acide et l’hydrométallurgie sont d’autres processus d’affinage possibles.
La plupart des variétés de plantes hyperaccumulatrices sont des espèces indigènes dans des climats tempérés, tropicaux ou secs, et ne conviennent pas au climat plus froid et aux longs hivers du Canada. Si certaines espèces hyperaccumulatrices sont indigènes en Amérique du Nord, aucune parmi celles identifiées n’est adaptée au phytominage. Toutefois, des espèces d’autres régions du monde pourraient être transplantées et peut-être pousser dans les régions du sud des États-Unis et du Canada.
Le phytominage est un domaine encore empreint d’inconnues. Toutes les espèces hyperaccumulatrices n’ont pas encore été découvertes et répertoriées. Les scientifiques n’ont pas encore déterminé si les hyperaccumulateurs ont évolué pour absorber les métaux du sol lorsque d’autres variétés poussant à proximité ont, quant à elles, évolué pour exclure les métaux.
Cultiver la recherche
Jusqu’à récemment, le financement de la recherche sur le phytominage était rare en Amérique du Nord, mais le vent commence à tourner. En mars, l’U.S. Department of Energy (DoE, le ministère américain de l’énergie) annonçait son investissement de 10 millions de dollars américains dans des projets de recherche sur le phytominage pour soutenir la chaîne d’approvisionnement nationale de nickel en faveur de la transition vers des énergies propres. L’initiative, baptisée Plant HYperaccumulators TO MIne Nickel-Enriched Soils (PHYTOMINES), est dirigée par l’Advanced Research Projects Agency-Energy (ARPA-E, un projet du gouvernement des États-Unis visant à soutenir la recherche avancée dans le domaine des énergies).
« Il est prévu que les projets PHYTOMINES durent au moins trois ans, et nous devrions savoir si l’hypothèse de chacune des équipes se vérifie d’ici la fin de la première année », déclarait Philseok Kim, directeur de PHYTOMINES à ARPA-E, à l’équipe du CIM Magazine. M. Kim s’attend à savoir d’ici la fin de la deuxième année si les programmes ont généré des résultats convaincants. La validité des essais pilotes sera évaluée à la fin de la troisième année.
D’après Antony van der Ent, professeur adjoint à l’université de Wageningen au Pays-Bas, l’investissement place les États-Unis dans une position où ils peuvent soutenir une chaîne d’approvisionnement nationale du nickel. Il faisait remarquer que les gisements de nickel du pays ont tendance à avoir une teneur relativement faible, ce qui a jusqu’à présent contribué à les rendre particulièrement peu attrayants pour l’exploitation minière traditionnelle. Il n’y a actuellement qu’une seule mine active de nickel aux États-Unis, la mine Eagle de Lundin Mining dans le Michigan. La première raffinerie de nickel dans le pays a vu le jour au mois d’août, lorsqu’une raffinerie de nickel-cobalt a organisé une cérémonie d’inauguration en Oklahoma.
« C’est là que le phytominage pourrait entrer en jeu. Il donne accès à des sols ultrabasiques en Oregon et en Californie, par exemple, qui sont des sols de grande superficie à faible teneur », indiquait M. van der Ent. Toutefois, il indiquait que le phytominage dans ces gisements ne générerait qu’une « infime fraction » du nickel dont les États-Unis ont besoin pour fabriquer des batteries pour VÉ.
Les projets qui ont reçu un financement de l’ARPA-E s’inscrivent dans le champ des objectifs, et M. van der Ent participe à deux d’entre eux. L’un est basé à l’université de l’Arizona et vise à examiner quelque 100 000 spécimens pour créer un inventaire détaillé de la flore hyperaccumulatrice de métal indigène aux États-Unis.
L’autre projet est basé à l’université de Wisconsin-Madison et cherche à domestiquer des espèces sauvages d’Odontarrhena corsica et d’Odontarrhena chalcidica, des hyperaccumulateurs de nickel indigènes en Corse et en Grèce, respectivement. L’objectif du projet est de les adapter à un climat américain et aux exigences de biosécurité des États-Unis, tout en augmentant leur production de nickel par le biais d’une modification génétique.
L’un des sujets de préoccupation du projet est d’atténuer le risque de transformation des plantes en herbes invasives une fois transplantées. Si elles ne sont pas confinées correctement, les plantes pourraient se répandre et perturber les écosystèmes.
Des entreprises florissantes
Lorsqu’il est question de phytominage commercial, l’intensification des activités est une autre grande difficulté, indiquait M. van der Ent. Il connaît des universités, des sociétés et des entreprises en démarrage dont les parcelles de démonstration ont été fructueuses, où de petits tracteurs et le désherbage manuel suffisent. « Si vous me demandez mon avis, la partie la plus difficile concerne véritablement le déploiement sur quelques centaines d’hectares », indiquait-il. « Le type d’infrastructure nécessaire pour cela est assez important. »
Une nouvelle génération d’entreprises en démarrage prolifère et tente de relever le défi. L’une d’elles s’appelle Genomines et est basée en France. Genomines cultive le nickel dans des plantes génétiquement améliorées de la famille des astéracées, un groupe qui inclut les pâquerettes et les tournesols. La société vend son nickel à des acteurs de la chaîne d’approvisionnement des VÉ.
Elle cible des champs en fonction de leur concentration en nickel, de la composition des sols, de la faisabilité réglementaire et de la compatibilité environnementale. Si l’entreprise en démarrage n’est pas prête à dévoiler où se trouvent ses champs, Stéphane Lopez, directeur du développement de l’entreprise, confirmait que Genomines s’intéresse à des terres qui ne sont pas adaptées à l’agriculture ni à l’exploitation minière traditionnelle.
L’intensification des activités est l’une des principales difficultés que Genomines rencontre, indiquait M. Lopez. « Genomines a l’intention de devenir rentable après l’intensification des activités. Les projets pilotes montrent un potentiel prometteur en matière de revenus grâce à la production de bioconcentrés et de sulfate de nickel hexahydraté [NSH, de l’anglais nickel sulfate hexahydrate] », écrivait-il dans une déclaration à l’équipe du CIM Magazine.
Partenariats symbiotiques
Le phytominage est parfois appelé agro-exploitation, un terme plus vaste qui inclut le caractère agronomique de la production de plantes hyperaccumulatrices de métaux, y compris la croissance, la récolte, l’incinération et l’affinage, pour mettre en valeur la quantité d’agronomie nécessaire pour le mener à bien. Les efforts de sélection aideront à affiner les espèces, afin que les plantes deviennent plus grandes, produisent plus de biomasse à extraire, résistent davantage aux nuisibles et deviennent des accumulateurs de métaux plus efficaces.
L’agro-exploitation à grande échelle, où des champs d’hyperaccumulateurs sont plantés dans des sols riches en nickel, ressemble davantage à l’exploitation agricole que minière, bien qu’elle n’ait pas à être ni l’une ni l’autre. M. McNear a participé à un projet de recherche qui a commencé en 2002, consistant à planter des O. chalcidica (anciennement de l’Alyssum murale) près d’une raffinerie de nickel historique à Port Colborne, en Ontario. La fonderie et la cheminée industrielle avaient fertilisé 345 kilomètres carrés de sol à proximité (qui dépassaient le seuil de toxicité accepté par l’Ontario), et les agriculteurs de la région ne pouvaient plus cultiver leurs légumes, indiquait M. McNear. Faire pousser de l’O. chalcidica pour retirer le nickel du sol, puis se reposer sur la raffinerie à proximité pour extraire le métal était une solution plus rentable pour les agriculteurs que de simplement éliminer le sol contaminé. De fait, cela permettait d’une part d’assainir les terres, et de l’autre, de récupérer le nickel dans le processus.
Une logique similaire peut être appliquée au site minier.
M. McNear a identifié les résidus comme un domaine d’intérêt particulier pour les sociétés minières envisageant d’intégrer des hyperaccumulateurs, car les systèmes racinaires pourraient aider à stabiliser les résidus tout en extrayant davantage de métal. « Les pratiques minières classiques vont nous permettre de récupérer les composants faciles à extraire. Ensuite, nous planterons des espèces végétales, et ces dernières récupéreront les composants que la métallurgie ne nous permet pas d’extraire de manière rentable », expliquait-il. Dans des sites où le nickel constitue le principal minerai, mais où les résidus contiennent aussi des éléments des terres rares, des hyperaccumulateurs pour chaque métal pourraient être plantés ensemble afin d’extraire des métaux qu’il ne serait pas rentable de récupérer autrement.
M. McNear indiquait aussi qu’il s’attend à ce que l’intervention d’agronomes soit réellement indispensable dans tout effort de phytominage impliquant des environnements hostiles, tels que les alentours des résidus, pour les adapter à la croissance des plantes. « Les résidus sont des roches concassées, n’est-ce pas ? », indiquait-il. « Ainsi, on ne peut pas simplement planter un hyperaccumulateur ici et là et s’attendre à ce qu’il se développe de manière exponentielle. »
À mesure des avancées qui sont faites dans le domaine, M. McNear pense que les partenariats entre agriculteurs, mineurs et scientifiques seront essentiels à la libération du plein potentiel du phytominage. « Je ne demanderais pas à un mineur de faire pousser des plantes, de conduire un tracteur, de cultiver du nickel, tout comme je ne demanderais pas à un agronome d’aller à la mine », déclarait-il. « Tous doivent être dans une même pièce et collaborer. »
Traduit par Karen Rolland