Sur le site d’Ashram dans le Nunavik, les employés de Commerce Resources Corp. étudient des carottes de sondage à la recherche d’éléments des terres rares (ÉTR) et de spath fluor. Avec l’aimable autorisation de Commerce Resources Corp.

Ces deux dernières années, les événements internationaux et les avancées en matière d’énergie propre ont enfin donné vie au marché des éléments des terres rares (ÉTR). Sur fond de guerre économique entre les États-Unis et la Chine en 2019, les gouvernements et les fabricants de technologie se sont engagés à assurer un approvisionnement fiable en ÉTR ne provenant pas de Chine, pays qui domine ces marchés. Le Canada et les États-Unis ont finalisé une entente stratégique en janvier 2020 visant à accorder la priorité aux chaînes d’approvisionnement nationales pour les minéraux qualifiés de critiques, qui sont utilisés dans toute une série d’objets, des iPhones aux bombardiers furtifs et aux véhicules électriques. Dernièrement, on entend chaque mois une nouvelle annonce d’un grand fabricant automobile (y compris Jaguar, Ford, Volvo et GM, sans toutefois s’y limiter) concernant leur intention d’éliminer progressivement les moteurs à combustion interne en faveur des véhicules électriques. Ces derniers requièrent des ÉTR spécifiques pour les aimants permanents indispensables à leurs moteurs.

C’est en 2011 que, pour la dernière fois, on a observé une telle agitation dans ce secteur, après que la Chine a restreint les exportations de certains ÉTR (il en existe 17 au total) pendant un incident diplomatique avec le Japon. Ceci a entraîné la multiplication par dix des prix de certains ÉTR en l’espace d’une année.

Les investisseurs se sont empressés de financer des projets dédiés aux ÉTR, mais la demande baissait à mesure que les tensions s’apaisaient. Parallèlement, l’échec éclatant de la mine de Mountain Pass de Molycorp, en Californie, qui avait recueilli des milliards de dollars en financement avant de faire faillite en 2015, a exacerbé le ressentiment des investisseurs. Depuis, le marché ressemble à un « accident de voiture au ralenti », comme le décrivait Chris Grove, président de la société Commerce Resources basée à Vancouver.

« Nous nous battons depuis une décennie pour préserver les financements de la société afin qu’elle puisse aller de l’avant », indiquait M. Grove, membre de l’équipe chargée du développement du gisement d’ÉTR et de spath fluor d’Ashram à Nunavik, à 130 kilomètres au sud de Kuujjuaq, depuis 2007.

Comprendre le consommateur

Mais cela commence à changer. En effet, l’intérêt pour les ÉTR repose largement sur le marché des consommateurs, déclarait Geoff Atkins, directeur exécutif de Vital Metals. Sa société de Sydney, en Australie, se prépare à inaugurer son projet pilote d’exploitation minière à Nechalacho, dans les Territoires du Nord-Ouest, d’ici la fin de l’année. Jusqu’à récemment, on étudiait chaque ÉTR et on essayait de comprendre les utilisations possibles de chacun d’eux. « C’était un marché très déroutant, que l’on ne comprenait pas vraiment », indiquait M. Atkins. « Le potentiel était indéniable, mais on pouvait difficilement mettre le doigt dessus et réellement comprendre ce qui dominait le marché. »

« La situation actuelle est, selon moi, le résultat de la simplification de ce marché », indiquait-il. « Fondamentalement, les terres rares sont importantes pour les aimants. C’est le principal moteur du marché. Les ÉTR sont indispensables pour la fabrication des aimants, des véhicules électriques, des éoliennes. Bien entendu, les terres rares ont d’autres utilisations et sont parfois nécessaires pour d’autres choses. Mais pour tout un chacun, ce marché est soudain apparu sous un jour plus simple. » Le néodyme, le praséodyme, le dysprosium et le terbium sont les quatre ÉTR fondamentaux pour les aimants permanents.

Les enjeux de la chaîne d’approvisionnement

Si l’on comprend désormais mieux le marché, le commerce des terres rares reste très opaque. Chaque projet est aux prises avec une minéralogie complexe ainsi que des procédés de séparation compliqués et des chaînes d’approvisionnement sophistiquées. Tout d’abord, on trouve les éléments recherchés dans divers types de minéraux, qui sont ensuite transformés en matières premières. Ces concentrés sont envoyés à des entreprises spécialisées dans le traitement chimique, qui séparent les ÉTR par le biais de méthodes élaborées et en constante évolution pour produire un produit fini très pur correspondant, par exemple, aux besoins d’un fabricant d’aimants permanents. Le marché mondial des ÉTR étant, du moins pour l’instant, relativement restreint par rapport à celui d’autres métaux précieux ou métaux communs, les petites sociétés d’exploration des ÉTR doivent trouver des voies créatives pour mener les projets jusqu’à la phase de développement. Les grandes sociétés minières n’ayant pas encore développé leurs activités avec les ÉTR, elles n’ont pas l’intention d’intervenir et d’acquérir un gisement attrayant pour compléter leur liste de projets.

Pour se faire une idée du genre de considérations uniques qu’une société de développement d’ÉTR doit envisager pour faire avancer ses projets, Commerce Resources a obtenu un financement de 3,2 millions de dollars en décembre dernier qui lui permettra de fournir des échantillons de matières premières à des centres de séparation en aval qui les lui ont demandés. « Ces sociétés en aval dépendaient des sociétés de traitement chinoises et des matières premières chinoises », indiquait M. Grove. « Le principal objectif de ces sociétés, y compris les sociétés de transformation qui nous ont demandé ces échantillons, est de réduire ou d’éliminer totalement leur dépendance vis-à-vis de la Chine. » M. Grove indiquait qu’il espère que ces premiers échantillons d’Ashram, ajoutés à la séparation réussie des ÉTR par des partenaires potentiels, aideront à motiver l’intérêt et les investissements dans le projet. Les fonds obtenus par Commerce aideront aussi à financer l’étude de préfaisabilité d’Ashram, en mettant à jour une évaluation économique préliminaire publiée en 2012.

« Si les terres rares proviennent de l’extraction minière, ce ne sont pas vraiment des produits miniers », déclarait M. Atkins de Vital Metals. « C’est la raison pour laquelle, traditionnellement, il a été si difficile de mettre en route un projet dédié aux terres rares. »

En 2021, la Chine continue d’être un acteur majeur sur la scène de l’exploitation des ÉTR. Les mines de Mountain Pass (achetée par MP Materials, une entreprise chinoise appartenant partiellement à l’État et qui a rouvert en 2018) et Mount Weld (détenue par la société australienne Lynas) sont les seules à extraire des ÉTR dans des démocraties en dehors de la Chine.


À DÉCOUVRIR: Poser les bases d’une chaîne d’approvisionnement en éléments des terres rares


Les efforts à l’échelle canadienne

Janice Zinck, directrice de l’initiative Innovation mines vertes à CanmetMINES, a contribué à un programme de recherche et développement (R & D) de 23 millions de dollars sur les ÉTR et la chromite qui s’étendra sur six années, dans l’objectif de faire avancer les projets canadiens et de réduire, voire d’éliminer les risques inhérents. Le programme réunissait des experts et des explorateurs canadiens spécialisés dans les ÉTR dans l’objectif d’aborder les difficultés de traitement et les enjeux pour l’environnement. De fait, on trouve souvent dans les gisements d’ÉTR du thorium et de l’uranium, deux éléments radioactifs qu’il faut manipuler en toute sécurité. Le projet CanmetMINES vise à renforcer l’expertise nationale relative à la minéralogie des ÉTR ainsi qu’à déterminer comment réduire la consommation d’énergie et de réactifs dans la séparation.

Des sociétés telles que Commerce Resources ainsi que Torngat Metals, Defense Metals et Search Minerals (qui mènent des projets dans le nord du Québec, la Colombie-Britannique et le Labrador, respectivement) ont collaboré avec des chercheurs pour faire avancer leurs projets. « Il convient de noter que les gisements canadiens sont uniques par rapport à certaines des mines en production du reste du monde. De fait, il s’agit principalement de gisements à roches dures », indiquait Mme Zinck. « Ce ne sont pas des sous-produits issus du minerai de fer, comme c’est le cas en Chine. »

Un autre volet du programme portait sur le soutien des centres de séparation et de traitement nationaux. Mme Zinck indiquait que l’annonce du gouvernement de la Saskatchewan l’été dernier concernant la construction d’une usine de traitement des terres rares d’une valeur de 31 millions de dollars, détenue et exploitée par le Saskatchewan Research Council (SRC, le conseil de recherche de la Saskatchewan), était un pas dans la bonne direction.

L’usine du SRC est une très bonne nouvelle pour Appia Energy, qui explore son projet d’Alces Lake situé à seulement 30 kilomètres au nord-est d’Uranium City, en Saskatchewan. Le chef de la direction Tom Drivas expliquait que les scientifiques du SRC ont de l’expérience en matière d’extraction des terres rares de la monazite que l’on trouve dans le gisement d’Alces Lake. M. Drivas expliquait que l’attention accrue accordée à ce secteur a permis à sa société de plus que tripler son budget pour le forage cette année par rapport à l’année passée. La société a espoir d’élaborer son premier rapport technique sur cette ressource conformément à la norme NI 43-101 et de procéder à une évaluation économique préliminaire.

Depuis le départ, Alces Lake est un projet prometteur. Appia a découvert 74 zones minéralisées, et s’intéresse principalement aux structures de monazite de surface et proches de la surface, notamment des zones à haute teneur qui contiennent globalement de 31,8 % à 8,8 % d’oxydes de terres rares (OTR), et de 7,2 % à 2 % d’OTR critiques (les éléments des aimants permanents). Le praséodyme, le néodyme, le dysprosium et le terbium représentent entre 23 % et 25 % des terres rares présentes à Alces Lake jusqu’à présent, indiquait M. Drivas. Cela représenterait cependant entre 80 % et 85 % de la valeur totale du projet.

Nechalacho

Le SRC a travaillé avec un certain nombre de développeurs de projets sur les ÉTR, dont Vital Metals, qui prévoit de construire son propre centre de traitement pour le projet Nechalacho près de la future usine du SRC. D’après M. Atkins, cela signifie que d’ici deux ans, le Canada pourrait être le premier pays en dehors de la Chine à extraire, traiter et séparer ses propres terres rares.

M. Atkins, ancien directeur de la planification de l’entreprise chez Lynas, met tout en œuvre pour que Nechalacho atteigne la phase de production cette année. « Une fois opérationnelle, cette exploitation sera la première nouvelle mine de terres rares développée en dehors de la Chine au cours des trois ou quatre années [passées] », indiquait-il.

À la mi-février, le complexe de triage du minerai de l’exploitation et la flotte d'équipement minier étaient prêts à être transportés sur le site, qui se trouve à environ 100 kilomètres à l’est de Yellowknife, par la route de glace du lac Great Slave. Là-bas, expliquait M. Atkins, la société commencera à extraire et à trier le minerai de son gisement de la zone T à haute teneur, qu’elle a acheté à Avalon Advanced Materials en 2019. Le minerai sera envoyé vers le sud, en Saskatchewan, où il sera transformé en matières premières. Ce produit sera ensuite expédié par bateau de l’autre côté de l’océan Atlantique vers REEtec, un centre de séparation en Norvège qui a signé un partenariat de cinq ans avec Vital Metals.

La raison pour laquelle ce projet doit être mis en route dès que possible est qu’il est primordial d’établir des relations de confiance avec REEtec, et d’inspirer la confiance en ce produit avant de le commercialiser, indiquait M. Atkins. En effet, la composition des aimants permanents doit répondre à des spécifications exigeantes. « Avec les terres rares, le produit final et commercialisable doit afficher une pureté de 99,9 %, potentiellement 99,999 % en fonction de son utilisation. En outre, les critères de qualité des impuretés sont très spécifiques », indiquait M. Atkins, indiquant qu’elles sont estimées en parties par million (ppm) et non en pourcentage. « Le client ne va pas changer ses fournisseurs rapidement. Avant de pouvoir faire confiance à un nouveau client, il lui faudra du temps pour suivre un protocole approprié et pour accepter que le produit intègre sa chaîne d’approvisionnement. »

L’idée est de commencer petit et de grandir progressivement. Vital Metals fournira 1 000 tonnes de matières premières à REEtec chaque année, avec l’option d’augmenter jusqu’à 5 000 tonnes sur 10 ans. « À terme, on peut souhaiter devenir un grand producteur, mais fondamentalement, en raison de la nature des terres rares (très spécialisée), la première tâche consiste à commencer la production et à le faire dans les meilleurs délais en dépensant le moins possible, car il faut faire ses preuves auprès des clients. Et c’est à partir de là qu’on peut commencer à se développer. »

Traduit par Karen Rolland