Un digue à résidus de Canadian Malartic. Avec l'aimable autorisation d'Agnico Eagle

La rupture du barrage Córrego do Feijão a été aussi soudaine que dévastatrice. Des fissures sont apparues dans la paroi et, en l’espace de quelques secondes, le barrage s’est effondré. Un nuage de poussière marron s’est répandu dans les airs alors que la paroi laissait se déverser un torrent de boue trop puissant pour lancer l’alarme, ensevelissant tout ce qui se trouvait sur son passage. Des vidéos, diffusées quelques jours après la catastrophe, montraient des bâtiments et des véhicules submergés en quelques instants.

À l’heure où nous mettons sous presse, la rupture du barrage avait entraîné la mort de 186 personnes, et 122 étaient portées disparues. Dans les semaines qui ont suivi, les conséquences de cet accident n’ont fait que décupler. Des employés, des dirigeants et des entrepreneurs de Vale ont été arrêtés, les activités de la société au Brésil ont été suspendues en vertu de décisions et amendes ordonnées par le tribunal, et les procès se multiplient.

Troisième grande rupture d’un barrage minier en cinq ans après celles de Samarco, détenue par Vale et BHP, en 2015, et de Mount Polley, détenue par Imperial Metals, en 2014, ce désastre a poussé les investisseurs à exiger des changements.

À la fin du mois de janvier, par exemple, un groupe influent de sociétés d’investissements et de fonds de retraite britanniques, européens et canadiens, dont la Church of England Pensions Board (la commission des pensions de l’Église anglicane), le fonds de pensions public de Suède, BMO Global Asset Management et Robeco, a demandé qu’un système de classification public indépendant et mondial soit mis en place pour surveiller la sécurité et le risque des barrages de résidus miniers.

L’intérêt immédiat dans la gestion des résidus n’est cependant pas isolé ; il s’agit de l’expression d’une tendance plus vaste des investisseurs institutionnels et particuliers, qui se penchent désormais davantage sur les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

« La communauté de l’investissement au Canada et aux États-Unis pose de plus en plus de questions », expliquait Brent Bergeron, vice-président exécutif des affaires générales et de la durabilité à Goldcorp, en parlant de la rupture du barrage. « Cela n’ira pas en diminuant. En termes de droit de regard, cette tendance est même vouée à augmenter. »

La façon dont réagira l’industrie est encore inconnue.

Un discours ferme

Les investisseurs d’Agnico Eagle posent rarement de questions concernant les barrages de résidus miniers. D’après Louise Grondin, première vice-présidente à l’environnement, au développement durable et aux personnes de la société, si cette dernière a constaté ces deux dernières années une augmentation des investisseurs curieux s’intéressant aux risques ESG de la société, particulièrement alors qu’une base d’investisseurs plus généralistes commençait à se développer, la question des barrages de résidus miniers faisait rarement partie de leurs priorités. Toutefois, après la catastrophe de Córrego do Feijão, un actionnaire institutionnel en particulier a exigé davantage d’informations.

« Il souhaitait connaître le nombre de bassins à stériles dont nous disposions, actifs ou non, notre type d’infrastructure ; l’installation de Vale était une digue construite selon la méthode amont, et il voulait comprendre la différence entre nos digues de résidus miniers et celles de Vale », indiquait-elle. « Il désirait savoir quelles sommes d’argent nous injections dans la gestion de nos résidus... la fréquence de nos inspections et l’existence d’un plan d’action en urgence. Il voulait connaître le risque, et savoir comment nous le gérions. »

Agnico n’est pas la seule dans ce cas. Des investisseurs et des analystes du monde entier commencent déjà à contacter les sociétés minières pour comprendre les dangers que posent les barrages miniers.

« Même avant les catastrophes de Mount Polley et [Samarco]…, le risque réel était toujours évident, on le connaissait. C’était un grand problème, mais on pensait qu’on le gérait jusqu’à un certain point », expliquait Jamie Bonham, directeur de l’engagement auprès des entreprises à NEI Investments, une société canadienne d’investissement responsable. « Cette certitude s’est définitivement évaporée. »

Omar Jabara, directeur exécutif des communications chez Newmont Mining, indiquait que des investisseurs avaient déjà questionné la société quant à la gestion de leurs barrages miniers. « Des incidents et des accidents tels que celui qui s’est produit au Brésil mettent soudainement en lumière les stériles et génèrent naturellement d’autres questions relatives à la gestion des résidus par toutes les sociétés », indiquait-il.

D’après M. Bergeron de Goldcorp, les investisseurs se sont intéressés à la question de l’intégration par la société d’une nouvelle technologie qui permettrait d’éliminer l’utilisation des installations traditionnelles de gestion des résidus humides, et l’évaluation du choix des installations de stockage des résidus dès les premières étapes du développement de la mine. Le coût des installations de gestion des résidus dans la phase de fermeture de l’exploitation minière est devenu un point important, indiquait-il.

Lors de la conférence téléphonique de BHP relative aux résultats semestriels de la société avec les investisseurs et les analystes, le chef de la direction Andrew MacKenzie a répondu au pied levé à la question d’un analyste de JPMorgan qui désirait comprendre comment la communauté de l’investissement « devait envisager les coûts potentiels de mise hors service et de restauration ».

Les questions ont pour objectif de savoir si les activités d’une société sont trop risquées pour un investissement ; mais elles ne se cantonnent pas uniquement à l’argent. Les investisseurs savent poser des questions relatives aux risques tels que les émissions de carbone et la responsabilité financière, mais les installations de stockage des résidus restent pour beaucoup un sujet différent et complexe.

« Je ne peux pas consulter une évaluation technique de barrages de résidus miniers et en ressortir une critique qui aura du sens ; je ne suis pas ingénieur géotechnique », indiquait M. Bonham. « Il est très difficile de l’extérieur de savoir ce qui est approprié, et c’est la raison pour laquelle nous poussons les sociétés à trouver des mécanismes d’assurance, des normes qu’elles peuvent adopter leur conférant un certain confort. »

Une tendance plus vaste

L’investissement socialement responsable,* autrefois une voie stratégique d’investissement qui, se rappelait M. Bonham, pouvait « amuser la salle de conférences », devient une manière conventionnelle de renforcer la valeur des portefeuilles des investisseurs institutionnels autant que particuliers.

D’après un rapport d’octobre 2018 de l’association pour l’investissement responsable (AIR), quelque 2 000 milliards de dollars en actifs canadiens étaient investis dans différents types de mécanismes d’investissement responsable en décembre 2017 ; l’investissement responsable (IR) représentait alors 50,6 % des actifs canadiens gérés. C’est la première fois qu’une majorité d’actifs canadiens étaient gérés dans le cadre d’une certaine initiative responsable. EY indiquait également en 2017 que, depuis 2012, les fonds injectés dans des investissements durables avaient augmenté de 107,4 % par an. Ces chiffres n’ont rien de risibles.

D’importants investisseurs institutionnels tels que l’imposante société Blackrock, la banque royale du Canada et la partie investissement du régime de pensions du Canada disposent toutes de stratégies d’investissement responsable, qui impliquent d’effectuer une procédure de sélection positive pour les sociétés affichant de bonnes performances en matière de critères ESG dans chaque secteur et de s’engager auprès des sociétés pour améliorer leur performance. Les résultats du sondage récent de l’AIR auprès des investisseurs en octobre en expliquent la raison. Les deux principales raisons pour lesquelles les investisseurs affirmaient se rapprocher de l’investissement responsable portaient sur la réduction du risque de leurs investissements et l’amélioration de leurs retours sur investissement au fil du temps.

« Ces données suggèrent que les investisseurs institutionnels voient une évidente pertinence économique à l’intégration de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les décisions relatives à l’investissement », lisait-on dans le rapport.

La popularité croissante de l’investissement responsable peut aussi être envisagée d’un tout autre œil, à savoir par une appréhension nouvelle de ce qui constitue un véritable risque. Si les paramètres relatifs aux critères ESG orientent vers un type de risques spécifique, certains des plus gros risques dans le secteur minier, par exemple les ruptures des digues de résidus miniers ou un manque d’assentiment de la communauté envers un projet, peuvent retarder ou faire échouer un projet, affaiblir une société et en faire un mauvais investissement sur le long terme.

« Des accidents comme la rupture de ce barrage viennent tout simplement confirmer le risque évident d’investissement évoqué par certains investisseurs s’intéressant aux critères ESG depuis le début. Nul besoin de placer les risques ESG en avant », indiquait M. Bonham. « Le marché commence à reconnaître qu’en observant la situation du point de vue des principes ESG, on obtient une vision totalement différente de la gestion d’une société. »

L’intérêt des investisseurs pour les questions ESG ne s’arrête pas à des questions futiles. Ils souhaitent investir dans les sociétés affichant les meilleures performances du secteur, et s’engagent beaucoup auprès des sociétés pour améliorer la performance de certains paramètres.

« Lorsqu’il rencontre des investisseurs, notre chef de la direction Sean Boyd nous informe qu’ils présenteront à la société des rapports de recherche sur les risques ESG et nous diront que si nous ne faisons pas partie des 10 meilleures sociétés, [ils] ne souhaitent pas investir dans une société n’ayant pas atteint ce niveau », indiquait Dale Coffin, directeur des communications et des affaires publiques de la société Agnico Eagle.

D’après M. Bonham, NEI s’engage activement depuis plus d’une décennie auprès de sociétés du secteur des ressources telles que le géant des sables bitumineux Suncor, avec qui elle a collaboré afin de s’assurer que la société sera en mesure de s’épanouir dans une économie à faibles émissions de carbone. Pour les sociétés minières, NEI s’engage sur des questions relatives aux droits de l’homme et à la résilience au changement climatique. Si l’entreprise se rend compte qu’il n’y a pas d’espoir réaliste que la société réponde aux attentes de NEI, elle souhaite alors désinvestir, indiquait M. Bonham. « Selon nous cependant, l’engagement permet de gagner davantage de terrain. »

Plusieurs dirigeants expliquaient que l’attention croissante accordée aux questions ESG avait engendré des changements positifs au sein de leurs sociétés - non pas en termes de pratiques de gestion des risques, mais en termes de divulgation.

« Notre politique de divulgation a suivi le niveau d’intérêt [accordé aux principes ESG] », expliquait Steve Letwin, chef de la direction d’Iamgold. Les investisseurs, expliquait-il, veulent s’assurer que la société produit de l’or dans le respect de l’environnement, que sa main-d’œuvre est convenablement formée et que la réhabilitation du terrain est prévue.

Une pépinière à la mine Pinos Altos. Avec l'aimable autorisation d'Agnico EagleMme Grondin indiquait qu’Agnico entend souvent des remarques concernant le degré de préparation de la société au changement climatique, ses relations avec les communautés et ses travaux avec les Premières Nations ; elle ajoutait que ce procédé s’est révélé instructif. L’intérêt des investisseurs dans les principes ESG « a une influence certaine sur [notre] politique de divulgation. Nous sommes conscients de bien faire, mais nous devons tout de même en parler car sinon, personne n’est au courant de rien », indiquait-elle. En 2018, la société a organisé sa première conférence téléphonique et présentation dédiées aux principes ESG.

D’après M. Jabara, les investisseurs de Newmont ne posent pas exclusivement de questions sur les principes ESG, mais il reconnaissait que cela a contribué à améliorer la transparence de Newmont. « Les risques pour une entreprise peuvent provenir de différentes sources, et comprennent notamment les risques environnementaux et sociaux », déclarait-il. « Nous déployons beaucoup d’efforts afin d’être [transparents] dans notre rapport de durabilité, et participons à des efforts en matière d’assurance tierce afin de laisser [à nos investisseurs] une certaine marge de manœuvre pour voir que nous disposons de normes, de pratiques et de contrôles corrects. »

Comme l’indiquait M. Bergeron, on interroge souvent Goldcorp quant à ses procédures de consultation communautaire au Canada et dans ses exploitations à l’étranger, et la société a constaté une augmentation notable de l’intérêt apporté aux risques environnementaux tels que l’utilisation de l’eau et l’empreinte écologique dans les mines. La sensibilisation accrue à ce que les investisseurs ont besoin de comprendre a, par ailleurs, eu des retombées positives sur Goldcorp en tant que société. « En termes de situations difficiles que nous avons eues à gérer dans le passé sur divers sites miniers, cette capacité à être ouverts et transparents par rapport aux informations que nous fournissons… a finalement renforcé notre capacité à bien mieux faire dans plusieurs pays dans lesquels nous sommes implantés », indiquait-il.

Les analystes et les investisseurs ont d’ailleurs constaté que les sociétés minières avaient amorcé la tendance à la divulgation et font, de fait, partie des industries les plus fortes dans ce secteur.

« Des industries telles que l’exploitation minière [qui] sont très exposées aux risques sont de fait en avance par rapport à des sociétés moins exposées, car elles n’ont pas le choix », expliquait Frances Fairhead, analyste de recherche en industries extractives au sein de l’agence Sustainalytics de notation des critères ESG. « Elles pratiquent depuis plus longtemps, offrent une solide politique de divulgation de la durabilité depuis plus d’années que nombre industries, et les grandes sociétés minières ont tendance à être relativement engagées. Nous avons cependant constaté que nous nous engageons auprès de personnes plus haut placées dans l’organisation. »

Évaluer la responsabilité

Pour comprendre la façon dont les investisseurs prennent leurs décisions concernant les sociétés qu’ils considèrent comme des investissements « responsables », il est important de savoir comment fonctionne l’évaluation des critères ESG.

Le processus d’évaluation peut se révéler intensif. D’après Mme Fairhead, Sustainalytics identifie les questions relatives aux critères ESG spécifiques au secteur, telles que les relations communautaires, la santé et la sécurité au travail, ainsi que les émissions, les effluents et les déchets, puis évalue l’exposition spécifique de la société ainsi que sa gestion de ce risque par rapport à la moyenne dans l’industrie. La moyenne est fondée sur des facteurs qui incluent notamment le registre historique du secteur.

Certaines agences d’évaluation se contentent d’analyser les documents publics des sociétés, et d’autres proposent aux sociétés qu’elles évaluent une enquête exhaustive à remplir. « Il s’agit de procédures méthodiques et rigoureuses qui exigent une grande participation de toute l’entreprise », expliquait M. Jabara. Il expliquait que le processus couvre souvent des domaines allant des ressources humaines aux pratiques de travail en passant par la performance environnementale et opérationnelle, les impôts, les paiements de redevances et les contributions aux communautés locales. « Si vous voulez participer, il faudra… pouvoir prouver que vous pouvez apporter des résultats et vous montrer à la hauteur des normes que vous avez définies. »


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Toutefois, étant donné le nombre important d’agences d’évaluation (qu’elles soient spécifiques aux critères ESG ou générales, auxquelles s’ajoutent des entreprises d’investissement qui procèdent en interne à leurs propres recherches), les notes accordées aux sociétés minières varieront en fonction de la personne qui procède à l’évaluation. « Certains investisseurs prétendent que c’est une source de frustration pour eux ; ils veulent des faits et seulement des faits sur lesquels ils peuvent agir », expliquait Mme Fairhead. « Souvent, les sociétés afficheront de grandes forces dans un domaine et de grandes faiblesses dans un autre ; il revient donc réellement à l’agence [d’évaluation] des critères ESG en question… de décider si un aspect est plus important que l’autre. »

Par ailleurs, faisait remarquer Mme Grondin, l’évaluation des risques ESG d’une société peut parfois ne pas révéler toute l’histoire. Comme elle le précisait, certaines agences d’évaluation attribuent une note insuffisante sur le paramètre maintien en fonction de l’employé(e) si le renouvellement de personnel dépasse un certain pourcentage. Pour Agnico, qui s’efforce d’employer des membres de la communauté inuite dans ses exploitations du Nunavut, le renouvellement du personnel est plus élevé dans ce territoire. « Notre taux de rotation est élevé, supérieur à 20 %, car nous employons toujours les mêmes personnes ; il s’agit de leur premier travail, elles n’ont souvent jamais travaillé dans un contexte industriel auparavant, aussi il leur faudra un certain temps pour s’habituer à cet environnement, ce que nous acceptons. C’est pourquoi nous les réembauchons ultérieurement », précisait-elle. « [Toutefois], les agences se contenteront parfois de ne consulter que les chiffres et de nous qualifier de mauvais employeur. Dans ce contexte, c’est le contraire. »

Tout comme les évaluations de crédit, une note sur les critères ESG peut changer en un instant. Suite à la catastrophe de Córrego do Feijão, Vale a vu son évaluation de crédit scrutée de près par S&P Global Ratings et Moody’s, et Sustainalytics a également revu sa note à la baisse. À l’heure où nous publions cet article, Moody’s avait dévalué Vale à la catégorie spéculative. « L’évaluation controversée » relative aux émissions, aux effluents et aux déchets de Vale a été dévaluée de la catégorie 4 à la catégorie 5, « pour refléter le caractère exceptionnel des déversements de stériles, des répercussions catastrophiques de ces déversements sur les communautés locales et l’environnement, ainsi que du risque financier important pour Vale », lisait-on dans un rapport de Sustainalytics. La catégorie 5 dénote le risque le plus élevé possible pour une société, couvrant des événements ayant des incidences sur l’environnement et la société ainsi qu’un « risque important pour l’entreprise ».

Les conséquences d’une mauvaise note en matière de risques ESG peuvent être considérables. « Certains investisseurs mettent en œuvre des garde-fous et refusent d’investir dans des sociétés qui affichent un certain niveau de controverse », indiquait Mme Fairhead. « Ainsi, on se retrouvera avec un plus petit groupe d’investisseurs prêts à injecter des fonds dans la société. »

Une divulgation totale ?

Le 19 février dernier, c’est sur une note pessimiste que le chef de la direction de BHP M. MacKenzie a commencé la conférence téléphonique relative aux résultats semestriels de la société. « Je ne souhaite pas revenir sur l’incident tragique qui s’est produit à l’exploitation de minerai de fer Brumhadino de Vale au Brésil le mois dernier. La rupture du barrage est une tragédie, et nous transmettons nos pensées à toutes les personnes affectées par cette catastrophe », déclarait-il. « À BHP, nous nous engageons à tirer les enseignements d’un tel désastre, comme le doit toute l’industrie, et à redoubler d’efforts pour nous assurer que pareille catastrophe ne se reproduise jamais. »

Pour accompagner les résultats financiers de la société du semestre prenant fin en décembre, BHP a publié un rapport sur les digues de résidus miniers de toutes ses opérations. D’autres sociétés ont pris les mêmes mesures. Comme l’indiquait M. Jabara, Newmont a mis à jour sa fiche analytique dédiée à la gestion des résidus, créée en 2014, afin « de répondre plus consciencieusement à certaines des questions qui pourraient survenir, d’être plus transparente et de fournir aux parties prenantes une vision ouverte de l’approche de la société envers la gestion des stériles ». M. Bergeron de Goldcorp s’attend à ce que la société rende désormais publiques davantage d’informations sur ses barrages miniers en vertu de son engagement envers les normes définies par l’initiative Vers le développement minier durable (VDMD) de l’association minière du Canada (AMC). La société d’exploitation de minerai de fer australienne Fortescue Metals Group et le géant minier Anglo American ont également fourni un compte rendu de leurs installations de stockage des résidus dans leurs résultats semestriels.

Un jour après BHP, Rio Tinto a révélé des détails sur toutes ses installations de gestion des résidus. Le chef de la direction Jean-Sébastien Jacques a également annoncé que la société réviserait toutes ses normes internationales relatives aux installations de stockage des résidus et de l’eau, et notamment la façon d’améliorer les vérifications de ses installations externes existantes. Il déclarait également que la société était « fermement résolue à faire sa part dans le cadre de la réponse de l’industrie à ce problème ».

Un changement à plus grande échelle dans l’industrie est en préparation. Les régimes de retraite et les entreprises d’investissement britanniques, européens et canadiens ayant lancé un appel conjoint pour un système indépendant d’évaluation de la sécurité mondiale des barrages miniers proposaient que ce nouveau système exige des vérifications annuelles de toutes les digues de résidus miniers, vérifications qui seraient rendues publiques, et de s’assurer que les sociétés mettent en œuvre les normes de sécurité correspondantes les plus élevées. Ensemble, ces entreprises réunissent des actifs équivalant à quelque 1 300 milliards de dollars américains, une source de financement importante qui pourrait aujourd’hui se révéler particulièrement motivante.

Dans la déclaration commune, Pieter van Stijn, directeur de l’investissement responsable chez BMO Global Asset Management, expliquait que, « en tant qu’investisseur dans ce secteur, nous voulons des garanties que les systèmes adéquats soient en place pour gérer de tels risques. Nous nous engageons à collaborer avec d’autres investisseurs pour appréhender les améliorations nécessaires dans le secteur. »


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L’International Council on Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux) avait, en 2016, fait une proposition identique à celle des fonds britanniques, européens et canadiens, laquelle avait été rejetée ; fin février, il annonçait son intention de créer un groupe d’experts indépendants en vue de développer une norme internationale dédiée aux installations de gestion des résidus.

M. MacKenzie a réitéré l’appel, expliquant que BHP « serait ravie d’accueillir un organisme indépendant et international commun visant à surveiller l’intégrité de la construction et de l’exploitation de tous les barrages, et soutient l’appel à une transparence plus élevée dans la divulgation relative aux barrages ».

Dans le même temps, certaines initiatives et normes de l’industrie doivent exister. L’AMC dispose d’un protocole de gestion des résidus au titre de l’initiative VDMD, qui offre des indicateurs de performance d’un système responsable de gestion des résidus, ainsi que d’un manuel qui propose les meilleures pratiques en matière d’exploitation, de maintien et de suivi des installations de gestion des résidus et de l’eau. Suite à la catastrophe à Mount Polley en 2014, l’association a réexaminé ses directives sur les résidus et mis en œuvre les 29 recommandations qui en ont résulté.

Les directives de l’association canadienne des barrages (ACB) pour les évaluations de la sécurité des barrages sont aussi utilisées partout dans le pays et largement considérées comme des normes parmi les plus rigoureuses de l’industrie.

Si la catastrophe de Córrego do Feijão pourrait bien entraîner un changement considérable au sein de l’industrie en termes de divulgation des risques des stériles aux investisseurs et au grand public, certaines sociétés se sont déjà désistées. S’adressant à S&P Global Platts le 20 février, le chef de la direction de Cliffs-Cleveland Lourenco Goncalves déclarait que la société ne ressentait pas le besoin de participer à la création d’un organe public indépendant, et indiquait que l’appel de M. MacKenzie revenait à « externaliser » la responsabilité.

« Je suis totalement contre l’idée [d’instaurer des vérifications indépendantes et publiques] », déclarait M. Goncalves. « Chaque société doit analyser les conditions qui lui sont propres et nous ne devons en aucun cas sous-traiter cette responsabilité. Les chefs de la direction doivent avoir leurs propres plans et développer, dans l’absolu, les meilleures pratiques. »

Mme Grondin d’Agnico a adopté une position bien plus modérée. Si elle déclarait ne pas attendre des sociétés qu’elles optent pour une divulgation publique des informations relatives à leurs installations de gestion des résidus, elle déclarait qu’il était de la responsabilité des sociétés minières d’aider les investisseurs et le public à les comprendre.

« Le risque nul n’existe pas, et si nous identifions un risque à l’étape de la conception, nous devons pouvoir le gérer », déclarait-elle. « Notre rôle consiste à expliquer la nature de ce risque et la façon dont nous le gérons. Nous aurions certes dû [le faire] auparavant, mais au vu de ces incidents, il est devenu clair que nous devons rendre des comptes. »

Les investisseurs seront-ils effrayés au point de s’éloigner du secteur ? Les dirigeants sont partagés sur la question.

« Les répercussions sont indéniables », déclarait M. Letwin. « Ceci nous rappelle qu’il est absolument essentiel d’administrer nos exploitations de façon sûre et sans danger pour l’environnement… Nous devons mieux faire en tant qu’industrie. »

M. Bergeron, quant à lui, déclarait que des événements tels que la rupture du barrage « n’allaient pas nécessairement changer l’appétit pour le risque » des investisseurs. « Ce n’est pas comme si l’exploitation minière allait s’arrêter », déclarait-il. « Cependant, ce genre d’événements… sensibilisent les personnes au sein même de nos sociétés au fait que nous devons changer certaines pratiques que nous appliquons depuis toujours. »