Lorsque la construction du projet Marathon Palladium de Generation Mining, dans le nord de l’Ontario, sera enfin terminée, l’empreinte carbone du site sera inférieure aux prévisions initiales. La société a revu son plan de mine afin d’inclure un broyeur satellite dans la mine à ciel ouvert et des routes de transport pour le stockage des résidus à proximité de la fosse afin de réduire la durée totale des cycles. Cette refonte impliquait également des transports en pente abrupte avec un stockage des déchets dans la fosse.

« Il faut savoir faire preuve de bon sens d’un point de vue technique et prendre les bonnes décisions. Certaines de ces améliorations ont l’avantage de minimiser la consommation de diesel et [les émissions de gaz à effet de serre] », déclarait Drew Anwyll, directeur de l’exploitation.

Generation Mining prévoit également d’intégrer d’autres optimisations au site, par exemple les réacteurs de flottation directe (DFR, de l’anglais direct flotation reactors) de Woodgrove Technologies à son usine de flottation du cuivre et des minéraux à éléments du groupe du platine (ÉGP), qui amélioreront la teneur en concentré tout en puisant moins d’électricité dans le réseau électrique d’Ontario. L’objectif de ces changements est de réduire, progressivement et dans la mesure du possible, les émissions de gaz à effet de serre (GES) futures du site, conformément aux exigences d’un avenir axé sur la neutralité carbone.

Nombre de sociétés minières se sont engagées publiquement à éliminer totalement leurs émissions de GES d’ici 2050, notamment les membres de l’International Council on Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux), d’ici 2040 (comme Anglo American), ou même d’ici 2030 (date à laquelle Fortescue Metals prévoit d’atteindre la neutralité carbone pour les émissions de champs d’application 1 et 2, et d’ici 2040 pour les émissions de champ d’application 3). Dans la même lignée, Generation Mining est bien consciente qu’il est désormais incontournable de mener des activités minières les plus propres possible, d’un point de vue environnemental tout autant que commercial.

D’après McKinsey and Co., l’industrie minière est responsable, à l’heure actuelle, d’entre 4 % et 7 % des émissions mondiales de GES, et de 2 % à 3 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2). Ainsi, la réduction de ces émissions contribuerait considérablement à l’atténuation du changement climatique.

La difficulté, cependant, est que personne n’a jamais fait cela auparavant, et personne ne sait donc ce à quoi s’attendre ou comment précisément atteindre les objectifs fixés.

Des risques coûteux au tournant

Atteindre la neutralité carbone demandera un travail difficile et onéreux, parsemé de changements majeurs et de plus petits projets d’optimisation. Les sociétés minières devront aussi apprendre à investir dans des technologies qui ne sont pas encore commercialisées, ni même testées. Elles devront en outre faire preuve de créativité lorsqu’elles utilisent des technologies existantes d’une nouvelle manière ou dans de nouveaux environnements.

Pour Generation, par exemple, M. Anwyll expliquait que la société a le regard rivé sur des changements progressifs de grande envergure. Generation est en pourparlers avec des fabricants d’équipement d’origine (FEO) et envisage l’adoption d’un système d’aide aux wagonnets pour la pente la plus abrupte de Marathon, responsable de la plus forte consommation de diesel des camions. La société envisage aussi de s’équiper de véhicules à batterie ainsi que de véhicules fonctionnant à l’hydrogène. Toutefois, d’après M. Anwyll, de nombreux facteurs doivent être pris en compte avant de signer le bon de commande.

« Pour le système d’aide aux wagonnets, l’infrastructure électrique est beaucoup plus conséquente et le coût de l’équipement légèrement supérieur », indiquait-il. « Ce dont nous parlons avec les FEO, et ce sur quoi nous essayons d’être créatifs (et je dois admettre qu’ils sont très à l’écoute) concerne la façon de… lancer un projet avec un parc de véhicules donné, et de changer ce parc en milieu de vie sans avoir à le renouveler entièrement. Ces difficultés sont bien réelles. »

Les changements et les mises à niveau à prévoir augmentent généralement le coût des activités.

Si le prix varie, McKinsey estimait que, pour une installation traitant 25 millions de tonnes de minerai brut en moyenne et souhaitant atteindre la neutralité carbone entre 2030 et 2040, les coûts de transition seraient de l’ordre de 100 millions à 130 millions de dollars américains.

« En tant qu’industrie, nous devons accepter de prendre ce genre de risques. Nous devons pour ce faire adapter notre culture », indiquait Brian Mashford, responsable de la division Mines, minéraux et métaux à Stantec. « Nous pouvons gérer le risque, mais devons adopter des mesures qui vont dans ce sens. »

Ouvrir la voie

Parmi toutes les sociétés ayant annoncé des objectifs ambitieux ces deux dernières années, M. Mashford indiquait que nombre d’entre elles cherchent encore à trouver le moyen de les réaliser. « L’industrie est aujourd’hui confrontée à des objectifs difficiles à atteindre, sans pour autant disposer de plans bien définis… Elle comprend bien qu’elle doit y parvenir, mais ne sait pas exactement comment. C’est là que nous entrons en jeu actuellement, pour aider nos clients. »

D’après Theo Yameogo, leader national du secteur des mines et métaux chez Ernst & Young (EY), une grande partie de ces plans consiste à s’assurer que les sociétés minières disposent « des talents, systèmes et technologies adéquats » pour atteindre leurs objectifs. Ceci implique d’embaucher des personnes ayant l’expertise requise et de disposer de données rigoureuses relatives aux émissions des sites validées par des tiers.

Les efforts de planification de Yamana Gold ont, quant à eux, donné de bons résultats. La société a annoncé début 2021 qu’elle alignerait ses émissions de GES sur le scénario de réchauffement normal de deux degrés Celsius prévu par l’accord de Paris d’ici 2030, et s’est fixé l’objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En décembre, Yamana a considérablement relevé ses ambitions, et a annoncé qu’elle s’engageait à réduire ses émissions de GES de manière à respecter l’augmentation limite de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Elle s’est aussi engagée à réduire ses émissions annuelles de 4,2 % d’ici 2030. Ce changement venait à la suite d’une évaluation de ses émissions de référence et d’une mise à l’essai de trois cas de figure, à savoir une réduction de 2 degrés Celsius, de nettement moins que 2 degrés Celsius, et de 1,5 degré Celsius.

Comme l’expliquait Craig Ford, premier vice-président à la santé, la sécurité et au développement durable de Yamana, les prévisions de la société en matière d’émissions indiquent qu’elle ne dépassera pas la courbe des 1,5 degré Celsius avant la fin de l’année 2025, ce qui signifie que « nous avons un peu de temps devant nous pour… mieux apprécier les coûts et les possibilités ». La société a une « vision préliminaire » des investissements « modestes » qu’elle sera tenue de faire, allant de l’acquisition de véhicules électriques à batterie (VÉB) et de sources d’énergie renouvelable à la mise en œuvre de projets à bon rendement énergétique.

« Avant que l’on se penche sur [les efforts de planification et d’analyse], on n’avait pas d’idée claire de la tournure qu’allaient prendre les choses », indiquait M. Ford. « Je suis très satisfait de nos résultats et des prévisions futures quant à notre capacité à respecter cet objectif que l’on considérait, en début d’année 2021, très ambitieux. »

Branchement

Chaque mine sera confrontée à des exigences spécifiques au site, par exemple le chauffage des mines du Nord, les fonderies au gaz naturel, ou encore les sécheurs au propane, l’aérage pour les exploitations souterraines et les émissions fugitives de méthane dans les mines de charbon. Toutes les exploitations auront cependant des sources de GES en commun, à savoir l’énergie non renouvelable et les parcs de véhicules de transport au diesel. Un rapport de juin 2021 de McKinsey estimait que 40 % à 50 % des émissions de CO2 du secteur proviennent de la consommation de diesel des équipements, et 30 % à 35 % supplémentaires des sources d’électricité non renouvelables.

Emily Thorn Corthay, fondatrice et chef de la direction à Thorn Associates, une société de conseil en gestion de l’énergie et du carbone, faisait remarquer que les exploitations dans des provinces dotées de réseaux électriques sans émissions ou avec très peu d’émissions, ou ayant accès à des accords d’achat d’électricité (AAÉ) avec des producteurs indépendants, ont déjà une longueur d’avance. La voie vers la décarbonation sera parsemée de bien plus d’embûches pour les mines très reculées, non reliées au réseau d’électricité, particulièrement dans le Nord. L’énergie éolienne est une possibilité, et les petits réacteurs modulaires sont prometteurs, mais ils ne sont pas encore commercialisés.

Yamana dispose d’un réseau d’électricité renouvelable à son projet de Wasamac au Québec, et a signé des AAÉ avec les exploitations de Minera Florida, Jacobina et El Peñon. Environ 85 % des onces d’équivalent or de la société seront produites à l’aide de sources d’énergie renouvelable d’ici fin 2022. La mine d’or et d’argent de Cerro Moro de la société, située dans le sud de l’Argentine, représente la plus grande difficulté en termes d’énergie non renouvelable. De fait, le site est entièrement alimenté au diesel en raison de sa situation géographique extrêmement isolée. En 2022, la société évaluera la possibilité de relier Cerro Moro au réseau du pays, ou d’établir un projet d’énergie éolienne sur le site.

M. Ford expliquait qu’il envisageait la décarbonation du site comme « l’une des options les plus intéressantes » pour permettre à la société d’atteindre ses objectifs pour 2030, voire de les dépasser.

Toutefois, dans chaque province ou pays ayant de l’énergie renouvelable en abondance, les sociétés minières pourraient connaître une concurrence difficile pour l’accès au réseau, car d’autres industries font leur propre transition vers la neutralité carbone. D’après un rapport de décembre de Clean Energy Canada (CEC) à l’université de Simon Fraser, le Canada aura besoin de deux fois plus d’énergie propre d’ici 2050 pour parvenir à la décarbonation totale de son économie.

À court terme, le pays devra nettoyer ses sources existantes de combustibles fossiles à l’aide de la méthode de captage et stockage du dioxyde de carbone ou lancer de nouveaux projets pour les remplacer entièrement, indiquait Mark Zacharias, auteur du rapport et conseiller spécial de CEC. À long terme, « la demande en nouvelle production nette d’électricité sans émissions est amenée à considérablement augmenter » pour répondre aux besoins des utilisateurs du nouveau réseau ou du réseau étendu (par « nouvelle production nette d’électricité », on entend le renforcement suffisant des capacités, pas seulement pour remplacer les centrales à combustibles fossiles, mais aussi pour renforcer la quantité d’énergie globale à disposition).

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C’est dans les parcs de véhicules sans émissions de CO2 que l’aspect prometteur et le risque des nouvelles technologies sont les plus évidents. Si l’utilisation des VÉB a considérablement augmenté dans les exploitations souterraines, les camions de transport alimentés par de grosses batteries ou des piles à hydrogène pour les mines à ciel ouvert sont encore en phase d’essai. L’acquisition de VÉB pour toutes les exploitations exige généralement des dépenses en termes d’infrastructure et des changements dans la conception de la mine, en plus de coûts initiaux plus élevés pour l’achat des véhicules.

« C’est un problème actuellement », déclarait M. Ford. Yamana envisage d’intégrer les VÉB dans les exploitations en cours de développement, telles que Wasamac et Odyssey. « Ils ne sont pas encore commercialisés à un degré satisfaisant pour nous, mais on y arrive. »

Les sociétés minières renforcent leur partenariat avec les fournisseurs pour tester le nouvel équipement dans leurs exploitations, afin de s’assurer que la technologie est prête à être utilisée dans les mines dans les 10 années à venir, indiquait M. Mashford.

Pour les petites sociétés minières, l’estimation de la taille du parc de véhicules est particulièrement difficile. « [Les grandes sociétés minières] peuvent envisager des périodes d’amortissement légèrement plus longues que les petites sociétés minières comme Generation, par exemple », expliquait M. Anwyll. « Cela remet vraiment en question l’engagement à atteindre la neutralité carbone. Il faut être un peu plus créatif et réellement axés sur la question. »

Pour les sociétés qui ne peuvent pas encore s’engager à investir dans des VÉB, le biodiesel constitue « une bonne alternative pour se lancer dans ce périple, qui peut aider les sociétés à avancer dans cette direction », déclarait Mme Thorn Corthay. Le problème est que ce combustible composé d’huile de colza, d’huiles recyclées, de graisses animales et d’huile de soja peut se gélifier dans les températures hivernales.

Les risques initiaux des nouvelles technologies automobiles devraient toutefois être payants. D’ici 2030, lisait-on dans le rapport de juin de McKinsey, le coût total de possession d’un camion de transport électrique de 400 tonnes à piles à combustible devrait être 20 % inférieur à celui d’un camion alimenté au diesel, en raison d’une réduction des coûts liés à l’entretien et au carburant. Toujours d’après le rapport, la transition vers des carburants durables augmentera dans le même temps le coût total de possession de 10 % à 15 % à l’heure actuelle, et d’environ 5 % d’ici 2040.

Au-delà de la mine

Les sociétés minières peuvent faire de grands pas en avant en procédant à des changements au niveau de leurs sites. Toutefois, M. Yameogo faisait remarquer que les émissions de champ d’application 3 représenteront le plus gros obstacle, car elles sont responsables de 28 % des émissions de GES totales du secteur, voire plus selon les estimations. « Il faut penser à l’empreinte carbone des explosifs avant de les utiliser, ainsi qu’aux entrepreneurs venant sur le site, et se demander s’ils y viennent en voiture ou s’ils prennent l’avion, quelle est leur empreinte carbone », indiquait-il. « Il est plus difficile de savoir ce que font nos fournisseurs. »

Dans une lettre ouverte d’octobre, les sociétés membres de l’ICMM invitaient les fournisseurs à accélérer la décarbonation de leur chaîne d’approvisionnement et à s’engager à publier leurs objectifs en matière d’émissions de champ d’application 3 d’ici fin 2023, ou « le plus tôt possible ».

Malgré les difficultés, l’industrie est en bonne voie d’atteindre les objectifs à court et à long termes qu’elle s’est fixés, expliquait M. Mashford. Depuis des années, les sociétés minières réduisent leur consommation énergétique, notamment grâce à l’aérage à la demande, aux systèmes de récupération de chaleur et à d’autres technologies.

Mais l’heure n’est plus à l’indécision, ajoutait Mme Thorn Corthay.

« Certains clients ont peur de s’engager ou de faire le pas. La courbe d’apprentissage est longue, et ils peuvent parfois se sentir dépassés », déclarait-elle. « Une fois que l’on a identifié et estimé les coûts d’une amélioration progressive dans chaque site à l’aide de solutions permettant de réduire les émissions de GES, il ne faut plus hésiter. Il est primordial d’avoir l’ambition nécessaire pour s’engager à atteindre des objectifs ambitieux. Les sociétés minières ne recevront pas leur permis social d’exploitation si elles ne sont pas plus ambitieuses, mais celles qui embrassent rapidement la voie vers la décarbonation récolteront les fruits de leurs efforts. »


 La série Objectif neutralité carbone se poursuivra tout au long de l’année 2022. Elle examinera les difficultés liées à la réduction des gaz à effet de serre et à l’élimination des empreintes carbone, et étudiera également les possibilités qu’offrent ces actions. Si vous souhaitez apporter votre contribution, veuillez nouscontacter à l’adresse : editor@cim.org. 

Traduit par Karen Rolland

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