Les sociétés d’exploration telles que Fireweed Zinc, qui doivent envoyer par avion les foreuses démontées et les pièces (sans parler du personnel), trouvent difficile de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Fireweed Zinc a de grands projets pour la prochaine saison de forage cet été. Cette petite société minière se prépare à mener une évaluation économique préliminaire (ÉÉP) pour son projet Macmillan Pass de zinc, plomb et argent dans le sud-est du Yukon, en se fondant sur les résultats de forage de ses propriétés de Tom, Jason et Nidd.

Ce faisant, déclarait Pamela O’Hara, vice-présidente de la durabilité à Fireweed, la société génère, contre son gré, des émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’elle n’a aucun moyen de réduire.

Le projet Macmillan Pass regroupe 13 propriétés sur 945 kilomètres carrés (km²). Le site, situé à environ 200 kilomètres au nord-est de la rivière Ross, est accessible par la route et par sa bande d’atterrissage sur le site. Le camp de 50 personnes de la société, alimenté par un groupe électrogène diesel, est installé sur sa propriété de Tom. Nidd se trouve à 20 minutes en hélicoptère. Le programme de forage qui aura lieu cet été consistera à démonter les foreuses et à envoyer les pièces par avion vers le site en plusieurs voyages, avec les tiges de forage, le personnel, le carburant et tout autre bien de consommation. La société fonctionne 24 heures sur 24. Les hélicoptères font donc des allers et retours dans la journée pendant les quarts de travail.

Étant donné l’isolement géographique du projet, sa grande ampleur et la saison d’à peine quatre mois (entre juin et octobre) durant laquelle a lieu l’exploration, aucune option écoénergétique viable n’existe, indiquait Mme O’Hara.

« En tant que petite société d’exploration, il ne nous est pas possible, tant du point de vue économique que technique, de nous éloigner des combustibles fossiles dès maintenant », expliquait-elle. « Ceci étant dit, nous prévoyons de commencer la production d’ici 10 ans, et nous assisterons sans doute à des avancées considérables dans le secteur. »

L’histoire de Fireweed est loin d’être singulière pour les sociétés d’exploration minière. Dans un contexte où le secteur minier fait face à une pression toujours plus forte concernant la décarbonation, les sociétés d’exploration sont prises entre deux feux. Confrontées à des obstacles de nature géographique, financière et technique pour réduire leurs émissions, beaucoup se tournent vers des projets d’optimisation et des programmes de compensation de leurs émissions pour avoir un impact.

Veiller au grain

Si de nombreuses sociétés d’exploration envisagent de réduire leurs émissions, elles ne sont pas tenues de les communiquer ni de payer pour ces émissions. Le seuil de communication des émissions de GES établi par le gouvernement fédéral est de 10 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (équivalent CO2 ou éq. CO2) par an. Depuis 2019, les exploitations industrielles qui émettent plus de 50 000 tonnes par an sont soumises à un système de tarification fondé sur le rendement (STFR) pour le carbone. Dans son document d’orientation en ligne sur les émissions de GES, la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC, l’association canadienne des prospecteurs et développeurs) indiquait que, s’il est « peu probable » que les activités d’exploration atteignent un seuil de tarification fondé sur le rendement, un programme de forage d’exploration à grande échelle d’environ 200 000 mètres par an ou des activités impliquant au moins 10 foreuses pourraient se voir soumises à des exigences de surveillance et de communication.

« Les membres de la PDAC opérant au Canada sont encouragés à envisager dès à présent de mesurer les émissions directes totales d’éq. CO2 de leurs activités », lisait-on dans le document d’orientation.

C’est ce qu’Andy Randell, directeur général et géoscientifique principal à la société de conseils en géologie SGDS Hive basée en Colombie-Britannique (C.-B.), a commencé à faire après qu’un client lui en ait fait la demande. Sans modèle existant pour les sociétés à l’étape d’exploration, M. Randell et l’équipe de Hive ont développé leur propre formulaire de comptabilité carbone. Il répartit les émissions en trois catégories : le carbone opérationnel émanant des transports et de l’équipement du site, des moteurs portables, de la production d’électricité pour le camp et autre ; le carbone humain émanant de l’électricité, des déchets et de l’usage de papiers au camp ; et le carbone environnemental provenant du défrichement qui réduit la séquestration du carbone.

Aujourd’hui, Hive propose gratuitement la comptabilité carbone à ses clients. M. Randell mesure également l’empreinte carbone d’Aeonian Resources, la société d’exploration minière qu’il a créée, qui gère trois projets en Colombie-Britannique. Le projet cuprifère de Koocanusa d’Aeonian près de Cranbrook a émis 1 621,35 kilogrammes (kg) de carbone en 2021 dans le cadre des activités de l’équipe de M. Randell, qui consistaient à établir une grille de levés magnétiques sur une section de la propriété, à élargir la propriété par jalonnement et également à prospecter, à cartographier et à échantillonner cette nouvelle zone. Maintenant que la société a une meilleure idée de ses émissions, indiquait-il, elle peut commencer à faire le nécessaire pour les réduire.

Travailler dans les limites

Toutefois, des limites importantes persistent concernant ce que les sociétés d’exploration peuvent faire pour réduire leur empreinte carbone.

« Les sociétés d’exploration font face à des difficultés certaines », déclarait Gabrielle Beauchamp, directrice de projet du secteur minier à Tugliq Énergie, un producteur d’électricité indépendant du Québec offrant des alternatives privilégiant les énergies renouvelables pour des applications dans des lieux isolés et non reliés au réseau électrique. La nature provisoire des installations du camp dans des lieux non reliés au réseau électrique fait qu’il est difficile de s’engager envers une infrastructure permanente reposant sur les énergies renouvelables, indiquait-elle. Les sociétés d’exploration du Nord auront par ailleurs beaucoup plus d’émissions associées au chauffage, notamment en raison de l’utilisation de matériel pour lutter contre le gel et de radiateurs électriques (alimentés par des groupes électrogènes au diesel).

Kristina Hamernik, responsable du développement commercial à Tugliq, ajoutait que sans infrastructure dédiée à l’énergie propre, il est difficile d’adopter un équipement électrique mobile, sans parler des options limitées sur le marché en matière d’équipement lourd électrique, confronté à un compromis entre le poids de la batterie et sa durée de fonctionnement. « Les véhicules les plus lourds et les plus volumineux auront besoin de batteries plus grandes. À un moment, les deux ne sont plus compatibles. »

Comme l’indiquait le document d’orientation de la PDAC, les variables spécifiques à l’exploration peuvent aussi affecter la quantité d’émissions de gaz à effet de serre sur le site. Les carottes à plus gros diamètres et les trous de forage plus profonds consomment davantage de diesel pendant un programme de forage. La qualité du sol a en outre « l’un des impacts les plus importants » sur l’usage du diesel dans les foreuses. L’association indiquait par ailleurs que l’ancienneté et l’état de la foreuse ainsi que le niveau de qualification de l’équipe avaient une incidence sur les émissions.

Mme Hamernik indiquait que les offres du marché pour trouver des solutions à plus petite échelle privilégiant l’énergie renouvelable ne cessent de croître. La société travaille sur un projet pour le ministère fédéral de la défense nationale afin de démontrer le bien-fondé de solutions à petite échelle privilégiant l’énergie renouvelable en association avec un traitement des déchets et de l’eau pour les petits camps provisoires, qui pourraient s’avérer utiles pour les sociétés d’exploration. L’utilisation de turbines éoliennes inclinables et ayant une structure moins permanente peut aussi être intéressante en cas d’entretien ou de météo peu clémente, tout comme des installations solaires mobiles conteneurisées.

« Il existe sans aucun doute des possibilités pour l’intégration de l’[énergie] renouvelable à plus petite échelle, même pour des [solutions] mobiles… Mais en raison de certains facteurs de fiabilité, les sociétés hésitent », ajoutait-elle. « Les engagements devenant plus omniprésents dans l’industrie, le désir de transition sera plus visible. À l’étape d’exploration, on observe au moins une légère part d’intégration. »

Petits changements

Pour de nombreuses petites sociétés, le coût est un facteur réel, indiquait M. Randell. « On s’approvisionne plus facilement au grand magasin Canadian Tire que chez un grand fournisseur industriel pour trouver de l'équipement qui fonctionne sans émissions. »

Il expliquait qu’Aeonian avait remplacé ses réserves de carburant par un mélange de qualité supérieure plus propre et plus onéreux qui émet moins de CO2. La société utilise également des foreuses autopropulsées sur chenilles afin de ne pas avoir à utiliser un bulldozer pour les déplacer dans le site. Elle s’intéresse à de petits chargeurs pour les téléphones, aux radios et à d'autre matériel électronique qui permettraient de réduire l’utilisation du groupe électrogène diesel. Elle a aussi envisagé les implications en termes d’émissions du transport des matériaux à recycler en ville, par rapport à une destruction par combustion sur place. « Malheureusement, tout ceci n’est qu’un prélude », déplorait M. Randell. « Les petites choses sont les plus faciles à changer. »

Fireweed a introduit des stratégies d’atténuation simples, indiquait Mme O’Hara. Sa politique contre la marche au ralenti de ses véhicules permet de garantir une utilisation efficace du carburant, un point important pour la petite société minière des points de vue des émissions et des coûts. La société opère également des vols à double usage : le même avion transporte personnel et approvisionnement vers le site, et ramène le personnel ainsi que les carottes de forage et les échantillons d’eau vers le sud à son retour.

Compenser les émissions

Troilus Gold, une petite société minière qui développe le projet Troilus sur une mine héritée d’or et de cuivre active de 1996 à 2010, adopte une approche différente à la question des émissions. Fin février, la société annonçait qu’elle avait embauché Tugliq pour mener un inventaire de son empreinte de GES actuelle et passée et pour aider Troilus à élaborer une feuille de route afin de développer une mine neutre en carbone. Troilus prévoit de mettre à jour ses estimations des ressources minérales et de mener une étude de préfaisabilité au deuxième semestre 2022 sur son programme d’exploration de 100 000 mètres de 2021. La société indiquait qu’elle continuera ses activités d’exploration régionale pendant toute l’année.

La société a été fondée en 2018 lorsqu’elle a acheté les concessions de Troilus. Catherine Stretch, vice-présidente des affaires de l’entreprise, est chargée de surveiller les initiatives environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) de la société. Le site est relié au réseau d’Hydro-Québec, qui fournit 83 % de l’énergie actuellement utilisée sur le site, indiquait-elle. Toutefois, les foreuses, les autres véhicules du site et le groupe électrogène diesel de secours génèrent encore des émissions.

La société prévoit d’acheter des crédits d’émission de carbone afin de compenser ses émissions de GES depuis 2018. Aux côtés de Tugliq, elle travaille sur un projet de réduction des émissions pour l’avenir.

Aeonian compense son empreinte carbone au travers de programmes de plantation d’arbres. D’après M. Randell, la société se fonde sur le prix du carbone fixé par la Colombie-Britannique à 50 dollars la tonne pour calculer son coût approximatif lié aux émissions de CO2, puis fait don d’une somme équivalente à un organisme caritatif qui plantera des arbres avec la somme recueillie. D’après l’organisme caritatif de plantation d’arbres One Tree Planted, chaque arbre peut stocker environ 10 kg de carbone par an pour les 20 premières années de sa vie. Chaque arbre coûte environ 6 dollars, indiquait M. Randell. Pour compenser les émissions de CO2 de Koocanusa en 2021, le coût se serait élevé à 80 dollars en taxe carbone. La société a fait don de 97 dollars à un programme de plantation d’arbres.

« Il est plutôt dangereux d’attribuer une somme en dollars aux compensations, car ces sommes sont si insignifiantes que beaucoup pourraient être tentés d’en faire le moins possible. Toutefois, je pense que la plupart des sociétés se rendront compte que ces sommes sont vraiment infimes et qu’elles pourraient facilement les tripler. »

M. Randell s’est également entretenu avec les clients de Hive concernant l’allocation de fonds pour l’achat de graines à distribuer aux Premières Nations, à des écoles ou à des programmes disposant de pépinières de plantes indigènes s’ils se trouvent dans des régions d’activités forestières où des arbres seraient, de toute manière, plantés.

D’après un guide de 2019 sur l’achat de crédits d’émission de carbone par la fondation David Suzuki et l’institut Pembina, les entreprises et les organisations peuvent optimiser leurs investissements dans des crédits carbone en mettant l’accent sur des projets qualifiés de « complémentaires » (en d’autres termes, ils n’existeraient pas sans ce marché de crédits d’émission qui les finance et les fait avancer). Elles peuvent aussi investir dans des projets « de haute qualité » tels que ceux consacrés à l’énergie renouvelable et au rendement énergétique, qui créent un avantage permanent en matière de climat.

À l’horizon

S’il est difficile de réduire les émissions sur le court terme, les sociétés d’exploration sont en position forte pour développer des mines du futur qui afficheront l’empreinte carbone la plus faible possible, indiquait Mme Beauchamp.

« Une mine existante qui essaie de réduire ses émissions de GES et s’efforce de moderniser ses activités sera confrontée à des dépenses plus importantes que lorsqu’elle envisage de construire une infrastructure complète dès la phase d’exploration », ajoutait-elle. « Les sociétés minières en phase d’exploration ont tout intérêt à étudier des stratégies qui leur permettront de disposer d’une infrastructure reposant fortement sur l’énergie verte. »

D’après Mme Stretch, certains dans le monde minier ont été étonnés du partenariat de Troilus avec Tugliq étant donné que la société se trouve encore à l’étape d’exploration et de développement. Toutefois, indiquait-elle, « c’est le moment idéal pour le faire et pour contribuer de manière positive à l’avenir de notre secteur. Les décisions que nous prenons aujourd’hui pourraient avoir des répercussions qui dureront des décennies. »


 La série Objectif neutralité carbone se poursuivra tout au long de l’année 2022. Elle examinera les difficultés liées à la réduction des gaz à effet de serre et à l’élimination des empreintes carbone, et étudiera également les possibilités qu’offrent ces actions. Si vous souhaitez apporter votre contribution, veuillez nouscontacter à l’adresse : editor@cim.org. 

Traduit par Karen Rolland

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