Pleins feux sur la neutralité carboneAlors que les sociétés minières s’engagent à réduire leur empreinte carbone, la portée de cet engagement ne cesse de croître
Les sociétés BHP, Rio Tinto, Vale et Teck se sont engagées, depuis une année, à atteindre la « neutralité carbone » (zéro émission nette de dioxyde de carbone) à l’horizon 2050. La course est lancée. Au Canada et dans des pays plus lointains, les sociétés minières tentent de « décarboniser » leurs activités, à savoir réduire, voire supprimer leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2), en utilisant des parcs de véhicules électriques, en puisant leur énergie dans des sources plus écologiques et en mettant au point des stratégies plus propres pour les méthodes de fusion et le transport des marchandises.
« Jusqu’ici, il était bienvenu d’adopter des mesures écologiques. Aujourd’hui, c’est une tendance généralisée. Des sociétés [de fonds mutuels] telles que BlackRock proclament que la [responsabilité] environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) constitue un facteur de décision important pour ses investissements dans des actions minières », déclarait Julian Kettle, vice-président de la section Métaux et mines de la société de conseil spécialisée dans l’énergie Wood Mackenzie. Les efforts de « décarbonisation » (à savoir l’ensemble des mesures et techniques visant à réduire la teneur en carbone, plus spécifiquement en CO2, des énergies, voire d’une économie entière) déployés par les sociétés minières ont jusqu’à présent été « décevants », déplorait-il. Des promesses telles que celles, récentes, de Rio Tinto, d’investir un milliard de dollars américains (soit l’équivalent de 1,4 milliard de dollars canadiens) dans des initiatives vertes sont, certes, « un bon départ, mais devront faire leurs preuves rapidement ». Une course contre la montre que la pandémie liée au COVID-19 rend désormais encore plus complexe.
Certaines démarches en faveur de la décarbonisation des sites sont éprouvées, testées et constituent une option compétitive. Dans les nouvelles mines, il est logique sur le plan économique de puiser l’électricité dans des sources d’énergie renouvelables. L’énergie propre est, par définition, plus écologique et peut parfois être moins onéreuse que l’électricité produite à l’aide de combustibles fossiles. Les autres stratégies de décarbonisation requièrent une innovation et un investissement supplémentaires. Par rapport à l’exploitation minière souterraine, la disponibilité et la maturité de l’équipement électrique utilisé pour l’exploitation minière à ciel ouvert accusent un certain retard, et les efforts visant à décarboniser les procédés à forte intensité de carbone tels que la production d’acier et la fusion de l’aluminium (que l’on considère toujours plus comme étant en partie de la responsabilité du secteur minier) se trouvent dans un état encore plus embryonnaire.
L’examen minutieux des émissions de CO2 engendre inévitablement une surveillance encore plus rigoureuse et constitue un enjeu supplémentaire pour les producteurs de produits de base. Les émissions de champ d’application 3, à savoir des émissions résultant d’activités extérieures et en aval de la chaîne de valeur telles que le transport, la fusion et l’utilisation finale des matériaux, peuvent être jusqu’à 30 ou 40 fois supérieures aux émissions résultant des activités opérationnelles ou de l’utilisation d’électricité sur place dans une mine. En 2019 par exemple, Teck a généré 290 kilotonnes d’émissions de CO2 provenant d’électricité produite à l’extérieur de ses sites, 2 936 kilotonnes dans ses exploitations et 73 000 kilotonnes en aval de la chaîne d’approvisionnement. En d’autres termes, 96 % de ses émissions de CO2 étaient générées après que les matériaux ont quitté l’exploitation. De même, les émissions de champ d’application 3 de Vale en 2018 représentaient 96 % des émissions totales de la société. Elles étaient initialement réparties entre les navires (2 %) et les clients (93,9 %). Ceci explique qu’un nombre croissant d’investisseurs et de consommateurs appelle l’industrie à inclure les émissions de champ d’application 3 dans ses promesses de « neutralité carbone ».
Jusqu’ici, les sociétés minières n’incluaient pas les émissions de leurs chaînes d’approvisionnement dans leurs engagements à l’horizon 2050, alléguant qu’elles sont difficiles à évaluer et qu’elles sont réparties entre une myriade de sociétés. On observe toutefois un changement d’attitude ; les grandes associations industrielles reconnaissent l’importance de communiquer leurs émissions de champ d’application 3, et on assiste à l’avènement d’un nombre croissant de collaborations entre les sociétés minières et les clients en aval qui s’efforcent de mieux comptabiliser les émissions de la chaîne d’approvisionnement et de s’y attaquer. Par ailleurs, une coalition dirigée par le Rocky Mountain Institute (RMI), un centre de recherche et d’études américain sur l’énergie, a élaboré une norme de comptabilisation des émissions de CO2 qui prévoit un régime plus simple et holistique de comptabilité pour le secteur minier.
Rêves électriques
Le Canada abrite de nombreuses mines souterraines utilisant un équipement électrique à batterie, par exemple la mine Borden de Newmont Goldcorp, la mine Macassa de Kirkland Gold et le projet Onaping Depth de Glencore, en cours de construction. En revanche, l’exploitation minière à ciel ouvert entièrement électrique n’en est qu’à ses débuts en termes de développement,au Canada comme à l’étranger. Nouveau Monde Graphite a publié en 2018 une étude de faisabilité pour sa mine de Matawinie, un projet d’exploitation du graphite à ciel ouvert, qui prévoit une mine 100 % électrique.
D’après Verónica Martinez, dirigeante principale du programme pour l’innovation et le changement climatique à l’International Council of Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux), les progrès sont restreints par les limites de l’équipement générant peu d’émissions de CO2 utilisé pour l’exploitation à ciel ouvert. « Ces dernières années, nous avons assisté à de grands progrès en termes d’électrification des véhicules et des camions, mais l’envergure des équipements nécessaires dans le secteur minier, par exemple un tombereau de 400 tonnes, est bien différente », déclarait-elle, expliquant que 80 % des émissions associées à l’exploitation des sites miniers émanent de l’équipement mobile. « Même si les sociétés souhaitent, aujourd’hui, adopter une technologie ou en acquérir une déjà commercialisée pour réduire [les émissions liées à leurs activités], cette technologie n’existe pas », ajoutait-elle.
Le programme de l’ICMM baptisé Innovation for Cleaner, Safer Vehicles (ICSV, l’innovation au service de véhicules plus propres et sûrs) met en relation ses 27 membres et des fabricants d’équipement d’origine (FEO) afin d’encourager l’adaptation de technologies existantes et la création de projets pilotes aux technologies les plus récentes. L’initiative vise à promouvoir la commercialisation d’engins miniers sans émissions de CO2 pour les exploitations à ciel ouvert à l’horizon 2040. « Pour la commercialiser d’ici 2040, nous devrons développer et tester cette technologie d’ici 2030 avant de pouvoir l’intégrer et l’adapter à la production. On peut penser que 2040 est [encore loin], mais finalement, nous y arriverons vite », indiquait Mme Martinez.
Devant les délégués du congrès et du salon commercial annuel MineXchange de la Society for Mining, Metallurgy and Exploration (SME, la société des mines, de la métallurgie et de l’exploration), qui a eu lieu en février dernier, Peter Wan, directeur de la technologie et de l’innovation à Teck et collaborateur dans l’initiative ICSV, insistait sur l’urgence de tester et d’utiliser l’équipement mobile électrique. Au même moment, Teck révélait son nouvel objectif : être un exploitant sans émissions de CO2 d’ici 2050. « Si nous achetons aujourd’hui un parc de camions, un seul cycle de vie du parc nous sépare de 2050 », expliquait M. Wan.
Teck adopte une approche progressive envers l’utilisation d’équipement sans émissions de CO2, ajoutait-il. Les précurseurs paient généralement « le prix fort », aussi il faut « identifier les secteurs qui utilisent déjà ces technologies et où les prix ont baissé, puis les adopter aux tarifs appliqués à la “majorité précoce”, indiquait-il (par majorité précoce, on entend la première part de marché relativement importante à investir dans une solution innovante, suivant de près les courageux premiers adeptes. La tarification de la majorité précoce est généralement inférieure aux prix de lancement, mais supérieure lorsque l’article en question est davantage un produit de base). Teck adoptera alors la technologie qu’utilisent ces secteurs et « contribuera à son adoption au sein du marché minier ».
Son projet pilote mené à l’exploitation Elk Valley en est un exemple ; deux cars de la Compagnie Électrique Lion y sont utilisés pour le transport des équipes. Les clients de la Compagnie Électrique Lion, basée à Saint-Jérôme, au Québec, lui achètent ses cars scolaires dans toute l’Amérique du Nord. La société propose également des camions urbains et des camions poubelle de catégorie Lion8, ce qui permet à Teck de bénéficier des offres même si les applications minières constituent un nouvel usage pour ces véhicules.
L’introduction de véhicules électriques sur le site exige de réviser les philosophies d’exploitation, ajoutait M. Wan. Par exemple, le récent essai d’un camion électrique autonome de 15 tonnes fabriqué par Volvo a montré que la société minière pouvait réduire la taille de ses camions tout en préservant la productivité. Une mentalité axée sur « l’électrique avant tout » ouvre la voie à d’autres approches, telles que le concassage et le transport dans la fosse minière, et permet de repenser la manipulation des matériaux.
Comme le faisait remarquer M. Wan, une grande partie de l’équipement utilisé par Teck dans l’exploitation à ciel ouvert aujourd’hui, y compris des camions de transport de 300 tonnes, des bulldozers Caterpillar D11 et des niveleuses automotrices Caterpillar 24, « n’existe tout simplement pas » en version électrique.
Transition énergétique à l’horizon
Les énergies renouvelables constituent déjà la source d’électricité la plus abordable dans de nombreuses régions du monde, et elles sont vouées à devenir encore moins coûteuses. Selon l’International Renewable Energy Agency (IRENA, l’agence internationale pour les énergies renouvelables), l’électricité générée par les technologies photovoltaïques (PV) éoliennes et solaires à terre sera « invariablement » moins chère que l’électricité produite à partir de combustibles fossiles à l’échelle mondiale en 2020. Les économies réalisées sont l’une des raisons pour lesquelles le secteur minier devient rapidement l’un des plus grands acquéreurs des sources d’énergie renouvelables. Le 15 mars dernier, Anglo American a signé une transaction de 190 millions de dollars américains (l’équivalent de 273 millions de dollars canadiens) avec Atlas Renewable Energy pour 15 années d’alimentation en énergie solaire provenant d’une centrale solaire de 330 mégawatts dont la construction est prévue. À la fin de l’année 2019, BHP a signé quatre ententes pour une alimentation en énergies renouvelables qui lui permettrait de réduire de 20 % les coûts de ses mines de cuivre chiliennes, tout en éliminant totalement le recours aux combustibles fossiles pour ses besoins en électricité. Les données économiques liées à cette transition étaient si optimistes que BHP a mis de côté à titre provisoire 780 millions de dollars américains (soit un milliard de dollars canadiens) dans ses états financiers pour mettre un veto à ses transactions préexistantes reposant sur le charbon.
D’après Mme Martinez de l’ICMM, les enjeux du marché constituent les principaux obstacles à la décarbonisation totale dans les sites miniers ; de fait, de nombreuses sociétés minières sont tenues par des accords à long terme sur l’utilisation des combustibles fossiles pour leurs besoins en électricité, signées bien avant que les énergies renouvelables ne deviennent des options compétitives.
Dans les mines isolées, la construction d’une centrale électrique fonctionnant aux énergies propres sur le site, sécurisée par un système de stockage d’énergie, est une option plus envisageable que de signer une entente sur l’utilisation d’énergies propres avec un service public ou un développeur d’énergies renouvelables. À la mine de nickel Raglan de Glencore dans le nord du Québec, six mégawatts d’énergie éolienne et un système de stockage d’énergie de trois mégawatts se substituent à quelque quatre millions de litres de diesel chaque année. Le parc éolien à quatre turbines de 9,2 mégawatts de la mine Diavik de Rio Tinto est en service depuis 2012.
L’un des plus ambitieux projets d’utilisation des énergies renouvelables sur le site se trouve cependant loin de notre territoire canadien riche en hydroélectricité, dans des régions isolées où le diesel est onéreux, les chaînes d’approvisionnement instables et les réseaux électriques mis à rude épreuve. Rio Tinto investit 98 millions de dollars américains (140 millions de dollars canadiens) dans une centrale solaire photovoltaïque équipée d’un système de stockage à batterie de 34 mégawatts pour alimenter son exploitation de minerai de fer de Koodaideri, en Australie-Occidentale, qui couvrira 65 % des besoins énergétiques de la mine. La société minière canadienne B2Gold construit une centrale solaire de 30 mégawatts sur le site de son exploitation aurifère de Fekola au Mali, qui lui permettra de réduire de 13,1 millions de litres par an sa consommation de mazout lourd.
À mesure que le secteur des énergies propres gagne en maturité, de nouveaux modèles financiers rendent moins onéreuse l’utilisation sur le site des énergies renouvelables. Au Mali, Resolute Mining s’est assuré le soutien d’Aggreko, un développeur britannique de microréseaux et d’énergies renouvelables, pour construire une centrale solaire hybride dans son exploitation aurifère de Syama qui inclut 20 mégawatts d’énergie solaire et un système de stockage de 10 mégawatts.
Aggreko vend son énergie à Resolute au titre d’un accord d’approvisionnement en énergie de 15 ans « prolongeable », que John Welborn, chef de la direction de Resolute, décrit comme une offre « intéressante » pour une exploitation ayant une durée de vie potentielle de plusieurs décennies au-delà de ses 15 années officielles. Aggreko reste le dirigeant propriétaire et le gestionnaire des finances de ce projet sur l’énergie ; quant aux dépenses d’immobilisation, elles demeurent hors bilan pour Resolute. « C’est un accord d’écoulement à long terme, avec une demande en capital importante gérée par Aggreko. Pour une société minière, il s’agit indéniablement d’une nouveauté », déclarait M. Welborn. « C’est la meilleure option pour la solution que nous recherchons. » Cette centrale permettra d’abaisser les coûts actuels se situant entre 0,23 et 0,28 dollar américain par kilowattheure (kWh) à 0,15 dollar américain par kWh, et de réduire les émissions de CO2 de 20 %.
Cette transition énergétique permet à Resolute de préserver ses relations avec les communautés voisines. La société minière a signé une entente distincte avec Aggreko pour explorer les manières d’approvisionner les habitants de la région en électricité.
« Au lieu d’essayer d’accéder à une infrastructure électrique qui n’existe pas ou qui sera difficile à financer, nous inversons la situation en amenant au sein et autour du site minier le financement, l’exploitation et le développement d’une infrastructure électrique pouvant créer des microréseaux », indiquait M. Welborn. « Les répercussions en aval sur la santé, l’éducation et la qualité de vie proviendront, de fait, de l’électrification des économies émergentes. C’est un avantage qui peut s’avérer plus immédiat que l’impact positif réel sur l’environnement. »
Les enjeux liés aux émissions de champ d’application 3
Si le consensus est quasiment total quant à la responsabilité qui incombe aux sociétés minières de réduire les émissions liées à leurs activités ou leur consommation d’électricité, les émissions en aval, ou « émissions de champ d’application 3 », sont plus controversées. En mars, le président de Rio Tinto Simon Thompson a rejeté les propositions d’établir des objectifs quant aux émissions de champ d’application 3, proclamant que « ces émissions provenaient essentiellement de nos clients, principalement des aciéristes en Chine, sur lesquels nous avons un contrôle très limité ».
D’autres prétendent que l’inclusion des émissions de champ d’application 3 est impérative, et que les objectifs de neutralité carbone des sociétés minières d’ici 2050 n’ont plus aucun sens si on ne les prend pas en compte. « Les sociétés minières sont maîtresses de la décarbonisation d’un site, et elles se sont engagées à le faire ; cependant, tout bien considéré, cela ne changera pas le monde. Lorsqu’il est question d’émissions, le problème se situe réellement à l’étape de la fusion », expliquait M. Kettle de Wood Mackenzie.
D’après Andrew Grant, responsable de la section Pétrole et gaz du groupe de réflexion financier Carbon Tracker, l’omission des émissions de champ d’application 3 « a une incidence sur la pertinence des objectifs ».
Un rapport (uniquement disponible en anglais) publié par McKinsey en janvier indiquait que 28 % des émissions mondiales de CO2 sont des émissions de champ d’application 3 provenant du secteur minier, la combustion de charbon et la production d’acier et d’aluminium étant les plus grands responsables. Ensemble, les émissions de champs d’application 1 (émissions directes liées à l’exploitation) et 2 (émissions indirectes associées à l’électricité) sont estimées à 1 %.
L’industrie prend de plus en plus conscience de l’importance d’inclure les émissions de champ d’application 3 dans ses objectifs de neutralité carbone. Fin 2019, l’ICMM a revu sa position sur le changement climatique afin d’inclure un engagement envers l’obligation collective avec des tiers de déterminer la meilleure approche pour communiquer les émissions de champ d’application 3. Vale et BHP se sont engagées ces six derniers mois à fixer des objectifs publics de réduction des émissions de champ d’application 3. C’est un véritable exploit, sachant que ces dernières représentent 95 % de l’empreinte carbone de Vale, et 97 % de celle de BHP.
La collaboration dans l’intérêt mutuel
« Le champ d’application 3 est au cœur de l’actualité en ce moment », indiquait Mme Martinez de l’ICMM. La surveillance accrue engendrera « davantage de collaborations entre les sociétés et les clients en vue de mettre au point des stratégies portant sur les investissements les plus judicieux dans les technologies [propres] et l’engagement envers la comptabilité carbone dans toute la chaîne d’approvisionnement ».
Prenons comme exemple ELYSIS, une entreprise commune de Montréal entre Rio Tinto et Alcoa, qui est parvenue à décarboniser une méthode de fusion de l’aluminium, restée inchangée depuis son invention en 1886. ELYSIS travaille main dans la main avec ces partenaires, responsables de 10 % de la production mondiale d’aluminium, et Apple. « Il s’agit là de la plus grande révolution de l’histoire de [l’industrie de l’aluminium] », expliquait Vincent Christ, chef de la direction d’ELYSIS. « C’est incroyable ; on surnomme parfois cette collaboration le Saint Graal, car elle est unique. »
Les méthodes traditionnelles de production de l’aluminium qui, d’après des recherches du Columbia University Climate Centre (le centre d’études sur le climat de l’université Columbia), sont responsables de 1 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES), impliquent de faire passer un courant électrique à travers une grande anode en carbone, qui brûle et émet du CO2 dans l’atmosphère lors de sa combustion. La nouvelle technologie se sert d’une anode permanente (ou anode inerte) qui libère de l’oxygène.
ELYSIS prévoit de commercialiser cette technologie d’ici 2024 et a vendu en décembre son premier lot d’aluminium produit sans émissions de CO2 à Apple. Un centre de recherche à Saguenay, au Québec, est en cours de construction ; il devrait ouvrir ses portes au deuxième trimestre 2020.
« Il s’agit de l’un des rares cas où une technologie révolutionnaire s’accompagne d’une hausse de la productivité, d’une baisse des coûts de production et d’un vaccin contre les tarifs liés à tout mécanisme de tarification du carbone », expliquait M. Christ. « Compter Apple parmi nos investisseurs vient ajouter un point de vue consommateur très utile à nos activités », ajoutait-il.
Cette initiative, qui a bénéficié d’investissements de 13 millions de dollars de la société Apple, de 55 millions de dollars de Rio Tinto, de 55 millions de dollars d’Alcoa et de 120 millions de dollars au total des gouvernements fédéral et du Québec, est l’un des nombreux partenariats intersectoriels nés du besoin collectif de limiter l’intensité carbone des chaînes d’approvisionnement. La société d’exploitation cuprifère chilienne Codelco travaille de concert avec BMW pour développer et introduire de nouvelles normes de durabilité dans la chaîne d’approvisionnement du cuivre ; la plus grosse société européenne d’exploitation de minerai de fer LKAB a uni ses forces avec l’aciériste SSAB et l’entreprise publique Vattenfall pour développer un « acier produit sans combustibles fossiles ». Alors que Rio Tinto maintient que la société a « peu de contrôle » sur les émissions de champ d’application 3, elle a signé une entente à l’automne avec le plus grand producteur d’acier chinois Baowu Steel Group et l’université Tsinghua pour explorer les manières de limiter les émissions de CO2 dans l’élaboration de l’acier.
Mais au final, qui est responsable ?
Les questions liées à la responsabilité des émissions de champ d’application 3 ne se limitent pas au secteur minier, expliquait Susan Greene, directrice du programme dédié aux chaînes d’approvisionnement durable du Massachusetts Institute of Technology (MIT, l’institut de technologie du Massachusetts).
« Tous les secteurs sont concernés. La question est de savoir quelle fraction de vos émissions de champ d’application 3 vous contrôlez réellement, quelle fraction vous achetez, quelle fraction vous permettra de décider de l’évolution des choses et quelle fraction vous échappe totalement. […] Pour moi, ceci ouvre un débat philosophique plus vaste concernant la responsabilité de chacun dans certaines parties de la chaîne d’approvisionnement », indiquait-elle.
Mme Greene recommandait aux sociétés minières d’orienter leurs efforts vers l’évaluation et la réduction des émissions de champ d’application 3 qu’elles maîtrisent. « Il est du ressort des [sociétés minières] de s’approvisionner en produits et services générant peu d’émissions auprès de sociétés soucieuses de leur empreinte carbone. Les transports pourraient en faire partie. Les sociétés paient directement pour l’expédition par bateau de leur minerai de fer ou de leur cuivre vers la Chine, et c’est une donnée fiable qu’elles peuvent obtenir facilement. Il est possible de savoir sur quel type de bateau et dans quel port le chargement a été envoyé, quelle distance ce chargement a parcourue, et quel était son poids », expliquait-elle. « Ce sont des données bien plus fiables que, par exemple, le devenir des matériaux après [qu’ils] ont quitté la Chine. »
Mme Greene est la coauteure du Global Logistics Emissions Council Framework (GLEC Framework, le cadre du conseil des émissions mondiales liées à la logistique). Elle travaille désormais sur une nouvelle méthodologie, baptisée Coalition on Materials Emissions Transparency Framework (COMET Framework, le cadre de la coalition sur la transparence des émissions issues des matériaux), qui permettra aux parties prenantes de toute la chaîne d’approvisionnement du secteur minier d’évaluer et de comparer les émissions de CO2 inhérentes à différents produits.
Le cadre COMET a été lancé par l’initiative du MIT sur les chaînes d’approvisionnement durables, le RMI, la Colorado School of Mines (l’école des mines du Colorado) et le Columbia Center on Sustainable Investment (CCSI, le centre dédié à l’investissement durable de l’université Columbia) lors du forum économique mondial qui s’est tenu en janvier 2020. Il vise à définir une nouvelle approche universelle normalisée de l’évaluation des émissions liées à la chaîne d’approvisionnement dans le secteur minier sur une période de 12 à 18 mois.
Le cadre s’éloignera des moyennes trouvées dans d’autres approches de comptabilisation des émissions de CO2, et « rendra la communication plus simple à gérer et plus accessible », indiquait Mme Greene. « À l’heure actuelle, l’approche est tout simplement trop complexe. Il vous faut un doctorat rien que pour y penser. Nous voulons nous éloigner de cette complexité », ajoutait-elle.
L’incitation exercée auprès des entreprises pour qu’elles rendent compte de leurs émissions de champ d’application 3 est relativement récente, expliquait Paolo Natali, directeur des initiatives sur les matériaux du RMI. Elle a émergé d’une manière relativement peu méthodique en raison de pressions émanant de deux groupes de parties prenantes très différents, à savoir les sociétés en aval qui cherchent à mettre de l’ordre dans leurs processus d’acquisition, et les investisseurs des industries lourdes qui s’inquiètent du risque pour le climat.
« La rigueur méthodologique n’est devenue un problème que dernièrement ; toutes les implications, et essentiellement l’importance de se fonder sur un traçage réel et non sur des moyennes industrielles, sont relativement récentes. C’est pour cela qu’on ne s’en préoccupe que maintenant », indiquait M. Natali.
Analyse des champs d’application des émissions
Champ d’application 1 : émissions directes de GES
» Les émissions directes de GES proviennent de sources qui sont détenues ou contrôlées par la société (par exemple, les émissions qui résultent de la combustion dans les chaudières, les fours, les véhicules, etc. détenus ou contrôlés par la société ou celles qui résultent de la production chimique dans du matériel de traitement détenu ou contrôlé par la société)
» Les émissions directes de CO2 qui résultent de la combustion de la biomasse ne font pas partie du champ d’application 1 ; elles doivent plutôt être déclarées séparément
» Les émissions de GES qui ne sont pas répertoriés dans le protocole de Kyoto (par exemple, les chlorofluorocarbones ou CFC, les oxydes d’azote ou NOx, etc.) ne font pas partie du champ d’application 1 ; elles peuvent cependant être déclarées séparément
Champ d’application 2 : émissions indirectes de GES associées à l’électricité
» Le champ d’application 2 englobe les émissions de GES qui résultent de la production d’électricité achetée et consommée par la société. L’électricité achetée correspond à l’électricité acquise ou incluse dans les périmètres organisationnels de la société
» Les émissions de champ d’application 2 sont produites par l’établissement qui produit l’électricité
Champ d’application 3 : autres émissions indirectes de GES
» Le champ d’application 3 est une catégorie à déclaration facultative qui incorpore toutes les autres émissions indirectes
» Les émissions de champ d’application 3 résultent des activités de la société, mais proviennent de sources qui sont détenues ou contrôlées par une autre société
» L’extraction et la production de matériaux achetés, le transport de carburant acheté et l’utilisation de produits et services vendus sont des exemples d’activités du champ d’application 3
Plus dans la catégorie Environnement
Une atmosphère renouvelée
L’énergie renouvelable fait des vagues au Congrès mondial de l’énergie et des mines
Promesses électorales et pression économique
Les observateurs du marché et les défenseurs des politiques réfléchissent aux moyens d’action dont dispose un nouveau président favorable au charbon