Explorer le changementPourquoi la gestion du changement dans le secteur minier est primordiale à l’ère du numérique

Dans un effort d’améliorer la sécurité du personnel à sa mine souterraine de Rosebery en Australie, la société minière internationale MMG a mis en œuvre un système en 2023 pour activement surveiller les niveaux de vigilance des conductrices et conducteurs de camions pendant leur poste exigeant de 12 heures. Au premier signe de distraction, de somnolence ou de microsommeil, l’Operator Alertness System (OAS, le système de vigilance des conducteurs et conductrices) d’Hexagon installé dans le camion de chacun des conducteurs et conductrices envoie une notification en temps réel, ce qui permet à MMG de perpétuellement évaluer le risque de fatigue de son équipe sous terre et de trouver des solutions.
Associés à des changements opérationnels pour réduire la fatigue des conducteurs et des conductrices, les résultats de ce déploiement numérique se sont avérés particulièrement positifs. Durant les trois premiers mois du programme, les situations de fatigue extrême ont diminué de 81 %. Par ailleurs, les occurrences de somnolence ont globalement diminué de 53 % en un an.
La gravité des situations de fatigue est déterminée par le personnel formé dans des centres de surveillance à distance d’Hexagon. Aucun cas de fatigue n’est identique. Parmi les facteurs surveillés figurent la fréquence des cas chez les conductrices et conducteurs et l’historique récent de conduite d’engins.
Parmi les exemples de cas de fatigue extrême figurent des yeux qui se ferment de manière incontrôlée pendant trois secondes ou plus, et une impossibilité pour le conducteur ou la conductrice à reprendre ses esprits par la suite, ou encore un comportement imprévisible lorsqu’il ou elle reprend ses esprits.
Le processus à MMG a aussi aidé à promouvoir une culture de la sécurité où le personnel se sentait mieux accompagné dans son travail grâce à une aide médicale pour faire face à la fatigue.
La clé de la réussite de MMG pour ce déploiement était de comprendre que la manière d’utiliser la nouvelle technologie peut s’avérer aussi précieuse que la technologie en elle-même. Plutôt que de se contenter d’intégrer des systèmes et des processus logiciels pour améliorer les performances, la société a obtenu de meilleurs résultats en garantissant l’engagement et le soutien de l’ensemble de sa main-d’œuvre tout au long du processus.
Selon des expertes et experts de l’industrie, une stratégie de gestion du changement bien conçue (un processus structuré de planification, de mise en œuvre et d’adaptation au changement) constitue un ingrédient sous-estimé qui détermine souvent le succès d’une nouvelle initiative numérique au travail ou, au contraire, sa disparition. Lorsque le personnel d’une organisation n’est pas d’accord dès le départ avec le changement, il ne souhaite pas non plus investir l’énergie supplémentaire nécessaire pour concrétiser les changements.
« Par processus, j’entends adaptation, adoption et autonomisation », déclarait Josh Savit, conseiller principal en matière de sécurité à Hexagon, qui travaillait avec MMG sur le déploiement de son OAS. La gestion du changement est une question « d’intégration des technologies, des solutions et des relations dans la structure globale de la mine », indiquait-il.
Par exemple, faisait-il remarquer, le succès de la mise en œuvre de l’OAS à la mine de Rosebery revenait à M. Savit qui, avec son équipe, s’est entretenu directement avec les opérateurs et opératrices de la mine et a répondu à leurs questions bien avant que la technologie ne soit installée. « On ne peut pas simplement imposer cette technologie pour lutter contre la fatigue et la distraction, car cela reviendrait à dire qu’on l’a mise en place parce qu’on en avait décidé ainsi », indiquait-il.
Au contraire, il est important d’expliquer la manière dont sont définies ces conditions et l’incidence de ces processus sur les travailleurs et les travailleuses dans leurs tâches quotidiennes. « Maintenant, cette caméra [dans le camion] a du sens, car elle ne regarde que moi pour voir si je ferme les yeux ou si je regarde mes écrans trop longtemps », expliquait M. Savit. « Connaître la raison pour laquelle le système était installé leur a permis de poser des questions davantage axées sur leurs besoins personnels, et non reposant sur la mésinformation. »
Si certaines perturbations opérationnelles au début de la gestion du changement sont inévitables, M. Savit expliquait qu’il est question de perturber le déroulement des opérations pour l’améliorer. « Il faut parfois faire dévier le cours d’un fleuve pour améliorer son débit », ajoutait-il.
Résistance à la gestion du changement dans l’exploitation minière
Nathan Stubina, directeur général de PACE Global, une société basée à Sudbury, en Ontario, spécialisée dans l’adoption du numérique et la gestion du changement dans l’industrie minière, déclarait que l’adoption de technologies numériques de plusieurs millions de dollars n’échoue généralement pas en raison de problèmes techniques, mais en raison de l’aspect humain du changement et du manque de communication adéquate.
« Certains de nos clients tentent de mettre en œuvre une initiative depuis cinq ans, mais l’iPhone [nécessaire pour le projet] reste sur leur étagère car ils ne parviennent pas à convaincre le personnel de la mine de l’utiliser », indiquait-il.
Il évoquait également une étude mondiale auprès de directrices et directeurs de projets principaux dans des organisations multinationales et gouvernementales, qui montrait que ces derniers passaient 86 % de leur temps à résoudre des problèmes humains. « Les dirigeants et dirigeantes envisagent le côté humain comme une compétence non technique et pensent qu’ils n’ont pas besoin d’aide pour que le projet franchisse la ligne », indiquait-il.
Neha Singh, fondatrice et vice-présidente en charge de la réussite des partenariats de PACE Global, attribue la lenteur de l’adoption des protocoles de gestion du changement du secteur minier (par rapport à d’autres secteurs tels que les soins de santé) à un problème fondamental de communication de sa valeur aux décideurs et décideuses. « Nous devons d’abord traduire la gestion du changement en ce que seront les bénéfices spécifiques, puis trouver les dirigeants et dirigeantes qui la mobiliseront », indiquait-elle.
Dans une industrie où le changement opérationnel est souvent lié à des résultats techniques ou des indicateurs de production, Mme Singh est d’avis qu’il est essentiel de bien cadrer le dossier de décision pour la gestion du changement en des termes que la direction comprend, à savoir productivité, sécurité et performance à long terme.
La mine souterraine de Rosebery de MMG en Australie a mis en œuvre l’Operator Alertness System d’Hexagon pour évaluer sans interruption le risque de fatigue du personnel et y remédier. Avec l’aimable autorisation d’Hexagon
Tout comme les sociétés ont des politiques et des procédures propres aux activités quotidiennes, les transformations numériques exigent leurs propres politiques et processus. « Il se peut que l’acquisition doive se faire plus rapidement pendant la transformation, par exemple, mais les personnes préposées à l’acquisition sont les mêmes dont le modèle mental est bloqué dans les opérations », expliquait-elle. « Essentiellement, cela crée un modèle de gouvernance temporaire qui permet… de résoudre les risques et d’aborder les problèmes, les décisions et les possibilités liés au changement beaucoup plus rapidement. »
D’après Mme Singh, le but d’avoir recours à des conseillers et des conseillères dans ce processus est de diagnostiquer le changement à exécuter et de s’assurer que tout le monde est clair concernant les étapes suivantes. « La société en charge de la gestion du changement doit aussi avoir le respect de la haute direction et l’oreille du conseil d’administration. Elle doit pouvoir dire des choses relatives aux problèmes opérationnels dont personne d’autre ne peut parler », expliquait-elle. « Notre rôle est d’encadrer les dirigeants et dirigeantes de votre organisation pour leur apprendre à être à l'avant-garde du changement, car la détermination à changer ne peut être déléguée. »
Mme Singh espère qu’à terme, des sociétés comme la sienne ne seront plus nécessaires, car les organisations apprendront à s’adapter au changement continuel. « Le travail d’un directeur ou d’une directrice ne se cantonnera pas aux activités, mais sera le véritable moteur du changement. Le personnel s’attendra à ce que le changement se produise de manière continue », indiquait-elle.
Entre-temps, expliquait Bob McCarthy, ingénieur des mines et conseiller principal à SRK Consulting à Vancouver, la réussite plus immédiate de la gestion du changement dans le secteur minier sera fonction de la main-d’œuvre d’une société, qui devra comprendre la raison pour laquelle le changement est nécessaire, même si toutes et tous ne sont pas encore totalement prêts à faire ces changements.
« Si l’équipe de direction fournit un dossier de décision pour le changement, l’équipe de direction et de supervision communique les informations techniques au personnel et l’encadre durant les changements », indiquait-il. « Il s’agit de s’assurer que chaque individu est pris en compte et que personne n’est laissé de côté. »
La gestion du changement ne faisant pas partie des compétences des dirigeants et dirigeantes, M. McCarthy indiquait qu’il est impératif que des personnes sur place « facilitent, forment et encadrent l’organisation durant la période de changement », qu’il s’agisse du personnel interne ou de conseillers et conseillères désignés à cet effet. Lorsque la gestion du changement fonctionne bien, les personnes impactées par le changement sont accompagnées tout au long du processus de manière à s’assurer qu’elles sont favorables au changement et qu’elles développent les connaissances et les compétences nécessaires pendant et après le changement, tout en minimisant la résistance.
Les dirigeantes et dirigeants de sociétés doivent aussi être conscients que la résistance au changement est inévitable et peut être particulièrement difficile dans le secteur minier, ajoutait M. McCarthy. « Les personnes qui conduisent des camions et actionnent des pelles depuis le début de leur carrière, ainsi que celles à des postes de direction qui sont à cinq ans de la retraite, pourraient ne pas désirer apprendre quelque chose de radicalement différent », indiquait-il. « C’est le vieil adage qui revient à se demander ce que cela peut nous apporter. »
Dans le cas de la méthode de concassage et de transport dans la fosse minière (IPCC, de l’anglais in-pit crushing and conveying), qui a le potentiel de réduire la demande en matière de parc de véhicules de transport, M. McCarthy indiquait plusieurs exemples où la technologie n’avait pas permis de répondre à l’objectif visé. « On amène cette technologie dans une mine qui, depuis des décennies, conduit des camions. Désormais, le personnel doit apprendre à travailler avec des convoyeurs rigides », expliquait-il.
Le résultat dans ces exploitations est que les IPCC, qui étaient censés pouvoir être déplacés dans tout le site minier, sont désormais installés de manière fixe comme des broyeurs permanents. « Les avantages de l’IPCC sont relativement simples à voir. Pourtant, l’adoption de cette technologie est loin d’être satisfaisante », faisait-il remarquer.
En fin de compte, indiquait M. McCarthy, les sociétés qui commencent à utiliser une nouvelle technologie sans y réfléchir sérieusement et sans en parler à leurs équipes rencontreront des problèmes. « Vous provoquerez une certaine résistance, ce qui ralentira votre mise en œuvre et des personnes compétentes quitteront la société, ce qui aura des conséquences négatives », ajoutait-il.
Faire des changements qui durent
Parfois, lorsqu’il est question de transformations numériques, il est préférable de commencer petit. Dans le cas du problème d’adoption de l’iPhone par son client, PACE a aidé à identifier le groupe le plus disposé à accepter le changement et s’est concentré sur ce groupe dans un premier temps. « Plutôt que d’inciter tout le personnel de la mine à utiliser l’iPhone, nous avons trouvé quelques personnes qui étaient d’accord pour l’utiliser sur un de leurs postes. Cela a convaincu le reste des [personnes du même poste], qui ont compris que cela leur faisait gagner du temps », indiquait M. Stubina. « Nous avons ensuite développé cette utilisation, un poste à la fois. Et le résultat a été positif. »
La gestion du changement était un thème très cher à la société de recherche Zero Nexus, en Ontario, qui a exploré plus en détail le lancement de son projet Electric Vehicle in Mining Operations (EVMO) en mai 2024, soutenu par New Gold, Mines Agnico Eagle, la Sudbury Integrated Nickel Operations, une société Glencore, et le groupe CanmetMINES de Ressources naturelles Canada.
PACE Global recommande que les transformations numériques sur les sites miniers disposent de leurs propres ensembles de politiques et processus. Avec l’aimable autorisation de PACE Global
« L’introduction des véhicules électriques amène des changements dans l’environnement de production et de la maintenance, et nous souhaitions comprendre comment la gèrent différentes parties prenantes sur un site [minier] », indiquait Edward Fagan, associé partenaire à Zero Nexus.
Lors de visites dans des sites qui utilisent des véhicules électriques à batterie (VÉB), d’entretiens auprès de personnes de divers départements et de recherches d’information sur les difficultés rencontrées dans l’adoption de ces véhicules, il indiquait que l’objectif était de sensibiliser et de partager les apprentissages afin d’accélérer systématiquement les processus de gestion du changement.
Dans un exemple, M. Fagan citait un problème avec l’équipe de production à la mine de New Afton de New gold en Colombie-Britannique, concernant la manière d’améliorer la performance durant la permutation des batteries et la disponibilité globale de l’équipement de chargement. L’équipe a investi dans l’embauche de personnes préposées à la section batteries, responsables de la gestion du processus de permutation des batteries. En laissant les conducteurs et conductrices dans leur camion plutôt que de les envoyer changer les batteries, le temps nécessaire pour le processus de permutation des batteries est réduit d’au moins un tiers. Ceci permet d’effectuer trois ou quatre charges supplémentaires par poste de 11 heures, et justifie facilement l’investissement de la mine dans cette nouvelle fonction. « Ce nouveau poste a été créé afin de répondre aux besoins de la technologie. Il a permis une amélioration en termes d’efficacité et de productivité pour le système dans son ensemble », déclarait M. Fagan.
Un autre exemple de gestion efficace du changement liée au projet EVMO concerne le développement d’une main-d’œuvre d’électriciens et électriciennes et de spécialistes en machinerie lourde détenteurs d’un double certificat de qualification, qui pourraient tenir lieu d’équipe d’intervention immédiate pendant la résolution des problèmes sur le véhicule. New Gold a puisé cette idée dans la stratégie employée par les fabricants de VÉB, qui prévoit l’embauche de techniciennes et techniciens détenteurs d’un double certificat de qualification pour entretenir l’équipement dans le cadre de contrats de service. L’idée était de permettre une distribution plus efficace des activités d’entretien et de réparation par rapport aux groupes électriques et mécaniques traditionnels, surtout parce que le diagnostic des problèmes sur les VÉB est plus complexe que sur l’équipement classique fonctionnant au diesel.
Actuellement, trois mécaniciens et mécaniciennes sont formés en tant qu’électriciens et électriciennes (et vice versa) sur quatre années, dans le cadre d’une première cohorte de six formations en apprentissage pour obtenir un double certificat de qualification à l’université de Thompson Rivers à Kamloops, en Colombie-Britannique (C.-B.). « Ces individus hautement qualifiés connaîtront en détail les aspects mécaniques et électriques de l’équipement », indiquait M. Fagan. « Les avantages déjà constatés sont que ces techniciens et techniciennes peuvent identifier des problèmes dès leur apparition et les mentionner au reste de l’équipe de maintenance afin qu’ils soient pris en charge. »
Durant ses recherches pour le projet EVMO, M. Fagan déclarait qu’il était intéressant de voir New Gold se plonger dans ses problèmes et se développer en parallèle à l’adoption de ces technologies. « Une grande partie de la mise en œuvre des stratégies reposait sur les réactions et les retours du personnel », indiquait-il. « La haute direction encourageait ce changement en créant des champions et championnes du changement à plusieurs niveaux de l’organisation, afin d’absorber ces retours et de s’assurer que les personnes sur le terrain disposent des ressources dont elles ont besoin. »
Les avantages de l’expertise extérieure
En aidant les sociétés minières à mettre en œuvre des stratégies de gestion du changement, il est essentiel de comprendre dans un premier temps ce à quoi l’exploitation essaie de parvenir et les obstacles l’empêchant d’atteindre certains objectifs, expliquait Gary Ralph, conseiller régional en exploitation minière au département des solutions numériques d’Epiroc, dont le siège canadien se trouve à Mississauga, en Ontario, et qui propose des solutions pour la transformation numérique des secteurs des mines et de la construction.
« Nous appelons cela une évaluation rapide de la valeur lorsque l’on passe une ou deux semaines sur le site, puis deux ou trois semaines supplémentaires à faire notre analyse en arrière-plan », indiquait-il. « C’est en réalité la première étape dans le processus de gestion du changement que nous utilisons, car nous parlons aux clients de leurs besoins immédiats, et ils peuvent immédiatement comprendre ce que nous leur proposons. »
Pour minimiser la perturbation, M. Ralph et son équipe recommanderont souvent une démonstration du bien-fondé de la conception ou un projet pilote dans une zone représentative du site minier pour utiliser la technologie initialement là où elle présenterait la plus grande valeur. Lors de la présentation d’un nouvel outil ou d’une nouvelle technologie, les sociétés doivent réévaluer leur processus opérationnel et les ressources humaines en termes de formation et d’aptitude. Ainsi, un essai offre une manière plus accessible de le faire.
Il évoquait la mise en œuvre récente d’une technologie de plusieurs millions de dollars pour un client canadien du secteur minier dans plusieurs de ses exploitations. Epiroc l’a initialement mise en œuvre dans une seule exploitation, ce qui, selon M. Ralph, a constitué une grande courbe d’apprentissage pour tout le monde.
Toutefois, c’est en traversant le processus d’apprentissage et en procédant au fur et à mesure à des ajustements suggérés par M. Ralph et son équipe que la mise en œuvre par la société a été un succès dans tous ses sites. « Grâce à des améliorations au niveau des performances opérationnelles tout au long du processus, la société a pu amortir son investissement avant même que nous arrivions sur le site final pour la mise en œuvre », déclarait-il.
Les histoires à succès de gestion du changement montrent qu’il est primordial pour une utilisation optimale de la technologie de renforcer la confiance, de communiquer la valeur et d’impliquer le personnel à tous les niveaux. Après tout, lorsque la gestion du changement est faite dans les règles de l’art, elle permet de faciliter l’adoption réussie des nouvelles technologies. Cela permet de constituer une main-d’œuvre plus agile et à l’aise avec les avancées numériques, mieux équipée pour gérer les changements alimentés par la technologie, qui pointent inévitablement à l’horizon.
Traduit par Karen Rolland
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