Sécurité au travail dans le Nord propose un outil d’audit et d’évaluation du climat de sécurité, qui examine l’interaction de la culture de la santé et de la sécurité et des systèmes de gestion. Avec l’aimable autorisation de Sécurité au travail dans le Nord

La bonne nouvelle est que le nombre de blessures enregistrées dans l’industrie minière a considérablement baissé ces dix dernières années. La mauvaise nouvelle est que, pour la deuxième année consécutive, les accidents mortels ont augmenté parmi les sociétés membres de l’International Council on Mining and Metals (ICMM, le conseil international des mines et métaux), un organe industriel international. L’organisation indiquait que 42 mineurs et mineuses ont perdu la vie au travail en 2024, contre 36 en 2023 et 33 en 2022. Rien qu’en juillet dernier, six mineurs et mineuses ont perdu la vie à la mine de cuivre souterraine d’El Teniente de Codelco au Chili en raison de l’effondrement d’un tunnel après un séisme de magnitude 4,2 qui pourrait avoir résulté des activités minières.

D’après Gordon Winkel, président et professeur spécialisé dans l’industrie à la faculté de génie de l’université d’Alberta, les mesures de sauvegarde, les contrôles et les obstacles visant à protéger le personnel sont peu efficaces s’ils ne sont pas mis en œuvre de manière efficace. « Il est triste de constater que la plupart des accidents mortels de 2024 se sont produits en raison de contrôles qui ne fonctionnaient pas ou qui n’ont pas été exécutés comme prévu », déclarait-il.

Il évoquait quatre facteurs principaux qui continuent de contribuer aux accidents mortels dans l’industrie minière, à savoir l’interaction humaine avec l’équipement mobile, l’éboulement de terrain, le travail en hauteur et la chute d’objets. « Imaginez, si nous pouvions renforcer notre attention dans ces quatre domaines, la moitié des tragédies rencontrées ne se produiraient pas », indiquait-il.

Comme l’expliquait M. Winkel, si les avancées technologiques associées aux contrôles et aux procédures techniques continuent de renforcer la sécurité des environnements miniers, les experts et expertes s’accordent à dire qu’ils ne constituent qu’une partie de la solution. L’autre facteur important consiste à promouvoir une culture de la sécurité solide sur le lieu de travail. De fait, beaucoup pensent que c’est la force de la culture de la sécurité d’une organisation (les valeurs partagées, les comportements et les attitudes qui façonnent la manière dont les personnes abordent la sécurité, le risque et la conformité au travail) qui ouvrira la voie, en définitive, à un avenir sans accident mortel dans l’industrie minière.

Dana Cartwright, cadre dirigeante de l’innovation à l’ICMM, indiquait que plus qu’un quart des accidents mortels dans le secteur minier chez ses membres en 2024 étaient liés au non-respect des règles et procédures établies. Pourtant, un seul des accidents mortels enregistrés mentionnait officiellement la « culture de la sécurité » comme facteur contributif. « Ceci suggère que les problèmes culturels plus ancrés entraînant un comportement risqué, un non-respect des règles ou des défaillances dans la discipline ne sont pas reconnus dans les enquêtes sur les accidents », déclarait-elle.

Une analyse à long terme plus poussée de l’ICMM a également montré que les prestataires de services extérieurs sont plus susceptibles d’être impliqués dans un accident mortel que les membres du personnel. Ceci suggère qu’ils pourraient ne pas bénéficier du même niveau d’intégration sur le site ou de formation à la sécurité que les membres du personnel permanents. Mme Cartwright indiquait que les contrôles essentiels sont moins souvent vérifiés dans les travaux menés par des prestataires extérieurs, surtout lorsque la faute involontaire est fragmentée ou la responsabilité pour les contrôles n’est pas claire entre les propriétaires du site et les superviseurs tiers.

La culture promeut la sécurité

Le potentiel des nouvelles technologies à considérablement améliorer la sécurité dans les environnements miniers se montre déjà très prometteur, qu’il s’agisse du contrôle de la fatigue en temps réel, des systèmes d’évitement des collisions ou de l’équipement autonome qui éloigne les travailleurs des environnements à haut risque. L’initiative Innovation for Cleaner, Safer Vehicles (L’innovation au service de véhicules plus propres et plus sûrs) de l’ICMM réunit ses membres et certains des plus grands fabricants au monde afin d’accélérer la création d’une nouvelle génération de véhicules miniers et d’améliorer ceux existants.

Pourtant, Mme Cartwright indiquait que la difficulté résiderait dans l’intégration de la sécurité dans la conception même de ces solutions technologiques, puis leur association avec une culture de l’esprit d’initiative, de l’apprentissage et de l’attention. « L’état d’esprit et le comportement sont tout aussi importants que les systèmes et les critères d’évaluation », déclarait-elle. « Si les nouvelles technologies offrent de grands avantages, elles s’accompagnent aussi de nouveaux risques que nous devons bien comprendre avant de les utiliser. »

Lorsque l’on commence à s’en remettre à la technologie pour les mesures de sauvegarde, un risque de baisse de la vigilance apparaît, déclarait Mike Parent, président et directeur général de Sécurité au travail dans le Nord. « Nous avons constaté que les opératrices et les opérateurs se déplaçaient plus vite sur les plans inclinés car ils pensaient que la technologie les préviendrait si un autre véhicule ou une autre personne se trouvait à proximité », indiquait-il.

Il évoquait un accident qui s’était produit à la mine. Au moment où l’opérateur ou l’opératrice avait été alerté·e par la technologie, ils n’avaient pas eu le temps de freiner et une collision s’était produite. « Personne n’a été blessé, mais cet événement constituait un bon enseignement sur ce qu’il peut se produire lorsque l’on s’en remet trop à la technologie », indiquait-il.

M. Parent, qui a l’expérience du travail dans les mines souterraines, indiquait que la participation du personnel de la mine à tous les niveaux d’une organisation dans le processus de mise en œuvre des nouvelles technologies axées sur la sécurité est essentielle pour renforcer « l’appui » global et s’assurer que les contrôles sont efficaces. Il expliquait que le Climate Audit and Assessment Tool (CAAT, l’outil d’audit et d’évaluation du climat de sécurité), proposé par Sécurité au travail dans le Nord, est un bon moyen pour les organisations de savoir si la mise en œuvre des politiques et des procédures de sécurité basées sur la culture du lieu de travail comporte des lacunes.

« Nous avons réalisé un certain nombre d’évaluations en Ontario et dans d’autres régions, et nous avons trouvé une corrélation entre la meilleure performance en matière de santé et sécurité et un audit solide du climat de sécurité », indiquait-il. « On peut voir une ligne fine entre ce que la haute direction, la direction intermédiaire, les équipes de supervision de première ligne et les membres du personnel attendaient et ce qu’ils comprenaient. »

Outre l’engagement vis-à-vis de la sécurité au sein de la direction de la société, M. Parent indiquait que les données de l’audit montrent que la participation du personnel et le travail collectif pour identifier et atténuer les risques s’avèrent très efficaces. « Si un membre du personnel participe aux décisions quant à certains contrôles et à la raison pour laquelle ils sont en place, la probabilité de conformité est bien plus élevée », déclarait-il. En fin de compte, il s’agit de créer un environnement où chaque membre du personnel, des opérateurs et opératrices de camions de transport à l’équipe de direction de la mine, se sent à l’aise pour parler, arrêter les activités dangereuses et prendre la responsabilité de leur sécurité et de celles de leurs collègues.

En s’efforçant de réduire les accidents mortels dans le secteur minier, Jon Treen, président de la société de conseil Automate Mining insistait sur l’importance de trouver le bon équilibre dans la manière dont sont attribuées les ressources afin d’éviter les blessures graves et les accidents mortels. S’il est important de s’intéresser aux blessures et aux accidents évités de justesse, et de s’assurer que l’objectif final est d’éliminer les accidents au travail, M. Treen indiquait qu’il est primordial de cibler les efforts sur les blessures graves et les accidents mortels.

« C’est comme le triage dans un contexte hospitalier, où la plupart des efforts ciblent les cas les plus graves », expliquait-il. « Il faut aussi un certain degré de compassion et d’attention de la part de la direction pour toutes les blessures, même si l’on n’attribue pas la même importance à deux accidents. »

M. Treen considère que la technologie est primordiale pour renforcer la culture de la sécurité en donnant aux membres du personnel un accès instantané aux politiques et aux procédures de sécurité. « Les organisations arrivent au point où chaque individu au travail équipé d’une tablette ou d’un portable peut disposer de chaque procédure sur le bout des doigts ». Il ajoutait que la prochaine étape consisterait à s’assurer que ces personnes ont accès aux vidéos qui montrent comment travailler en toute sécurité dans tous les cas de figure.

En faisant participer les opératrices et les opérateurs afin de déterminer le meilleur moyen d’exécuter les procédures, puis en partageant ces pratiques dans l’organisation au travers de la technologie, les employeurs peuvent s’assurer, selon lui, que « tout le monde est sur la même longueur d’onde » lorsqu’il est question de pratiques professionnelles sûres. « Même si chaque personne lit et retient une procédure, elle n’aura pas la même image en tête quant à ce qu’elle lit. C’est là que la technologie est utile. »

Un effort collectif

Outre l’amélioration de la communication liée à la sécurité et la divulgation des blessures graves et des accidents mortels au sein des organisations, la collaboration et la transparence sur les questions de sécurité dans l’industrie sont primordiales. À cette fin, la société de la santé et de la sécurité de l’ICM (HSS), en conjonction avec le CIM Magazine, a organisé plusieurs séminaires Web axés sur la prévention des blessures graves et des accidents mortels. La société a aussi créé un groupe de travail de prévention des blessures graves et des accidents mortels qui collaborera avec l’industrie afin de développer une base de données canadienne des blessures graves et des accidents mortels au cours des deux années à venir, à laquelle les sociétés auront accès et pourront contribuer.

John Doyle, associé directeur du SolutionStream Performance Improvement Group, est conseiller en matière de stratégie, d’esprit d’initiative et de culture de l’organisation ces 25 dernières années, et il siège au groupe de travail avec MM. Treen et Winkel. Selon lui, la base de données sera un lieu permettant à toutes les sociétés minières du Canada de citer les incidents menant à des blessures graves et des accidents mortels, de collaborer et de partager des enseignements de manière opportune afin de mieux prévenir les accidents mortels et les blessures graves dans le secteur minier.

« Actuellement, chaque province a ses propres normes, statistiques et structure de communication, et il n’est nulle part possible de réunir toutes les informations », déplorait-il. « Lors d’un accident mortel, nous en parlons souvent sans véritablement savoir ce qu’il s’est passé. En tirant des enseignements de ces accidents, nous serons à même d’observer les situations qui nous concernent et de voir si une situation similaire se produit ailleurs. »

Les progrès réalisés ses 25 dernières années dans le secteur minier pour considérablement réduire les blessures sont immenses. Toutefois, l’industrie est arrivée à un « point mort » du côté des blessures graves et des accidents mortels, indiquait M. Doyle. L’enjeu reste de totalement comprendre comment changer cela. « La question est de créer un état d’esprit axé sur l’élimination des accidents mortels, et une conviction à tous les niveaux de l’exploitation selon laquelle on ne risque pas de perdre des personnes ou de les renvoyer chez elles amoindries en raison de blessures graves », ajoutait-il.

Même avec d’excellentes mesures de sécurité en place, M. Doyle expliquait que les organisations doivent comprendre qu’une culture de la sécurité ne se développe pas du jour au lendemain. Elle requiert de la cohérence, des responsables visibles à tous les niveaux ayant la volonté d’écouter, et du personnel qui se sent en confiance pour s’exprimer et agir. « Certaines exploitations minières sont déjà sur la bonne voie, car leur direction est inspirée et comprend le rôle important de l’esprit d’initiative. D’autres, en revanche, ont encore beaucoup à faire avant d’y arriver », expliquait-il.

Comme le faisait remarquer Mme Cartwright de l’ICMM, l’esprit d’initiative est encore essentiel pour faire de l’aspiration à la culture de la sécurité une réalité. « Lorsque les responsables présentent de manière cohérente des comportements sûrs, donnent la possibilité à leur personnel de s’exprimer quant aux risques, et mettent en corrélation la prise de décision et la sensibilisation aux risques, la sécurité devient résiliente et partie intégrante des activités quotidiennes, même dans un contexte où la technologie, les processus et les risques évoluent », concluait-elle.

Traduit par Karen Rolland