Des travailleurs reçoivent un microapprentissage pendant le projet pilote. Avec l’aimable autorisation de Training Works

Il y a une dizaine d’années, Tamara Vatcher, directrice générale de la société de techniques pédagogiques Training Works, a visité l’exploitation aurifère de Point Rousse de Signal Gold, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Les employés avec qui elle s’est entretenue lui ont fait part de leur enthousiasme vis-à-vis de l’apprentissage par l’intermédiaire de méthodes simples et pratiques telles que des didacticiels sur YouTube, qui leur permettait de mettre en application leurs apprentissages immédiatement. Ils appréciaient l’apprentissage au travail dans l’industrie minière et souhaitaient voir davantage de formations directement menées sur le terrain, au moment et dans des domaines où cela était nécessaire.

Mme Vatcher a fait part de ces retours à Allan Cramm, vice-président de l’innovation de Signal Gold à l’époque, mettant en avant l’idée d’un modèle de microapprentissage pour la formation.

Les sites miniers fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ainsi, former des travailleurs de première ligne de manière cohérente peut s’avérer complexe en raison de leur programme. Une partie de l’apprentissage dans la salle de classe est perdue avant qu’il ne se transforme en comportement. C’était le principe fondamental au cœur d’un projet de recherche récent de deux ans sur l’application du microapprentissage (déjà bien établi dans le secteur de la construction) pour contribuer à la formation de la main-d'œuvre dans l’industrie minière.

Le projet était dirigé par Training Works de Mme Vatcher, en partenariat avec le conseil des ressources humaines de l’industrie minière (RHiM), Mines Agnico Eagle et Signal Gold (auparavant Anaconda Mining). Les résultats ont été publiés en mai 2024.

Microapprentissage

Comme l’expliquait Dana Imbeault, directrice principale du développement des compétences au RHiM, on entend par microapprentissage de petites vagues d’apprentissage (généralement de moins de sept minutes) pour apprendre de nouvelles qualifications et compétences, pour renforcer des qualifications existantes, ou pour former la main-d'œuvre à de nouvelles qualifications ou relever le niveau de ses qualifications dans un environnement flexible, souvent sans que cette dernière n’ait à quitter son lieu de travail pendant des jours ou des semaines.

« C’est très important pour l’industrie minière, car le public pour le microapprentissage concerne des travailleurs du domaine de la production et de l’exploitation présents sur le terrain. Si vous les retirez de leur environnement (de leurs postes), la productivité baisse », indiquait-elle. « C’est difficile pour ces employés de s’absenter de leur travail quotidien. »

Le modèle de formation de microapprentissage a été piloté et évalué dans deux exploitations minières : l’exploitation de Point Rousse, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, et l’usine de traitement de la mine de Meliadine d’Agnico Eagle, au Nunavut. L’étude de Training Works a commencé en 2021 par une évaluation précédant la formation sur les deux sites, avec l’aide de Skilltinuous, un outil d’évaluation basé sur les compétences. La formation a ensuite été créée et dispensée sur une période de six mois, début 2022. Enfin, une évaluation a été menée après la formation pour identifier le changement relatif aux niveaux de qualification des travailleurs dans les deux sites.

À la mine de Meliadine, 95 employés ont commencé la formation. Le rapport indiquait qu’il y avait moins de participants à Point Rousse en raison de la fermeture annoncée en 2022, au moment où la formation était mise en œuvre.

Le programme de formation en microapprentissage proposé sur les deux sites s’articulait autour de 10 modules portant sur des compétences diverses en matière de sécurité et de communication, à savoir l’écoute active, la pleine conscience, la gestion de la charge de travail, la prise de décision, la vigilance, l’enquête efficace, la communication en boucle fermée, l’assertivité, la promotion du travail d’équipe et l’accompagnement professionnel.

Les modules étaient proposés sous la forme de vidéos, de balados, d’infographies et de guides pratiques. Les travailleurs pouvaient effectuer les modules sur leurs propres ordinateurs, dispositifs mobiles ou télévisions intelligentes. Des groupes de discussion dirigés étaient dédiés aux modules pendant les réunions de préquart.

Avant que l’étude ne commence, l’équipe de projet de Training Works a analysé des incidents et des accidents sur le site afin de s’assurer que la formation créée répondait aux besoins de chacun des sites. Mme Vatcher expliquait qu’avec Agnico Eagle, l’équipe s’était entretenue avec les employés et les suivait. Elle comparait leurs qualifications par l’intermédiaire de Skilltinuous avant qu’ils ne prennent part au programme de microapprentissage.

« Nombre des choses que nous avons faites dans ce projet venaient des travailleurs de première ligne », indiquait Mme Vatcher. « Nous étions à l’écoute de leurs désirs d’apprentissage et cherchions à optimiser leur apprentissage. Nous avons collaboré avec Agnico Eagle et Signal Gold pour créer cette formation. Nous cherchons à évaluer ce que les apprenants savent déjà, afin que la formation ne serve qu’à couvrir les besoins d’apprentissage, plutôt que d’être une formation plus générale dans tous les domaines. »

Après avoir terminé tous les modules de microapprentissage, les employés de Meliadine et de Point Rousse ont pu obtenir une micro-accréditation reconnue en communication et sécurité délivrée par le RHiM. Mme Imbeault indiquait que l’un des principaux rôles du RHiM dans l’étude était de fournir ses normes professionnelles nationales, qui établissent des références quant aux qualifications nécessaires pour travailler dans l’industrie minière et informent les objectifs d’apprentissage de la formation en microapprentissage.

« Il est à souhaiter que l’obtention d’une micro-accréditation du RHiM donne de la valeur et de l’importance à ces individus », indiquait-elle. « Le microapprentissage développé renforçait réellement nombre des qualifications en matière de sécurité et de communication, qui sont essentielles dans l’industrie minière. »

Au total, 68 employés de Meliadine et 69 de Point Rousse ont obtenu une micro-accréditation du RHiM pour l’exécution des 10 modules. En moyenne, les employés d’Agnico Eagle ont consacré au microapprentissage 13,5 minutes par jour sur 90 jours ouvrés. Pour la société, cela représentait plus de 1 000 heures de formation.

Un effort collectif

À Agnico Eagle, les supports de formation ont été proposés tous les deux jours aux travailleurs pendant les réunions de préquart par les chefs d’équipe, qualifiés de « tuteurs » dans l’étude. Comme l’expliquait Mme Vatcher, Training Works prévoyait initialement de permettre aux employés de consulter le support pédagogique individuellement. Le format a toutefois été progressivement adapté afin de permettre aux tuteurs de dispenser la formation aux travailleurs en groupe avant leur quart de travail, car c’est ce qu’ils souhaitaient. Le mentorat de pair à pair créé par ce mode d’exécution était précieux, ajoutait-elle.

Benoît Massicotte, directeur de la santé et la sécurité pour les exploitations canadiennes d’Agnico Eagle, retient avant tout de cette étude l’importance des conversations spontanées entre les travailleurs, rendues possibles par ces réunions.

« Nous avons assisté à des partages entre personnes dans la pièce [quant] à leurs expériences passées. Pour les nouveaux employés, c’est très puissant », indiquait-il. « Le bénéfice est indéniable si quelqu’un ayant une grande expérience peut inculquer un comportement approprié à un nouveau public. »

Mme Vatcher insistait sur le fait que, par rapport à l’apprentissage en salle de classe ou en ligne, le microapprentissage vise à activement encourager de bonnes pratiques comportementales concernant la sécurité et la communication.

« Les connaissances sont une chose. La formation est recommandée, et terriblement importante », déclarait-elle. « Mais absorber ces connaissances et les transformer en comportement, c’en est une autre. »

D’après le rapport de recherche final, le projet pilote de microapprentissage a été fructueux à plusieurs niveaux. Sur les deux sites, il a permis d’améliorer 10 qualifications en matière de sécurité reposant sur le comportement chez les employés. Le microapprentissage a aussi aidé les travailleurs à préserver la sécurité en tête de leurs priorités durant leurs quarts de travail. En outre, il a facilité le dialogue et la collaboration entre les employés et les tuteurs pendant les sessions de formation et pendant la journée de travail.

Plus concrètement, le microapprentissage a contribué à réduire le nombre d’incidents liés à la sécurité dans l’usine de traitement de Meliadine, qui ont diminué de 46 % en glissement annuel entre 2021 et 2022.

« Quelques initiatives avaient lieu simultanément. [Il est] difficile de savoir si seul le microapprentissage [a impacté le nombre d’incidents], mais il faisait indéniablement partie de cette réussite », déclarait M. Massicotte. « Le retour [des employés] était positif. L’aspect le plus positif pour moi était réellement d’entendre les employés parler de sécurité à la réunion du matin. »

Défis

Malgré les réussites du projet pilote, le rapport mettait en avant les diverses difficultés rencontrées durant l’étude. Les limitations au niveau de la largeur de bande et le manque d’alphabétisation numérique rendaient difficile l’utilisation de certains outils de la formation pour les travailleurs. Le rapport recommandait que l’information et les instructions soient communiquées en amont et que, plutôt que des guides en version imprimée, des vidéos d’instruction sur la manière d’utiliser les technologies d’apprentissage soient mises à la disposition des travailleurs dans le contexte de la formation.

Par ailleurs, les tuteurs sur le terrain indiquaient qu’ils avaient besoin de plus de soutien pour proposer une formation en microapprentissage aux employés. Certains tuteurs indiquaient être nerveux et peu sûrs d’eux concernant la présentation de nouveaux thèmes chaque jour. Pour soulager ce sentiment d’incertitude, le rapport indiquait que l’équipe de projet avait publié un manuel d’accompagnement professionnel garantissant que les méthodes des tuteurs s’alignent sur les objectifs du microapprentissage.

L’une des plus grandes difficultés qu’a rencontrées M. Massicotte pour l’exécution des modules de microapprentissage était de toujours assurer la disponibilité d’une personne responsable du projet. De fait, les mouvements du personnel à l’usine de Meliadine sont fréquents en raison du calendrier de travail courant des 14 jours de travail, 14 jours de repos.

« Il est difficile de constamment avoir une personne engagée et dédiée connaissant et comprenant le projet », indiquait-il. « L’autre difficulté est de garder le projet en vie avec l’équipe de direction. »

Mme Vatcher était d’accord avec M. Massicotte concernant l’importance du leadership. « Pour aller de l’avant, les technologies d’apprentissage sont essentielles à l’apprentissage sur le lieu de travail. Ce sont toutefois les personnes qui sont à l’origine de son succès », indiquait-elle. « C’est ce leadership qui est décisif dans un projet. »

M. Massicotte considérait le projet comme une réussite à l’usine de traitement de Meliadine. Il indiquait qu’Agnico Eagle poursuivra sa collaboration avec Training Works et le RHiM dans une deuxième phase du projet, où le microapprentissage sera exécuté sur le site de Meliadine et pourra s’étendre à d’autres sites d’Agnico Eagle. M. Massicotte indiquait que la nouvelle phase du projet sera associée au programme de leadership d’Agnico Eagle.

Et maintenant ?

Le RHiM est en train de mettre en place d’autres programmes de microapprentissage pour ses clients, expliquait Mme Imbeault. Le premier programme s’articulera autour de la formation fondamentale, qui consiste en des procédures relatives à la sécurité, au travail d’équipe et aux situations d’urgence, et même aux questions « de bonne organisation ». Le deuxième sera orienté sur la formation des travailleurs pour qu’ils deviennent superviseurs de première ligne.

« Ce qu’il se passe souvent, c’est que les superviseurs de première ligne sont d’excellents opérateurs, et ils sont propulsés au poste de superviseur de première ligne sans avoir la moindre formation », déplorait Mme Imbeault. « Présenter à certains d’entre eux des qualifications spécifiques aux superviseurs de première ligne en petits fragments d’apprentissage est une excellente manière de commencer à améliorer leurs compétences. »

Training Works travaille aussi sur la mise en œuvre du microapprentissage dans différents secteurs, notamment le transport maritime et la fabrication. Trois programmes axés sur la fabrication sont en cours de conception, deux sur la sécurité, et un sur les compétences techniques.

En outre, un projet est en cours d’élaboration entre Training Works et l’Excellence in Manufacturing Consortium (EMC, le Consortium pour l’excellence manufacturière) en Ontario. « Nous menons un projet pilote avec eux sur ce même modèle », indiquait Mme Vatcher. « Il est fondé sur les enseignements que nous avons tirés au cours du processus, mais nous commençons à appliquer ce modèle à d’autres industries. »

Lorsque Mme Vatcher a commencé à travailler sur le projet pour proposer le microapprentissage aux employés miniers il y a 10 ans, le concept de microapprentissage était très peu connu. Toutefois, elle est convaincue que d’autres industries devraient prêter attention aux résultats concluants de cette étude.

« Le microapprentissage est un outil efficace, surtout pour les qualifications en matière de santé et de sécurité », indiquait-elle. « C’est une [manière] très simple de rappeler aux travailleurs les comportements requis pour travailler dans des conditions de sécurité. »

Mme Imbeault était du même avis que Mme Vatcher et indiquait que les situations de travail de certains secteurs ne diffèrent que peu de celles vécues à Point Rousse et Meliadine.

« D’autres secteurs sont très similaires en nature, dans le sens où leur main-d’œuvre est très physique. Le personnel n’est pas assis à un bureau, c’est pourquoi la formation est difficile », expliquait-elle. « Je pense aussi que nous devons examiner plus attentivement le concept de petites vagues d’apprentissage. Nous devons changer notre manière de développer les qualifications, et la technologie est là pour nous accompagner. »

Traduit par Karen Rolland