Yerupaj, une montagne des Andes péruviennes. Thom95/Wikimedia
Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet que peuvent avoir des galeries de mines sombres et tentaculaires sur les mineurs superstitieux. Au cœur de la chaîne de montagnes des Andes – qui s’étend sur plusieurs pays de l’Amérique du Sud – une histoire tirée du folklore s’est transmise de génération en génération, faisant son propre chemin. Il semblerait que le mystérieux Muki, une petite créature semblable à un lutin vêtu d’une tenue de mineur, erre dans les sous-sols et tunnels des mines souterraines de la région.
Les légendes du Muki se sont communiquées de façon uniforme au fil des ans dans les camps miniers isolés depuis le nord, en Colombie, jusqu’au sud, en Bolivie, en passant par les Andes péruviennes. Toutefois, son nom varie d’une région à l’autre – les gens de la région de Moquegua, au sud du Pérou, parlent d’un chinchiliku et ceux de la région de Cajamarca, au nord, l’appellent le jusshi. Le mot muki provient de la langue quechua des groupes ethniques autochtones de l’Amérique du Sud.
Selon la tradition orale, le Muki ne mesure pas plus de deux pieds de haut, et pourtant, il est démesurément musclé et doté d’une voix grave. Sa peau, dit-on, est d’une pâleur fantomatique et ses longs cheveux blonds encadrent ses yeux éblouissants, qui reflètent la lumière, tout comme les métaux des mines qu’il habite. Le Muki porte la tenue traditionnelle des mineurs, qui varie d’une époque à l’autre : selon la légende, il errait dans l’obscurité en portant un poncho, lanterne en main, mais aujourd’hui, il préfère les vêtements modernes du mineur, notamment les bottes et la lampe de poche. On dit qu’il a des pieds si grands qu’ils sont anormaux, ce qui lui donne une étrange démarche en canard.
Bien que la description du Muki et la croyance qu’on en a correspondent au folklore andin relatif aux créatures et aux démons provenant du monde souterrain, la nature et les motivations exactes du mystérieux habitant des mines sont moins connues, tout comme les origines de la légende. La plupart s’entendent pour dire que le Muki est une créature solitaire. De plus, alors que certaines légendes le présentent comme un gnome prédateur qui cherche à attaquer des enfants peu méfiants ou des mineurs isolés, de façon générale, l’existence du Muki est devenue un genre de réponse passe-partout venant expliquer les mystères souterrains. Disparition d’équipement minier? Blâmons le Muki. Bruits étranges ou mouvement dans l’obscurité? Il s’agit probablement du Muki. Certaines histoires décrivent la créature sous un jour plus positif, comme étant mystérieuse mais secourable puisqu’elle peut guider les mineurs vers de riches gisements de minerai ou les avertir en cas de dangers souterrains.
À DÉCOUVRIR : Le nouveau président péruvien Martin Vizcarra s’engage prudemment dans l’économie verte
Un thème commun dans la tradition du Muki est la tendance de la créature à conclure des ententes avec les mineurs. On dit que le Muki offre ses précieuses connaissances des mines ou convient d’apporter son aide en échange de petits luxes comme de l’alcool ou du coca. Toutefois, le Muki joue le rôle d’un filou ou d’un démon et ces ententes peuvent se retourner de façon fort fâcheuse contre les mineurs cupides et indiscrets quant à leur chance. L’une de ces histoires met en scène deux mineurs péruviens, Demetrio et Anastacio. Demetrio, un pauvre mineur qui travaille avec acharnement, remarque que ses feuilles de coca disparaissent mystérieusement et, un jour, il décide de se cacher et d’attendre que le voleur se présente. Bien sûr, le voleur est le Muki, une découverte terrifiante pour Demetrio. Cependant, le Muki promet d’aider Demetrio au travail en échange de plus de coca, à condition qu’il ne parle à personne de leur entente. Demetrio accepte avec plaisir et son équipement rouillé est immédiatement remis en état et devient étincelant. Au cours des semaines suivantes, Demetrio devient de plus en plus riche, tout comme son compagnon, Anastacio, qui se vante auprès de Demetrio d’avoir rencontré le Muki. Demetrio, se rappelant l’entente qu’il a conclue, ne dit mot et continue de travailler d’arrache-pied, se servant de sa nouvelle fortune pour aider sa famille et acheter une nouvelle maison. De leur côté, Anastacio et d’autres mineurs qui ont eux aussi rencontré le Muki font tout le contraire, se vantant haut et fort de leur chance et dépensant sottement leur argent en articles luxueux. Quelques semaines plus tard, Demetrio rencontre de nouveau le Muki, qui l’avertit fermement qu’il doit quitter la mine et ne jamais y revenir. Demetrio suit ce conseil et, peu après, un tunnel s’effondre soudainement, tuant Anastacio et ses amis cupides.
L’explication la plus plausible – et la plus malheureuse – à l’égard de la montée et de la propagation des légendes liées au Muki est que la créature constitue une personnification des dangers et des risques auxquels les mineurs acceptent de s’exposer au travail. Le mot muki provient du mot quechua murik, qui signifie « étouffer » ou « étrangler », une allusion à la poussière et à la silice souvent mortels qui rempliraient les poumons des mineurs. Selon cette explication, les histoires de négociations et d’ententes communiquées d’un mineur à l’autre représentent les risques associés au fait de tenter de gagner sa vie en effectuant ce travail, souvent dangereux. Il s’agissait indéniablement d’un pacte avec le diable pour certains étant donné que plus ils travaillaient d’arrache-pied pour échapper à la pauvreté, plus grande était la quantité de poussière dangereuse qu’ils respiraient.