TK. Photo: D Niklas/Wikimedia Commons
Katie Goggins organise des ateliers pour les travailleurs du secteur minier afin de les sensibiliser aux risques pour la santé de l’exposition professionnelle aux vibrations. La plupart du temps, les travailleurs qui participent à ces sessions ont peu de connaissances quant aux problèmes de santé qui sont associés à ces expositions. Pourtant, lorsqu’elle termine ses présentations, elle les entend souvent dire qu’ils souffrent de tel ou tel problème.
Les risques professionnels foisonnent pour les travailleurs du secteur minier, et des normes de sécurité concrètes les ont aidés à préserver leur santé. Les problèmes de santé provoqués par les vibrations restent toutefois parmi les moins bien compris et les moins détectés.
« Les vibrations sont généralement une pensée d’après-coup », déclarait Mme Goggins, scientifique principale au Centre de recherche sur la santé et la sécurité au travail (CRSST) de l’université Laurentienne, à Sudbury.
Les experts sont toutefois unanimes : les dégâts causés par l’exposition professionnelle aux vibrations ne sont pas négligeables. Cette exposition ne se restreint pas à l’industrie minière, même s’il reste l’un des secteurs les plus à risque, surtout l’exploitation minière en roche dure. La prévention et la sensibilisation sont essentielles pour limiter les répercussions négatives de l’exposition aux vibrations. De nouveaux travaux de recherche seront indispensables pour aider les travailleurs à éviter des dommages permanents.
L’anatomie de l’exposition
Une exposition prolongée à la vibration de l’équipement ou des machines peut engendrer différents risques pour les travailleurs du secteur minier. Par exemple, celles et ceux qui, pendant leurs postes, passent de longues heures assis dans la cabine d’un véhicule seront exposés à des vibrations transmises à l’ensemble du corps (WBV, de l’anglais whole-body vibration), qui peuvent perturber la colonne vertébrale et aboutir à des troubles musculosquelettiques.
« Ces vibrations augmentent aussi la charge sur les muscles », déclarait Pierre Marcotte, chercheur en nuisances sonores et vibrations à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) de Montréal, qui a une formation en génie physique et en génie mécanique. Lors de l’exposition aux vibrations, les muscles du dos sont sollicités pour essayer de stabiliser la colonne vertébrale, expliquait-il.
Au-delà des douleurs au niveau du bas du dos (lombalgies) et du cou (cervicalgies), les vibrations transmises à l’ensemble du corps peuvent entraîner d’autres problèmes de santé, même si les preuves les concernant ne sont pas aussi clairement déterminées que celles pour les lombalgies et les cervicalgies. Ces problèmes incluent du stress, des problèmes digestifs, de l’insomnie, des maux de tête, des vertiges, le mal des transports et une réduction de la fonction cognitive.
Il existe différents types d’exposition à des vibrations segmentaires, dont les effets principaux concernent la partie du corps en contact avec l’équipement ou les machines en vibration.
Par exemple, le syndrome des vibrations (HAVS, de l’anglais hand-arm vibration syndrome) est un problème de santé associé aux dommages causés aux mains, aux bras et aux doigts, qui découle largement de la manipulation d’outils électriques portatifs. Ce type d’exposition aux vibrations fait l’objet du plus grand nombre de recherches et est parmi les mieux compris.
Les vibrations transmises par les pieds (FTV, de l’anglais Foot-transmitted vibration) sont souvent regroupées avec les études sur les vibrations transmises à l’ensemble du corps, et ne font pas nécessairement l’objet de recherches dédiées pour déterminer les effets sur les pieds et les orteils. Les travailleurs qui passent leur temps sur des plateformes vibrantes sont les plus à risque. Sur les trois types d’exposition, c’est le moins facilement reconnaissable et le moins étudié. « La recherche sur les vibrations n’en est qu’à ses balbutiements », indiquait Mme Goggins.
Les effets à plus long terme
Les effets sur la santé de l’exposition professionnelle aux vibrations ne sont pas immédiats, et les problèmes médicaux connexes progressent doucement au fil des mois, voire des années. Ainsi, M. Marcotte indiquait que les personnes ne font pas nécessairement le lien entre leurs symptômes et l’exposition aux vibrations. De nombreux problèmes de santé provoquent des symptômes semblables, aussi le diagnostic permettra d’écarter toute autre cause possible. L’intégralité des examens à effectuer prend plusieurs heures.
Lorsque la vibration est transmise aux mains, elle peut endommager les tissus mous et les petites terminaisons nerveuses dans les doigts et la paume des mains. Les dommages neurologiques peuvent provoquer un engourdissement, des fourmillements et même une diminution de la fonction motrice. Le syndrome du canal carpien peut aussi découler d’une exposition aux vibrations transmises aux mains et aux bras. Si l’exposition aux vibrations entraîne des dommages dans les muscles, les articulations et les os, la force de préhension dans les mains se dégradera.
Si les vaisseaux sanguins sont endommagés, ils peuvent provoquer des spasmes, les doigts peuvent devenir blancs lorsqu’ils sont exposés au froid, un problème qu’on appelle syndrome du doigt blanc causé par les vibrations (parfois qualifié de « syndrome de Raynaud d’origine professionnelle »). Au départ, seules les extrémités des doigts connaissent des épisodes de blanchiment. Si l’exposition se poursuit, le syndrome du doigt blanc causé par les vibrations peut progressivement toucher l’intégralité des doigts.
Les travailleurs exposés aux vibrations transmises par les pieds peuvent ressentir les mêmes symptômes dans leurs orteils. D’après Mme Goggins, les travailleurs peuvent facilement confondre le blanchiment et l’engourdissement ressentis dans les orteils avec des engelures et ne s’en rendre compte que lorsqu’ils rentrent chez eux et enlèvent leurs bottes.
Savoir exactement à quel moment les travailleurs exposés commencent à ressentir des symptômes, et quelle sorte de symptômes ils ressentent, dépendra de l’intensité et de la fréquence de leur exposition aux vibrations au fil du temps. Les personnes très exposées peuvent commencer à présenter des symptômes après quelques jours ou quelques années, faisant de ce risque une préoccupation pour les travailleurs, jeunes et moins jeunes.
Le Dr Ron House travaille avec des patients souffrant du syndrome des vibrations avec le Centre for Research Expertise in Occupational Disease (CREOD, le centre d’expertise en matière de recherche sur les maladies professionnelles) à l’hôpital St Michael de Toronto. « Nous rencontrons des jeunes présentant ces problèmes dans le secteur minier, surtout dans les petites exploitations où les contrôles sont moins fréquents », indiquait-il. Toutefois, la plupart de ses patients sont âgés d’au moins 35 ou 40 ans.
La bonne nouvelle pour les travailleurs qui ressentent les premiers symptômes du syndrome des vibrations est qu’ils sont passagers et réversibles au départ. Toutefois, si l’exposition aux vibrations se poursuit, les atteintes nerveuses et les lésions vasculaires peuvent empirer jusqu’à devenir permanentes. Dans les cas les plus graves, le syndrome des vibrations peut mener à l’amputation des doigts en cas de gangrène.
Le syndrome des vibrations peut aussi rendre difficiles à réaliser des activités nécessitant une motricité fine avec les mains et les doigts. Une fois les lésions vasculaires installées, les symptômes du syndrome des vibrations s’aggraveront dès que le sujet se trouve à l’extérieur, dans le froid. Les activités deviendront plus difficiles, qu’elles soient liées au travail ou pas.
Le Dr House voit en consultation de nombreux patients du nord de l’Ontario, dont beaucoup travaillent dans des mines. « Beaucoup aiment la pêche sur glace ou la motoneige, des activités extérieures hivernales. Ces activités deviennent très difficiles lorsqu’ils vieillissent et que le syndrome des vibrations progresse », indiquait-il.
Les médecins de famille et les commissions de l’indemnisation des accidentés du travail envoient les travailleurs présentant des symptômes du syndrome des vibrations consulter auprès de spécialistes comme le Dr House, dont la clinique à St Michael effectue en moyenne 200 évaluations par an. Les patients reflètent généralement les données démographiques de l’industrie minière. « La majorité des patients que nous rencontrons sont des hommes, mais nous voyons aussi des femmes, notamment des jeunes femmes », indiquait-il.
Selon lui, le syndrome des vibrations est sous-reconnu et sous-diagnostiqué partout au Canada. « De nombreux travailleurs ne demandent pas d’examen médical ni ne déposent de demande d’indemnisation jusqu’à ce qu’ils présentent des symptômes bien plus invalidants », ajoutait-il.
La prévention avant tout
Les experts et les médecins préféreraient voir des patients qui commencent à peine à ressentir les symptômes des problèmes de santé liés aux vibrations. À ce stade, il est plus facile de s’assurer que des dommages permanents ne s’installeront pas.
Le Canada ne dispose d’aucune réglementation officielle limitant l’exposition professionnelle aux vibrations. D’après le centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail à Hamilton, de nombreux territoires canadiens n’ont aucune réglementation spécifique à ce problème. D’autres suivent des normes établies par des organismes étrangers, par exemple les valeurs limites d’exposition suggérées par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (la conférence américaine des hygiénistes industriels du gouvernement).
M. Marcotte est d’avis que des réglementations plus strictes seraient utiles, mais ses priorités actuelles sont ailleurs. « La sensibilisation à ce problème est encore plus importante que la réglementation », indiquait-il.
La sensibilisation, dans ce cas, va de pair avec la prévention des risques. Pour Mme Goggins, parce que l’exposition est si élevée pour les travailleurs du secteur minier, il est primordial de se concentrer sur la prévention dans l’industrie.
L’achat d’outils dont les intensités de vibration sont inférieures peut constituer une mesure préventive. Il existe des équipements de protection individuelle (ÉPI) qui visent à réduire l’exposition aux vibrations, même si le Dr House n’est pas convaincu de leur efficacité. Les gants anti-vibrations par exemple, même lorsqu’ils sont testés et certifiés, ne protégeront pas entièrement contre les vibrations à haute intensité, indiquait-il. Ils s’abîmeront au fil du temps, et devront être remplacés en fonction de leur utilisation. Pour un usage fréquent dans le cadre d’une exposition élevée aux vibrations, ces ÉPI doivent être remplacés fréquemment, après quelques mois, ajoutait le Dr House.
Si les travailleurs s’inquiètent de leur niveau d’exposition aux vibrations, le Dr House leur suggère d’en parler à leur employeur, au comité de la santé et la sécurité ou, le cas échéant, aux représentants de leur syndicat.
Les contrôles administratifs tels que les politiques sur les limites du temps d’exposition ou l’achat d’équipement qui favorise les outils à faible vibration, surtout lorsqu’on remplace les anciens, constituent des mesures préventives efficaces.
Par exemple, les marteaux perforateurs montés sur béquille, qui forent dans la roche, sont couramment accusés dans les cas de syndrome des vibrations. D’après M. Marcotte, l’utilisation d’un marteau perforateur monté sur béquille placerait les personnes au-delà de l’exposition quotidienne maximum à la vibration en moins d’une demi-heure. Pour cette raison, ils sont maintenant moins utilisés dans l’industrie minière.
Horizons de recherche
Le retrait progressif des marteaux perforateurs montés sur béquille s’est accompagné de ses propres complications. Certains ont été remplacés par des plateformes vibrantes équipées de flèches, déplaçant le type d’exposition des mains aux pieds plutôt que de l’éliminer. Ceci est au cœur des recherches de Mme Goggins, qui étudie les vibrations transmises par les pieds depuis son master. C’était d’ailleurs le thème unique de son doctorat, qu’elle a obtenu en 2019. Ce type d’exposition ne dispose pas encore de ses propres normes gouvernant les limites d’exposition sans risques en raison de l’insuffisance des études épidémiologiques à ce sujet, faisait-elle remarquer. « Nous travaillons là-dessus au CROSH, avec l’aide du comité de l’ISO sur l’exposition des individus aux vibrations et chocs mécaniques », expliquait-elle.
Pendant ce temps, à l’IRSST, M. Marcotte recherche des sièges à suspension pour isoler les travailleurs des effets des vibrations transmises à l’ensemble du corps dans les véhicules. Les normes internationales existantes pour évaluer les sièges à suspension permettant de réduire l’exposition aux vibrations ne concernent que la vibration verticale. Toutefois, sortir des routes avec un véhicule peut entraîner des vibrations dans toutes les directions. Lorsque les gens demandent des recommandations sur les sièges à acheter pour l’équipement minier tels que les camions, la quantité limitée d’informations à disposition concernant ce qu’il existe sur le marché n’aide pas à fournir une réponse. L’objectif de la recherche, indiquait-il, est « de finir par créer un meilleur siège, mais aussi d’aider les gens à choisir un siège bien adapté au véhicule ».
Le Dr House et son équipe au CREOD se préparent à publier un article dédié aux effets du syndrome des vibrations sur la santé mentale des travailleurs. « Ce syndrome a des répercussions sur leur capacité à travailler et à gagner de l’argent, mais aussi sur d’autres aspects de leur vie », expliquait-il. Le tribut peut être lourd. Les résultats indiquent que la santé mentale des travailleurs atteints du syndrome des vibrations est moins bonne que celle de la population en général, faisait-il remarquer.
Le Dr House propose d’inscrire certains de ses patients afin qu’ils participent à la recherche. C’est un grand avantage pour son équipe de travailler dans une clinique spécialisée où de nombreux patients souffrent d’une exposition professionnelle aux vibrations, et lui et ses collègues ont rarement du mal à convaincre les patients de s’inscrire en tant que participants à la recherche.
« Les personnes qui travaillent avec moi à la clinique pensent comme moi », indiquait le Dr House. « Ces patients sont des gens honnêtes, qui travaillent dur et qui ont développé ce problème. Ils souhaitent vraiment trouver une solution. »
Traduit par Karen Rolland