La Tibbitt to Contwoyto Winter Road (TCWR, la route d’hiver Tibbitt-Contwoyto) est un corridor essentiel des Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, face à la fermeture progressive des mines de la région et au changement climatique affectant les conditions dans le Nord, sa viabilité future est plus qu’incertaine. Avec l’aimable autorisation de Mining Association of Canada

La vie et les sources de revenus de nombreuses régions isolées de notre pays dépendent énormément des routes d’hiver. Déployées sur des lacs, des baies et de vastes étendues de toundra dans le nord du Canada, ces routes constituent les seuls moyens d’approvisionner les communautés rurales et les exploitations minières. Des réserves telles que carburant, nourriture, équipement de construction et explosifs sont acheminées par des milliers de camions grâce à ces routes pendant les quelques semaines seulement où elles sont praticables chaque année. Face au changement climatique, leur viabilité est toutefois remise en cause.

Construction d’une route d’hiver

Les routes d’hiver se présentent sous différentes formes. Il peut s’agir de routes de glace, construites sur des lacs et des voies navigables gelées, ou de portages, construits avec de la neige damée et traversant les terres et les régions reculées.

Dans les provinces du Sud telles que le Manitoba et l’Ontario, c’est à peu près au niveau du 50e parallèle sur la carte que commence la construction de la route d’hiver. Dans les territoires du Nord, les routes de glace offrent l’accès aux mines se trouvant au nord du 60e parallèle, notamment la mine de diamants de Jericho, désormais fermée, qui se situe à 65,6 degrés de latitude nord.

La Tibbitt to Contwoyto Winter Road (TCWR, la route d’hiver Tibbitt-Contwoyto), détenue conjointement par les mines de diamants Diavik, Dominion Diamond Corporation et De Beers Canada (Anglo American), assure le transport de plus de 300 000 tonnes de réserves (réparties en 10 000 charges) chaque année dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) et le Nunavut. Pour ce genre d’usages lourds, dont la plupart ont lieu sur un terrain qui ne serait normalement pas considéré comme praticable, les routes de glace telles que la TCWR doivent être construites dans les règles de l’art.

La construction d’une route de glace commence en décembre chaque année, à l’aide d’un équipement léger et amphibie qui peut transporter des travailleurs afin d’étudier l’état de la glace à l’aide de foreuses et de tarières. Après avoir trouvé la glace la plus fiable, l’équipe planifie la voie optimale pour construire la route. Dans les semaines qui suivent, elle continue à déblayer les couches isolantes de neige, exposant la glace à l’air ambiant glacial de manière à ce qu’elle continue d’épaissir. À mesure que l’hiver avance, l’épaisseur de la glace est mesurée à l’aide d’un sonar. On parvient à une capacité à pleine charge lorsque l’épaisseur de la route atteint les 39 pouces (environ un mètre).

Lorsque la glace est suffisamment épaisse, des déneigeuses classiques commencent leur travail. Quelques semaines plus tard, la route devient praticable. L’épaisseur de la glace est constamment surveillée pour assurer la sécurité de l’usage de la route de glace, qui ne durera que de huit à dix semaines, entre début février et fin mars.

Les portages, des sections de route d’hiver qui s’étendent sur les terres, sont construits de diverses manières en fonction du terrain naturel. Dans certains cas, la neige est damée à l’aide de rouleaux compresseurs et de traîneaux niveleurs en acier, créant une surface solide pour la conduite. Dans d’autres cas, le manteau neigeux est inondé afin de créer une surface plus dure. Parfois, il faut amener par camion des morceaux de glace pour construire la surface de la route, laquelle est ensuite damée puis inondée afin de créer une surface gelée. L’emplacement et la construction de ces routes déterminent leurs dates d’ouverture. Certaines ouvriront en décembre, d’autres ne seront pas utilisables avant la mi-février.

Des saisons plus courtes

De plus en plus, les autorités et les sociétés minières envisagent des alternatives aux routes de glace. De fait, avec le changement climatique, les températures suffisamment basses pour préserver l’épaisseur de la glace sont moins fiables.

Une étude publiée dans le Bulletin of the American Meteorological Society (BAMS) menée durant l’été 2021 indiquait que la TCWR ne restera pas viable si les températures mondiales continuent d’augmenter.

« Nos résultats suggèrent qu’un réchauffement de deux degrés Celsius pourrait constituer un point de bascule pour la viabilité de la TCWR », indiquait l’étude. Si cela se confirme, les usagers de cette route d’hiver devront envisager « une adaptation coûteuse dans le meilleur des cas, et d’autres formes de transport dans le pire des cas ».

D’après l’étude, la route doit rester ouverte et praticable au moins 50 jours pour rester « viable », un seuil qui ne pourra être atteint si les températures augmentent de deux degrés. Une hausse de 1,5 degré pourrait en outre résulter en une saison plus courte, d’une durée de 55 à 61 jours. La durée moyenne de la saison durant laquelle la route d’hiver est praticable est de 61 jours.

La TCWR n’est pas la seule à être en danger. Les routes d’hiver de tout le continent sont menacées. Des études antérieures, qui prévoyaient également des saisons plus courtes, se fondaient sur des modèles de régression développés entre les tendances historiques du climat et les records d’épaisseur de la glace. L’étude du BAMS, quant à elle, reposait sur une approche orientée sur les processus pour l’étude des lacs d’eau douce afin de simuler les répercussions du changement climatique sur les routes d’hiver.

« Les régions à [haute latitude septentrionale] se réchauffent deux à trois fois plus vite que la moyenne mondiale, aussi le changement climatique menace la viabilité à long terme de ces importantes routes de transport saisonnières », concluait l’étude.

Même sur le court terme, les personnes chargées d’exploiter et d’entretenir ces routes d’hiver constatent des changements.

« La météo devient de plus en plus difficile à prévoir, aussi les communautés et les prestataires de services ont moins de certitudes en ce qui concerne les dates d’ouverture et de fermeture des routes de glace, des routes d’hiver et des passages de glace », déclarait Sonia Idir, responsable des communications pour le gouvernement des T.N.-O. « Le réseau de routes d’hiver de la vallée de Mackenzie a dû être subitement fermé le 20 mars 2019 car la température vacillait de -10 à +20 degrés Celsius en l’espace de quelques jours au niveau de la portion sud de la route d’hiver. » Au cours des 20 dernières années, la date moyenne de fermeture de la route d’hiver de la vallée de Mackenzie était le 1er avril.


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Si l’on compare la moyenne sur 20 ans des jours d’ouverture du passage de glace dans les Territoires du Nord-Ouest, les différences sont faibles mais bien visibles. Les dates d’ouverture dans la moyenne sur cinq ans interviennent deux à quatre jours plus tard que dans la moyenne sur 20 ans, et les dates de fermeture varient d’un à deux jours plus tôt dans la plupart des cas.

« Pour s’adapter aux effets du changement climatique, nos entrepreneurs et nos équipes utilisent un équipement plus léger spécifique à ces tâches afin d’éliminer le manteau neigeux sur les masses d’eau dès que possible », indiquait Mme Idir. « De nouvelles pompes à eau ont aussi été achetées afin de réduire les délais de fabrication de la couche de glace. »

Les autorités et les entreprises ont bien conscience du réchauffement climatique et de ses répercussions potentielles sur les économies de ces régions si les routes d’hiver cessent de constituer une option viable.

D’après Brendan Marshall, vice-président des affaires économiques et du Nord de l’association minière du Canada (AMC), la raison même de l’existence des routes d’hiver est que les autres options ne sont financièrement pas envisageables. L’approvisionnement par avion ferait vite exploser les bilans des exploitations minières et menacerait leur viabilité. Quant aux régions minières, souvent situées sur de vastes territoires intacts et sans points d’eau, il est impossible de les ravitailler par voie navigable.

Étant donné le peu d’options pour approvisionner les endroits isolés, le débat concernant la disponibilité des routes d’hiver a beaucoup de poids dans le Nord.

« Le PIB annuel des T.N.-O. est d’environ 4 milliards de dollars », indiquait M. Marshall. « L’année dernière, les mines de diamants de la région ont contribué à environ 28 % du PIB territorial. On peut considérer la sécurité relative de cette route de glace comme la variable du contingent dont dépend plus de 30 % du PIB du territoire. »

Il ajoutait que « la route de glace [TCWR] doit être envisagée comme une infrastructure indispensable ».

Options toutes saisons

Les trois mines qui reposent énormément sur la TCWR, à savoir Ekati, Diavik et Gahcho Kué, devraient fermer d’ici le milieu des années 2030. Ceci signifie que la circulation sur cette route d’hiver en particulier sera bien diminuée, ou sera abandonnée avant que le changement climatique ne puisse porter préjudice à ses exploitations. Toutefois, d’autres routes d’hiver pourraient être affectées par la hausse prévue des températures, ce qui incite les autorités à envisager d’autres solutions pour l’avenir.

La création de routes praticables en toutes saisons est coûteuse, avec un coût de construction estimé à un million de dollars le kilomètre, sans tenir compte des coûts d’entretien. Il faut mettre en balance la construction en tenant compte de différents facteurs, y compris les mines et les communautés qui pourraient utiliser ces routes. Mais pour celles qui sont reliées par la nouvelle route praticable toute l’année, les avantages sont nombreux.

La construction du projet Tłı̨chǫ All-Season Road Project (TASR, route praticable toute l’année de Tłı̨chǫ) dans les T.N.-O. vient de se terminer. L’ouverture de la TASR est prévue pour le 30 novembre 2021. Cette autoroute de 97 kilomètres offrira un accès en toute saison de l’autoroute 3 à l’ouest de Yellowknife à la communauté de Whatì de la nation Tłı̨chǫ, située sur les rives du lac La Martre, et aux exploitations minières à proximité. Avant la TASR, l’accès à la communauté de Whatì était possible uniquement par voie aérienne, mis à part pendant les quelques semaines durant lesquelles la route de glace offrait un accès aux véhicules. Les habitants de la communauté bénéficieront indéniablement d’un accès à ce réseau de transport toute l’année, tout comme les exploitations minières de la région telles que le projet NICO de cobalt-or-bismuth-cuivre de Fortune Mineral et les mines détenues par la société d’exploration Rover Metals.

« La TASR ouvre l’accès au groupe de propriétés aurifères de Cabin Lake et contribuera à réduire les futurs coûts d’exploration dans la région… Plus spécifiquement, les propriétés aurifères de Slemon Lake et de Camp Lake bénéficieront de cette accessibilité accrue », indiquait Judson Culter, chef de la direction à Rover. « La route d’accès réduira les coûts tout compris de forage au diamant d’environ 35 % à l’avenir. »

Dans les Territoires du Nord-Ouest également, des évaluations environnementales sont en cours pour la construction d’une route praticable en toutes saisons qui remplacera la route d’hiver de la vallée de Mackenzie sur les 321 kilomètres qui séparent Wrigley de Norman Wells, indiquait Mme Idir. « La planification et les études environnementales pour le projet de corridor d’accès à la province géologique des Esclaves sont également en cours, et prévoient la construction d’une route praticable en toutes saisons dans cette province. »

Graham Payne, copropriétaire de l’entreprise de transports G&C Payne Ltd. du Manitoba qui se spécialise dans la logistique des routes d’hiver, indiquait qu’il avait constaté des changements au niveau des routes de glace dans le Manitoba et l’Ontario. Des passages qui, auparavant, traversaient les lacs, les contournent désormais. Il évoquait notamment la route God’s River Road, où les camions s’engageaient sur la glace à hauteur de God’s Lake Narrows et roulaient sur le lac gelé jusqu’à God’s River. Aujourd’hui, les camions traversent les terres en empruntant les portages.

D’après M. Payne, cette approche a été adoptée depuis que le processus de construction est devenu plus traître avec la hausse des températures. « Il arrive parfois que des équipements soient noyés. » Concernant son équipement, M. Payne indiquait qu’il est plus facile et moins brutal pour les semi-remorques de conduire sur des routes de glace que sur des portages sur les terres.

En outre, il a assisté à la construction de plusieurs routes praticables en toutes saisons en Ontario et dans le Manitoba ces cinq ou six dernières années.

Les routes praticables en toutes saisons ne sont cependant pas une solution viable. « Tous les projets ne peuvent justifier de telles dépenses associées à la construction de centaines de kilomètres de routes praticables en toutes saisons », indiquait M. Marshall.

« La décision de construire une route permanente doit tenir compte de la valeur plus vaste que génère l’exploitation minière, et déterminer si l’optimisation de cette valeur sert l’intérêt de la population. »

Traduit par Karen Rolland