Courtney Gendron de WSP sur le terrain en train de mener une évaluation à l’exposition professionnelle. Avec l’aimable autorisation de WSP

Lorsque Nancy Wilk est tombée enceinte en 1989, elle s’inquiétait des expositions aux dangers pour la reproduction sur les lieux de travail qu’elle visitait dans le cadre de sa fonction d’inspectrice du ministère du Travail de l’Ontario, notamment des visites dans des mines et des installations de traitement de minerais.

À l’époque, son superviseur lui avait conseillé de mener ses propres recherches, et notamment d’établir une liste des substances tératogènes (des agents ou facteurs pouvant affecter le bon développement du fœtus), qu’ils compléteraient par un débat sur les dangers pour la reproduction et les aménagements possibles. « En tant qu’hygiéniste du travail, je disposais des connaissances suffisantes [pour poser les bonnes questions], et mes besoins étaient pourvus », expliquait Mme Wilk. Toutefois, tout le monde n’avait pas les mêmes connaissances et expérience quant aux risques possibles.

Aujourd’hui, en tant que directrice technique principale de la sécurité et de l’hygiène du milieu et de l’hygiène du travail à WSP, Mme Wilk joue un rôle prépondérant pour garantir la santé et le bien-être des travailleurs miniers. En tant que présidente de l’International Occupational Hygiene Association (IOHA, l’association internationale de l’hygiène au travail), elle préconise de mener davantage de recherches pour soutenir les bonnes pratiques dans son domaine.

Selon elle, peu de choses ont changé dans les décennies qui se sont écoulées. Du point de vue réglementaire, des améliorations ont eu lieu, avec notamment des territoires dans le pays qui ont garanti des droits tels que le retrait préventif (c’est-à-dire l’affectation d’une personne à un autre poste pour la protéger des risques en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail) pour les travailleuses enceintes. Toutefois, les sociétés minières n’ont souvent pas les connaissances suffisantes pour offrir un soutien optimal.

Les obstacles à la recherche

D’après Mme Wilk, les femmes travaillant dans l’industrie minière rencontrent divers obstacles pour accéder à un soutien adapté à leurs besoins en matière de santé sur le lieu de travail. Par exemple, les sites qui nécessitent de faire la navette aérienne ne sont souvent pas équipés pour proposer des soins de santé adéquats.

« Nous avons connaissance d’un cas où une femme a fait une fausse couche sur le site. Le site n’était pas prêt à faire face à cette situation », se remémorait-elle. « Il a fallu la rapatrier par voie aérienne, ce qui n’a fait qu’ajouter à [son] désagrément et son malaise. »

Les sociétés minières commencent toutefois à prendre note de la situation. De fait, Mme Wilk et sa collègue Courtney Gendron, hygiéniste principale du travail à WSP, ont présenté leurs cas d’études aux équipes de santé et sécurité au travail des sociétés et ont mené des évaluations des dangers pour la reproduction sur les sites miniers. C’est sur ce dernier point qu’elles ont rencontré un problème.

« La plus grande difficulté pour la santé et le bien-être d’une femme dans l’industrie minière, et pour leur santé génésique, est que les recherches, les normes et les conseils en la matière sont insuffisants », expliquait Mme Wilk.

D’après elle, la raison de ce manque d’informations est que la majorité des recherches dans le domaine de la santé au travail concerne « l’homme de référence », qui a entre 25 et 30 ans, est blanc, pèse 70 kilogrammes et ne souffre d’aucune maladie chronique.

Pour les chercheurs, expliquait-elle, une manière de résoudre cette disparité à l’avenir dans leurs travaux futurs consistera à ventiler les données par sexe, et à inclure un pourcentage représentatif de femmes, le cas échéant. Toutefois, faisait-elle remarquer, cela ne prendrait toujours pas en compte la santé du fœtus.

Sandra Dorman, directrice du Centre for Research in Occupational Safety and Health (CROSH ou CRSST, le centre de recherche sur la santé et la sécurité au travail) à l’université Laurentienne de Sudbury, évoquait les difficultés à mener des recherches innovantes dans cet espace. Il s’agit d’un créneau particulier, aussi il est difficile d’accéder à un financement ou de trouver une taille d’échantillon représentatif. D’après le conseil des ressources humaines de l’industrie minière (RHiM), les femmes représentaient à peine 16,8 % de la main-d’œuvre canadienne dans l’industrie minière en 2023. C’est également un domaine sensible.

« La majeure partie des travaux qui nous ont offert une bonne orientation quant à ce qui constitue un danger évident pendant la grossesse sont disponibles grâce aux actions d’un groupe de femmes au sein d’une communauté où elles étaient toutes exposées à la même chose, et le problème a été remarqué », expliquait-elle.

« Personne ne s’intéressera à une étude sur l’incidence de l’exposition au diesel chez les femmes enceintes [cela serait contraire à l’éthique]. Toutefois, nous pouvons observer les données des communautés qui présentent de fortes expositions aux émanations provenant des moteurs diesel et surveiller les résultats sur la grossesse. »

Des efforts continus

En 2012, Mme Dorman a été contactée par l’organisation à but non lucratif Sécurité au travail dans le Nord basée en Ontario pour être l’autrice principale d’un guide sur les dangers pour la reproduction dans l’exploitation minière.

Mme Dorman et son équipe ont mené une analyse documentaire exhaustive, consulté des articles en anglais du monde entier, et distillé les informations afin d’identifier les dangers pour la reproduction, de fournir une description des risques pour la mère, le fœtus et/ou l’enfant allaitant, et de suggérer des actions à mener pour éviter les risques et proposer des aménagements adaptés.

Le Guide to Healthy Pregnancies in the Mining Workplace (Guide sur les grossesses en bonne santé sur le lieu de travail dans l’industrie minière, uniquement disponible en anglais) a été distribué aux sociétés minières et mis à disposition sur le site Internet du CRSST. Il reste une ressource importante sur les dangers pour la reproduction dans l’industrie minière.

« Sa popularité s’est développée car beaucoup de femmes continuaient d’être embauchées dans l’industrie minière. Lorsqu’elles tombaient enceintes et demandaient aux représentants de la santé et la sécurité sur leurs sites ce qu’elles devaient faire, ces derniers n’avaient pas de réponses », indiquait Mme Dorman.

Dans son activité à WSP, Mme Wilk se fonde sur plusieurs sources pour garantir que ses recommandations sont aussi exhaustives que possible lorsqu’elle mène des évaluations sur les dangers pour la reproduction dans un site. Outre son guide, Mme Dorman étudie un tableau des limites d’exposition pour WorkSafeBC, qui fournit une liste complète des agents toxiques pour la reproduction et des limites de l’exposition dérivées de publications par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH, une association professionnelle d’hygiénistes industriels et de spécialistes de professions connexes). Elle s’appuie également sur des publications du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH, l’institut national américain pour la santé et la sécurité au travail).

Mme Wilk s’efforce d’identifier des manières d’aider les femmes enceintes sans avoir recours au retrait préventif, tout en s’assurant que les risques sont aussi faibles que raisonnablement possible. « Il est toujours préférable, dans la mesure du possible, d’assurer leur sécurité tout en les maintenant en poste. De fait, en cas de changement de poste [vers une fonction différente], il faut tenir compte de l’impact qu’aura le changement d’équipe et de culture, et l’apprentissage nécessaire qu’il va engendrer », expliquait-elle. « Par ailleurs, il est fort possible que ces personnes aiment leur poste. »

Dangers courants pour la reproduction

Sur la base de leur expérience, Mmes Wilk et Gendron ont identifié huit dangers pour la reproduction comme les dangers les plus courants rencontrés par les travailleurs et travailleuses du secteur minier.

Le bruit

Les niveaux sonores dépassant les 85 dBA (décibels pondérés en gamme A, une unité de mesure de l’intensité relative des sons tels que perçus par l’oreille humaine) sont associés à une augmentation du stress chez la mère et le fœtus, ce qui peut contribuer à une insuffisance pondérale à la naissance, à un accouchement prématuré et à de l’hypertension chez la mère. Il est conseillé aux femmes enceintes d’utiliser des protections auriculaires adéquates et d’éviter les zones bruyantes dans la mesure du possible.

Pour protéger le fœtus d’une perte d’audition, à partir du cinquième mois de grossesse, il faut limiter l’exposition continue (plus de huit heures) de l’abdomen d’une travailleuse enceinte à des niveaux sonores de 115 dBC (décibels pondérés en gamme C, une unité de mesure des pics sonores et des bruits d’impact courts et instantanés), ainsi que l’exposition aux pics sonores de 155 dBC ou au-delà.

La chaleur

L’exposition à la chaleur peut voir des effets néfastes sur la mère comme sur le fœtus, et avoir une incidence sur l’allaitement. Il est recommandé aux femmes enceintes d’éviter les températures environnementales dépassant les 32 degrés Celsius (particulièrement le premier trimestre), d’augmenter leur consommation d’eau à deux verres au-delà des quantités recommandées avant la grossesse, de porter des dispositifs de surveillance de la température centrale (qui ne doit pas dépasser 38 degrés Celsius) et le rythme cardiaque (qui ne doit pas dépasser 160 battements par minute). Elles doivent aussi élever leurs jambes pendant les pauses.

Les vibrations

Les vibrations transmises à l’ensemble du corps (WBV, de l’anglais Whole-body vibration, voir l’article « Lâcher prise ») augmentent les risques de fausse couche et l’accouchement prématuré, peuvent augmenter les risques de pré-éclampsie et avoir d’autres effets néfastes pour la mère. Il n’existe pas de limites d’exposition aux WBV réglementées au Canada, et spécifiquement aucune donnée sur les limites d’exposition sans danger pour la travailleuse enceinte. Il est recommandé aux femmes enceintes d’éviter l’exposition aux vibrations à des fréquences de résonance de la colonne vertébrale (de 10 à 12 hertz) et de l’utérus (8 hertz).

Le rayonnement ionisant

L’exposition au rayonnement ionisant est courante dans les mines, particulièrement dans celles renfermant des gisements de thorium et d’uranium. Elle est confirmée comme cause potentielle de divers problèmes graves associés au développement fœtal. Au Canada, la dose limite légale après l’annonce de la grossesse est de quatre millisieverts pour toute la durée de la grossesse. Certains territoires ont des réglementations supplémentaires. Les contrôles impliquent de surveiller la dose reçue, et de minimiser l’exposition à des niveaux aussi bas que raisonnablement possible (principe ALARA) en restreignant le temps d’exposition, en augmentant la distance et en utilisant des écrans de protection, le cas échéant.

Les métaux toxiques

L’exposition la plus courante aux métaux toxiques dans l’industrie minière vient du plomb, que l’on rencontre dans les laboratoires d’essai pyrognostique, dans les minerais ou les stériles, ou s’il s’agit de la matière première extraite. Le plomb peut traverser le placenta et a un impact sur le fœtus. Il provoque de l’hypertension chez la mère et est excrété dans le lait maternel.

Il n’existe aucune norme concernant l’exposition au plomb pour les travailleuses enceintes. Ainsi, il est recommandé aux femmes de maintenir des expositions aussi faibles que possible durant la grossesse et l’allaitement. Le ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences de l’Ontario propose quelques valeurs qui incluent un examen spécifique et des critères justifiant le retrait des femmes enceintes et en âge de procréer. Mme Wilk conseille de les utiliser comme bonnes pratiques dans l’ensemble du pays.

Parmi les autres métaux préoccupants figurent le cadmium, le chrome et le mercure, pour lesquels aucune norme concernant l’exposition n’est établie pour les travailleuses enceintes. Mme Wilk recommande le retrait des femmes enceintes pour éviter une exposition.

Les dangers d’ordre ergonomique

Soulever, pousser, tirer, se pencher et adopter des positions de manière prolongée peut avoir toute une gamme d’effets indésirables sur la mère et le fœtus. Ils vont des déchirures musculaires, de douleurs lombaires et de fatigue pour la mère, à un risque accru d’avortement spontané, d’insuffisance pondérale à la naissance et d’accouchement prématuré pour le fœtus. « [Pendant la grossesse], les ligaments se relâchent, le centre de gravité change et le mouvement en général devient plus difficile », expliquait Mme Wilk.

Elle recommande la mise en œuvre de contrôles en fonction de l’historique médical de la femme, car certaines ont besoin de plus d’aménagements. Ces contrôles devront être adaptés à mesure que la grossesse avance.

Le planning

Des quarts de travail très long et le travail de nuit augmentent les risques d’avortement spontané, d’insuffisance pondérale à la naissance, de naissance prématurée et de sommeil perturbé pour la mère. Par ailleurs, il faut prévoir des aménagements au niveau du planning afin de garantir aux femmes des moments pour tirer leur lait maternel.

Mme Wilk recommande d’éviter le travail de nuit, et de restreindre le nombre d’heures travaillées ainsi que le créneau d’heures durant lesquelles a lieu le travail. Elle encourage toutefois les employeurs à faire activement participer les femmes aux décisions concernant le planning, car toutes les travailleuses connaissent des périodes de fatigue et de stress, à des niveaux différents.

Le stress

Le stress peut avoir une incidence sur la grossesse et mener à un accouchement prématuré ou à une insuffisance pondérale à la naissance. Être enceinte dans un environnement de travail à dominante masculine peut s’avérer très angoissant. Mme Wilk suggère que les sociétés minières se penchent sur l’éducation, la sensibilisation et la préparation sur le site pour aider les femmes enceintes à se sentir plus à l’aise. Une culture organisationnelle respectueuse des questions de santé et de sécurité qui encourage l’annonce de la grossesse dès le début de celle-ci, et un site où les installations de santé sont adaptées aux femmes victimes d’une fausse couche ou dont les contractions arrivent prématurément, jouent un rôle extrêmement important.

Tournés vers l’avenir

D’après Mme Dorman, les sociétés minières doivent faire davantage pour soutenir les travailleuses enceintes. « Pour l’heure, il s’agit surtout d’éducation sur le lieu de travail », indiquait-elle. « Les dirigeants et dirigeantes qui se passionnent réellement pour la santé et la sécurité peuvent aider à amorcer ce changement. »

Pour elle, la clé pour atténuer les dangers pour la reproduction pour les femmes sur le lieu de travail est simple. « Les gens sont particulièrement nerveux quant à certaines substances chimiques », indiquait-elle. « Il serait bon d’aborder les effets plus vastes qui ont des incidences sur tout le monde, par exemple l’exposition au monoxyde de carbone provenant des gaz d’échappement des véhicules fonctionnant au diesel. Cela serait très bénéfique. À partir du moment où l’on réduit les dangers pour tout le monde, on réduit les dangers pour les femmes durant l’intégralité du cycle de santé génésique. »

Du point de vue de la recherche, Mme Dorman expliquait que les sociétés minières ont la possibilité de renforcer leurs efforts, en collectant des données, en menant des contrôles en interne et en finançant la recherche.

Pour les dangers physiques et chimiques, elle recommande une surveillance plus étroite de l’exposition de base. « Concernant le monoxyde de carbone, il est possible de faire un test respiratoire quotidiennement. Si le taux augmente pendant la grossesse, il est possible de procéder à des modifications sur la base de ces connaissances », expliquait-elle. « Il est possible d’en faire de même avec bon nombre de dangers, en effectuant des bilans sanguins réguliers. »

Mme Dorman suggérait également qu’un investissement dans des recherches qualitatives aiderait les dirigeantes et dirigeants miniers à mieux identifier les dangers pour la reproduction. « Si un certain nombre de femmes identifiaient des préoccupations communes et les documentaient, nous obtiendrions des informations précieuses », faisait-elle remarquer.

Dans le même temps, Mme Dorman prévoit de mettre à jour son guide afin de le mettre à la disposition des travailleurs miniers et de le faire traduire en français.

Pour sa part, Mme Wilk continue de faire campagne pour promouvoir une recherche plus innovante et un soutien de l’industrie en faveur des femmes enceintes dans le secteur minier. « Je rencontre régulièrement des professionnels de la santé au travail dans le secteur minier, et en ma qualité de mentor, nous abordons ce problème », déclarait-elle. « Plusieurs points doivent encore être mis à exécution. Une telle approche doit être à l’initiative de la direction, à un très haut niveau. »

Mme Wilk partage également son message en le présentant aux sociétés minières à l’international.

« Nous avons toutes et tous une responsabilité à créer des cultures en faveur de l’inclusion et de la sécurité. Jusqu’à ce que nous y parvenions, la participation et le maintien en poste des femmes dans l’industrie minière resteront faibles. »

Traduit par Karen Rolland