Teck Resources a réutilisé des pneus hors d’usage pour construire un mur de terre stabilisée mécaniquement à sa mine Highland Valley Copper. Avec l'aimable autorisation de Teck Resources

À toute heure du jour, 50 tombereaux Caterpillar 793 circulent dans la mine Highland Valley Copper de Teck Resources, dans le sud de la Colombie-Britannique, usant au passage un total de 300 pneus.

Comme ceux-ci ont une durée de vie d’environ 12 mois, cela signifie que 300 pneus doivent être mis hors service chaque année. Bien que certains d’entre eux soient réutilisés pour construire des bermes (une barrière surélevée jouxtant une voie de transport ou un point de déchargement) ou pour protéger les infrastructures minières, « la majorité des pneus sont empilés et laissés de côté », confie Mathieu Veillette, ingénieur géotechnique principal à Highland Valley Copper.

Cette pratique est courante dans les sites miniers, compte tenu du prix élevé de recyclage de ces gigantesques pneus, qui pèsent plus de 3 500 kilogrammes. Le magazine Tire Business rapportait en 2010 que le recyclage d’un seul pneu coûtait entre 100 et 200 $ US, sans compter les coûts de transport.

Voilà pourquoi, vers la fin de 2014, Teck a eu l’idée de réutiliser ces pneus pour construire un mur de terre stabilisée mécaniquement (TSM) dans la mine. Le plan prévoyait un mur de 16 mètres de hauteur composé de 600 pneus formant la façade et les éléments d’ancrage enfouis dans le remblayage du mur.

Teck procédait alors à un agrandissement de la mine à ciel ouvert Highland Valley Copper dans le but d’exploiter 30 millions de tonnes de réserves minérales nouvellement classifiées. Pour ce faire, l’un des concasseurs de la mine devait être rapproché du nouveau gisement, afin d’éviter que les tombereaux aient à parcourir de grandes distances pour y acheminer le minerai, gaspillant au passage temps, carburant et argent. Le nouveau mur TSM, qui entoure le concasseur sur trois côtés, retient solidement le sol environnant. Il forme également un bord de déversement très utile, à partir duquel les tombereaux vident le contenu de leur benne dans le concasseur juste au-dessous.

Les murs TSM sont une structure courante dans les mines à ciel ouvert et souterraines, les ponts et les autoroutes. Généralement construits par des firmes spécialisées, ils sont composés d’éléments de façade faits sur mesure en matériau géosynthéthique, en métal ou en béton fixés à des couches de bandes métalliques, de matériau en mailles et de grilles géotextiles enfouies dans le remblayage.

« Réutiliser les vieux pneus coûte moins cher et est plus écologique qu’acheter des matériaux neufs et engager un fournisseur pour construire le mur », explique Mathieu Veillette.

Chris Stannell, porte-parole de Teck, précise que la construction d’un mur de pneus au lieu d’un mur TSM standard représente une économie « de l’ordre de 25 à 50 pour cent, sans compter les avantages environnementaux associés à la réutilisation des pneus des tombereaux », tout en soulignant que plusieurs facteurs varient d’un projet à l’autre, notamment les matériaux et l’ingénierie. Teck n’a pas pu préciser le coût global du projet.

Recycler une vieille idée

Le recyclage des pneus de tombereaux usagés est inspiré d’un mur de pneus construit à la mine Highland Valley Copper en 2005. Les esquisses et les autres détails de conception et de construction du mur n’avaient toutefois pas été conservés; Teck a donc fait appel à BGC Engineering pour la conception et la construction du nouveau mur. Teck avait déjà fait appel aux services de la firme pour d’autres aspects du déménagement du concasseur.

Le nouveau mur se distinguait de l’ancien par une caractéristique importante : sa façade devait comporter une portion verticale au niveau de la niche destinée à loger la trémie en acier du concasseur. Le reste de la façade du mur serait, comme son prédécesseur, en talus.


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BGC a accepté le projet avec enthousiasme. « Nous avons fait des recherches, et il semble que personne n’ait conçu [un mur TSM en pneus de tombereau réutilisés]; si c’est le cas, ça n’a pas été documenté, affirme Eric Coffin, l’un des ingénieurs de projet de BGC chargés de la construction du mur, qui a présenté les travaux pour la première fois au Congrès ICM, ce mois de mai à Vancouver. On souhaitait faire connaître notre réalisation, alors on a publié un article sur le sujet. C’est une bonne façon de réutiliser ces vieux pneus. »

Construire un mur avec des pneus

BGC a d’abord procédé à un essai de traction sur un prototype à l’échelle réelle construit en avril 2014 à cinq kilomètres au nord-ouest de l’usine Highland Valley Copper. Deux pneus de camion Caterpillar 793, d’un diamètre de 3,5 mètres et d’une largeur de 1,1 mètre, ont été cerclés de câbles en acier de différentes tailles puis enfouis dans un tas du sable que l’on trouve à l’état naturel dans la région. Ce sable allait être utilisé pour le remblayage du mur, encore un choix pratique, économique et durable.

« Le pneu était la grande inconnue dans le concept, explique Eric Coffin. Il fallait tester la résistance du caoutchouc. » À l’aide d’un « tensiomètre maison » confectionné avec des barres d’acier, des tiges d’acier filetées, des instruments de mesure, un vérin hydraulique et des blocs de béton, l’équipe a appliqué différentes forces sur les câbles dans le but de déterminer si celles-ci parviendraient à déchirer ou à déloger les pneus.

Les essais ont révélé que les pneus pouvaient supporter une tension de 540 kilonewtons (environ 121 000 livres) sans se déchirer ni se déplacer. (Il s’agit d’une estimation conservatrice, car une autre mesure sur un pneu gonflé et non enfoui révélait une résistance à une force deux fois plus élevée.) La conception définitive du mur s’est appuyée sur les résultats de cet essai de traction. BGC s’est assurée que les liens entre les pneus et les câbles de 22 millimètres de diamètre possédaient une résistance largement supérieure aux forces qui s’exerceraient sur eux d’après les calculs.

La construction du mur a commencé en septembre 2014. Les pneus usagés ont été transportés sur le chantier par camion à plateforme, puis soulevés et mis en place au moyen d’un pouce d’excavatrice. Les pneus formant la façade ont été rattachés aux pneus d’ancrage avec des câbles en acier de sept mètres de longueur fixés autour des pneus avec des manilles Crosby et serrés avec le godet de l’excavatrice. Le sable a été minutieusement disposé et densément compacté à l’intérieur des pneus et entre ceux-ci, de même qu’entre les pneus d’ancrage et la pente du terrain.

Au milieu du mois d’octobre, le mur atteignait une hauteur de 12 étages de pneus et était terminé à 75 pour cent. Les travaux ont été suspendus pour l’hiver. C’est alors que BGC a rencontré un problème de conception. Les pneus du haut de la façade verticale ont commencé à pencher vers la niche destinée à loger la trémie du concasseur. Eric Coffin se doutait que cela était dû au fait que « le sable n’était pas parfaitement compacté à l’intérieur de ces pneus.

C’était une déviation de quelques centimètres seulement, mais on a arrêté les travaux et cherché la meilleure solution possible. » L’équipe a finalement décidé d’installer le concasseur avant de continuer de monter le mur.

Le 5 mai, on acheminait le concasseur sur une plateforme automobile vers sa nouvelle niche pratiquée dans le mur. Le problème d’affaissement vers l’intérieur et les risques pour la sécurité ont été éliminés car, comme prévu, « le concasseur a supporté le mur », explique Eric Coffin. Ensuite, l’espace entre la structure de la trémie et le mur vertical a été rempli de gravier. Les derniers étages de pneus de la section en talus du mur ont été achevés, puis une ceinture en béton a été coulée sur le dessus.

Le mur de pneus a été achevé le 22 mai 2015, dans les délais prévus. Il devrait durer jusqu’au terme de l’exploitation de la mine Highland Valley Copper, prévu en 2028.

Mathieu Veillette affirme que Teck « a aimé le résultat », ajoutant avec humour : « on n’en a plus jamais entendu parler, ça veut dire que tout va bien. » Il ajoute que Teck envisagerait volontiers la réutilisation de pneus pour construire d’autres murs TSM à la mine. « On est satisfaits de pouvoir utiliser ces pneus pour quelque chose d’utile et de durable », conclut-il.

Eric Coffin croit que les autres mines qui ont besoin de construire un mur et qui ont un surplus de pneus emboîteront le pas. « C’est innovateur et assez simple à construire par comparaison à un mur TSM en béton. »