Les boissons énergisantes sont de plus en plus populaires, mais leur consommation en excès a été associée à des attaques, un rythme cardiaque anormal, des nausées et d'autres effets secondaires nocifs | Peter Braul
Il y a trois ans, le conducteur d'un camion dans une mine d'or du Nevada s'est effondré sur une passerelle à la fin de son poste de 12 heures. Cet homme travaillait pour Gold Canyon Mining and Construction, une société travaillant sous contrat pour plusieurs mines au Nevada. D'après les témoins, il aurait eu une attaque. Ce jour-là, il était arrivé sur le site avec un déjeuner composé en tout et pour tout de quatre canettes de boisson énergisante, et rien d'autre, expliquait John Moss, agent de sécurité et de conformité pour la société à l'époque. Après cet incident, les boissons énergisantes ont été interdites.
Sans diagnostic médical, il est impossible d'être sûr que les boissons énergisantes consommées par cette personne sont responsables de son attaque. Mais il ne s'agit pas d'un incident isolé ; les boissons énergisantes sont de plus en plus courantes sur les chantiers, et nombre d'histoires circulent dans l'industrie quant aux effets nocifs d'une surconsommation de ces boissons sur la santé des mineurs. Le secteur de la santé et la sécurité a pris acte de l'impact de ces boissons saturées en caféine, sucres et additifs faisant l'objet de stratégie de marketing agressive.
Roberta Spicer, inspectrice de la santé et la sécurité chez J.S. Redpath Limited, rassemble actuellement des données sur les effets nocifs de ces boissons énergisantes afin de développer des supports pédagogiques pour sa société. Dans le cadre de son projet, elle a entamé plusieurs discussions sur différents forums LinkedIn concernant l'interdiction des boissons énergisantes dans l'industrie minière. Mme Spicer déclare avoir été impressionnée du nombre de réponses qu'elle a obtenues de la part de professionnels du secteur minier, ainsi que d'autres industries, mais les récits qu'elle a pu lire étaient parfois terribles. « Une grande partie de la discussion concernait les récits de personnes décrivant des scènes dont elles avaient été témoins : " Un tel a eu une attaque, un tel a dû être emmené d'urgence à l'hôpital, le cœur d'un tel a explosé, un tel aura des lésions au cœur à vie " », indique-t-elle. « Le nombre de cas était impressionnant. »
Une situation alarmante
Il est difficile de déterminer l'ampleur du problème lié aux boissons énergisantes dans l'industrie minière car on dispose de nombreuses anecdotes mais de peu de faits indéniables sur des accidents liés à leur consommation sur des sites miniers. Les effets nocifs sur la santé sont cependant bien décrits dans l'ensemble de la société.
L'une des raisons des inquiétudes croissantes concerne leur consommation accrue. D'après un article de la revue The Journal of the American Medical Association, les résidents américains consommaient en moyenne 2,3 milliards de boissons énergisantes en 2005. En 2010, ce chiffre avait atteint les 6 milliards, et n'a depuis cessé d'augmenter.
À titre d'anecdote, Mme Spicer indique qu'à Redpath, les professionnels de la sécurité ont aussi constaté une augmentation de la consommation chez leurs employés et s'en inquiètent. Jim Mathiasen, responsable général du service de la prévention des accidents à l'exploitation de nickel de Vale Canada en Ontario, dénonçait ardemment les effets nocifs des boissons énergisantes alors qu'il constatait également une hausse de la consommation chez les travailleurs sur les sites qu'il surveille. « Je vois ces canettes et ces petites bouteilles partout », indique-t-il.
La hausse de la consommation semble correspondre à l'augmentation du nombre de visites à l'hôpital liées à ces boissons. Le rapport de 2011 du Drug Abuse Warning Network (DAWN, le réseau d'alerte en matière d'abus de drogues) a révélé que les visites aux services des urgences aux États-Unis associées à la consommation de boissons énergisantes avaient doublé entre 2007 et 2011, pour atteindre un total de 20 000 visites cette année-là. Sur ces 20 000 visites, 58 % étaient uniquement liées aux boissons énergisantes ; autrement dit, aucune autre drogue n'avait contribué à cet état.
D'après l'American Association of Poison Control Centers (l'association américaine des centres antipoison), les effets secondaires connus des boissons énergisantes, en fonction des ingrédients qu'ils contiennent, comprennent entre autres des nausées, une modification du rythme cardiaque, des douleurs thoraciques, la déshydratation, des vomissements, des insomnies et des attaques.
La racine du problème
Les risques de santé associés aux boissons énergisantes découlent en partie de leur haute teneur en caféine, mais ce sont les additifs qui les distinguent d'autres boissons contenant de la caféine ou de la théine tels que le café ou le thé. Les boissons énergisantes contiennent de grandes quantités de sucre, dépassant souvent les apports journaliers recommandés (AJR) maximums de 32 grammes par 2 000 calories, ce qui engendre une poussée d'énergie temporaire. La consommation excessive de sucre sur une longue période peut engendrer diabète et obésité.
Le guarana, un autre additif, est la plante connue contenant la plus haute teneur en caféine naturelle au monde. La caféine naturelle telle que celle contenue dans les graines du guarana n'est pas toujours prise en compte dans la quantité annoncée sur les canettes dans les valeurs nutritionnelles des boissons énergisantes, aussi les consommateurs pourraient bien en ingérer bien plus qu'ils ne le pensent. Santé Canada recommande un apport quotidien maximum de 400 milligrammes (mg) de caféine.
En pratique, ces additifs, associés à d'autres tels que la taurine et le ginseng, sont mélangés à la caféine. Une canette normale (environ 450 ml) de NOS contient 170 mg de caféine, à savoir l'équivalent d'environ 450 ml de café (en fonction de la marque) ; une tasse de thé noir d'environ 225 ml en contient environ 55 mg. En 2012, Santé Canada a limité le contenu maximum autorisé de caféine provenant de toute source à 180 mg par canette et a exigé des fabricants de boissons énergisantes de fournir des rapports annuels sur les statistiques de consommation ainsi que les incidents associés en matière de santé. Une canette de NOS contenait auparavant jusqu'à 260 mg de caféine.
Sur le terrain, les responsables de la prévention des accidents essaient de mettre un frein aux habitudes de consommation effrénée. Un problème aggravant pour les mineurs est que la caféine est un puissant diurétique, qui augmente la sécrétion urinaire et mène à une perte de liquides et de sodium. Ceci entraîne une déshydratation rapide des personnes qui en consomment, créant de graves problèmes pour les activités menées par grosses chaleurs ou dans des environnements très exigeants sur le plan physique tels que les mines souterraines. Un bulletin d'information récemment publié par Vale sur les dangers potentiels des boissons énergisantes après une période de maintenance prévue prévient les travailleurs qu'« il est prouvé que la déshydratation a des conséquences négatives sur le processus décisionnel et la performance cognitive, et pourrait être associée au nombre croissant d'incidents et contribuer à un déclin de la productivité ».
Réduire la consommation
L'un des moyens de résoudre ce problème consisterait à interdire la vente de boissons énergisantes sur les sites miniers, comme l'a fait Gold Canyon. Après l'attaque dont a été victime l'un de ses mineurs, la société qui détenait la mine a également interdit la vente de ces boissons dans son exploitation souterraine. « Certains mineurs arrivaient sur le site avec des palpitations cardiaques ou faisaient des crises car ils n'étaient pas suffisamment hydratés pour leurs activités souterraines », se rappelle M. Moss.
Malheureusement, cette décision ne sera pas simple car les travailleurs n'accueilleront sans doute pas à bras ouvert l'interdiction d'une substance légale. « [Les travailleurs] ont le droit de boire ce qu'ils veulent le reste du temps, aussi arriver au travail et s'entendre dire qu'une boisson " est interdite " peut être très mal perçu, surtout si l'on ne leur en explique pas la raison », déclare Mme Spicer.
Le moyen le plus subtil de gérer ce problème consiste à ne pas proposer de boissons énergisantes sur le site. C'est une solution plus simple pour les sites isolés qui requièrent des travailleurs qu'ils fassent la navette entre leur lieu de vie et de travail, où les sociétés ont le contrôle de ce qui se vend dans les distributeurs de leurs réfectoires et dans les magasins du site. Si la société ne stocke pas de boissons énergisantes, les travailleurs n'y auront pas accès à moins qu'ils ne les amènent eux-mêmes de l'extérieur. C'est la tactique qu'a adopté Goldcorp dans l'un de ses sites isolés du nord du Québec. Aucune boisson énergisante n'est vendue au réfectoire, mais les travailleurs ne seront pas pénalisés s'ils en apportent de l'extérieur et les consomment sur le site. Mme Spicer déclare que d'autres sociétés minières adoptent la même approche.
Certaines sociétés informent leurs employés des dangers potentiels de ces boissons énergisantes. Dans son bulletin d'information, Vale recommande aux employés d'éviter de consommer des boissons riches en caféine et en sucre, dont les boissons énergisantes. « Les boissons énergisantes augmentent le risque de développer divers problèmes de santé, dont des crises cardiaques et des attaques », peut-on lire dans ce bulletin. « Ce problème que l'on rencontre surtout chez les jeunes travailleurs inquiète beaucoup les sociétés. » La société Pioneer Construction Inc., basée à Sudbury, a également publié récemment un bulletin de sécurité à l'intention de ses employés quant aux dangers des boissons énergisantes, et a établi une liste des effets secondaires possibles ainsi que des ingrédients dangereux qu'elles contiennent.
Gérer le problème des boissons énergisantes
Les conseils de Roberta Spicer aux professionnels de la sécurité
- Expliquez à vos employé(e)s les dangers des boissons énergisantes et recommandez-leur de les consommer avec modération ou de les éviter totalement (discutez-en en petits comités de sécurité ou lors de réunions, distribuez des affiches ou des brochures éducatives, etc.).
- Assurez-vous que les programmes et formation dédiés à la gestion du stress thermique comportent des informations quant aux risques découlant de la consommation de caféine et de boissons énergisantes, lesquelles accélèrent la déshydratation.
- Recommandez des options plus saines (eau, fruits et légumes) pour satisfaire les besoins énergétiques.
- Insistez sur l'importance du sommeil, de l'exercice physique, etc.
- Incitez la direction à retirer les boissons énergisantes des distributeurs de boissons.
- Développez une culture de l'entreprise déconseillant la consommation de boissons énergisantes.
- Limitez ou éliminez les boissons énergisantes pour les activités :
– qui requièrent l'utilisation d'équipement de protection individuelle (EPI)
– dans des environnements très chauds
– qui sont physiquement éprouvantes
- Proposez une formation sur la gestion de la fatigue et la sensibilisation à ce problème et discutez des risques que représentent les boissons énergisantes dans le cadre de cette formation.
- Conseillez aux personnes ayant des problèmes d'épuisement d'en parler à leur médecin.
Traduit par Karen Rolland