Nombre de sociétés minières canadiennes qui travaillent à l'international sont confrontées à un dilemme. D'une part, Transparency International classe l'industrie minière en cinquième position dans la liste des industries les plus corrompues au monde, et beaucoup de pays en développement possédant des ressources minérales affichent un taux élevé de corruption. D'autre part, la loi sur la corruption d'agents publics étrangers de 1999 rend illégal pour les sociétés canadiennes et leurs dirigeants de corrompre des représentants officiels étrangers, et des rapports indiquent que la gendarmerie royale du Canada (GRC) multiplie les enquêtes à l'international sur des actes de corruption présumés émanant de sociétés canadiennes.
Des recherches financées par le conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada et actuellement dirigées par des professeurs de l'université McGill au Canada et l'université d'East Anglia au Royaume-Uni, ainsi que des chercheurs du centre africain pour les affaires parlementaires (ACEPA) au Ghana, se penchent sur les composantes « offre » et « demande » de la corruption (à savoir les corrupteurs et les corrompus) dans le secteur minier en Afrique. Après avoir mené des recherches sur le terrain au Canada et en Afrique occidentale, les premiers résultats ont identifié dix « tensions » concernant la corruption dans l'industrie minière et ils suggèrent les mesures possibles à envisager par les sociétés minières pour réduire leur exposition aux risques de corruption.
1) Il n'existe aucune définition normalisée de la corruption. De manière générale, les représentants de la société civile du pays d'accueil et, dans une moindre mesure, les représentants officiels du gouvernement et les législateurs définissent la corruption comme « l'abus de confiance du public pour un profit personnel ». En revanche, les dirigeants d'entreprises définissent typiquement ce terme plus étroitement comme « un paiement illégal à un agent public dans l'intérêt de l'entreprise ou personnel ».
2) Un problème connexe concerne le coût de la corruption. Les indicateurs du pays d'accueil en Afrique ont tendance à décrire les coûts de la corruption en termes socio-économique et de développement ; l'un d'eux déclarait que « la corruption, de manière générale, fait perdre à l'État son efficacité et ses ressources ». En revanche, les entreprises intimées évoquaient le coût supplémentaire de la tentative de corruption. La réponse la plus typique était celle d'une entreprise intimée déclarant que « le temps passé par la direction à assister aux enquêtes, aux interrogations de la presse ou aux procédures réglementaires la distrait de ses activités principales, à savoir le développement ou l'exploitation d'une propriété minière », sans oublier le temps que passe la direction avec des bureaucrates corrompus.
3) On observe souvent une divergence entre la politique officielle des entreprises contre la corruption et la nécessité de verser des pots-de-vin au niveau local afin de pouvoir mener ses activités en Afrique.
4) Si la plupart des sociétés minières canadiennes reconnaissent le besoin d'évaluer les risques de corruption, peu le font réellement.
5) On constate une grande différence entre les grandes sociétés minières intégrées et les petites sociétés d'exploration et de développement en termes de politiques d'entreprise et de pratiques concernant la corruption. Cependant, les données suggèrent que la corruption reste un problème autant pour les grandes que pour les petites sociétés.
6) On observe un écart entre la loi et la pratique dans les pays d'accueil. Pratiquement tous les pays d'Afrique disposent de lois contre la corruption, mais la plupart ne les appliquent pas.
7) Les sociétés minières considèrent souvent la responsabilité sociale des entreprises comme un moyen de lutter contre la corruption et/ou de promouvoir le bien-être des populations locales ; quant aux dirigeants et représentants de la société civile en Afrique, ils la voient plutôt comme un choix intéressé qui pourrait même contribuer à la corruption.
8) Les sociétés minières ne savent souvent pas comment gérer les dirigeants et gouvernements locaux et ne comprennent pas toujours les coutumes et traditions locales, notamment le concept traditionnel consistant à verser des sommes (modestes) à des chefs tribaux comme marque de respect.
9) L'exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) constitue un problème. Les premiers commentateurs de cette pratique, tels que la banque mondiale, la considéraient comme un moyen de créer une protection sociale et une option supplémentaire générant des revenus pour les locaux à une époque de forte pression économique et environnementale, et d'apporter une source de revenus aux agents publics, enseignants et autres membres de la société ayant été licenciés. Dans la plupart des pays, ce genre de pratiques minières est illégal et s'est beaucoup développé ces dernières années, suscitant des préoccupations envers l'environnement et la sécurité.
10) Malgré la multitude de parties prenantes dans un projet, l'approche du problème reste très peu structurée. La corruption est clairement divisée en deux parties (l'offre et la demande) et toute tentative sérieuse de contrer la corruption doit inclure une coalition formée de toutes les parties prenantes impliquées (les gouvernements, les parlements, les organisations de la société civile et les entreprises des pays d'accueil et d'origine) qui œuvrent à éliminer le problème.
Les sociétés minières doivent faire preuve d'initiative face à la corruption. La motivation visant à développer des programmes de conformité contre la corruption reste pour beaucoup la menace d'une enquête menée par la GRC. C'est peut-être en comprenant mieux la raison pour laquelle, pour reprendre les termes de l'ancien président de la banque mondiale James Wolfensohn, la corruption est « un cancer », et la façon dont elle déforme le processus décisionnel public dans les pays d'accueil, affaiblit la gouvernance et la démocratie et, à terme, a un effet négatif sur les populations les plus démunies, que l'on pourra générer une motivation supplémentaire pour réduire l'offre en matière de corruption. De nombreuses grandes sociétés minières disposent déjà de régimes de conformité et d'éthique relativement sophistiqués, mais encore faut-il qu'elles les mettent en pratique au sein même de leurs activités internationales. Les petites sociétés minières ne disposent pas de tels programmes internes anti-corruption. Il faut espérer que les résultats finaux de ces travaux de recherche offrent des conseils judicieux sur le renforcement des politiques et des programmes anti-corruption ainsi qu'une aide au développement de cadres d'évaluation détaillés et de grandes lignes pour les régimes de conformité des entreprises.
Rick Stapenhurst est conseiller auprès de la banque mondiale, professeur de pratique à la faculté de gestion Desautels de l'université McGill et professeur invité à l'université Laval.