James Buckle, au milieu, avec sa famille. Avec l’aimable autorisation de James Buckle
Aujourd’hui un dirigeant très respecté dans l’industrie minière, James Buckle revient de loin après son passé en dents de scie. Dans les années 1990, après presque 20 ans dans la police provinciale de l’Ontario (OPP), et notamment une décennie à travailler comme policier en civil sur des affaires de drogue et d’homicide à haute visibilité, M. Buckle avait touché le fond.
En raison des pressions exercées dans ce métier, sa santé mentale périclitait depuis des années, et il était proche de la dépression.
Il avait développé des problèmes de comportement en raison de troubles de stress post-traumatique (TSPT) et se servait de sa fonction de policier en civil comme d’un exutoire pour mal se conduire et chercher des montées d’adrénaline. Surnommé « le flic véreux » par la presse, il encourait un grand nombre d’accusations criminelles relatives à un incendie criminel dans une salle des preuves de la baie North.
Il a plus tard été démis de ses fonctions d’inspecteur principal au sein de l’OPP après avoir été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation pour conduite répréhensible au titre de la loi sur les services policiers, notamment pour une utilisation inappropriée de cartes de crédit de la police et pour avoir fourni de faux reçus pour des demandes de remboursement.
M. Buckle avait perdu son travail, sa réputation et sa maison. Sa relation avec sa famille se détériorait.
Au point le plus bas, il était prêt à mettre fin à ses jours et avait déjà un plan : une note rédigée, un lieu choisi, une arme. Si sa femme n’était pas intervenue, il aurait mis son plan à exécution.
« Le jour où j’allais mettre fin à mes jours, je suis tombé sur ma femme alors que je partais. Je lui ai dit ce que je m’apprêtais à faire, que j’allais me suicider. Je lui ai dit que je laisserai une note et qu’ils sauraient où me trouver. Elle s’est effondrée », expliquait M. Buckle. « C’était mon état d’esprit à ce moment-là. Je venais de lui révéler mon meilleur plan. Je lui donnais la solution pour en finir avec ce cauchemar. Je ne comprenais pas pourquoi elle était si bouleversée. »
Sa femme l’a convaincu de renoncer. Il a alors demandé l’aide d’un psychiatre, qui a diagnostiqué un TSPT. C’était la prise de conscience dont il avait besoin. À partir de ce moment-là, il s’est engagé sur la longue voie de la guérison. Il a suivi une thérapie, a changé son mode de vie, et a commencé une nouvelle carrière dans l’industrie minière. Les changements ne se sont pas produits en une nuit. M. Buckle a dû travailler dur et faire preuve de discipline pour surmonter ses difficultés psychologiques. Toutefois, plus de 20 ans plus tard, il déclare être suffisamment fort mentalement pour gérer les problèmes de la vie à mesure qu’ils apparaissent.
S’il est convaincu que le débat autour du thème de la santé mentale s’est libéralisé durant sa carrière de 24 ans dans l’industrie minière, M. Buckle déclarait qu’il reste encore beaucoup à faire.
« Si je n’avais pas eu la force de parler, je ne serais pas là aujourd’hui », indiquait-il. « Le message important à faire passer est qu’il est tout à fait normal de s’exprimer. La maladie mentale est un problème grave, et nous devons l’aborder. Pour être [une] organisation de classe mondiale, peu importe si c’est [dans] le secteur des mines, de l’enseignement ou du maintien de l’ordre, il faut prendre cette question au sérieux. »
Une « culture où l’on est libre de s’exprimer » constitue un élément majeur de la sécurité psychologique au travail. Dans un article de 2023 du Harvard Business Review, l’autrice et conférencière Amy Gallo définissait la sécurité psychologique comme « une conviction partagée par les membres d’une équipe selon laquelle il est normal [sic] de prendre des risques, d’exprimer ses idées et préoccupations, de parler et de poser des questions, et de reconnaître ses erreurs, le tout sans avoir peur des conséquences négatives ».
En l’absence de sécurité psychologique, les employés pourraient ne pas se sentir suffisamment forts pour évoquer tout haut des questions sensibles telles que la santé mentale ou les abus.
Briser le silence
Un séminaire Web a été organisé le 30 janvier, sur le thème de l’application à l’industrie minière des meilleures pratiques en matière de culture où l’on est libre de s’exprimer. D’après Audrey Hlembizky, directrice générale et fondatrice de TeamsynerG Global Consulting, une entreprise qui travaille avec plusieurs secteurs, dont l’industrie minière, pour aider à créer des industries plus éthiques et durables, il est encore courant dans ce secteur que les gens ne mentionnent pas l’intimidation, les abus ou les mauvais traitements au travail par crainte des répercussions.
Mme Hlembizky faisait référence à l’étude Mental Awareness, Respect and Safety (MARS) Program Landmark Study: Workplace Policy and Practice Survey (étude de référence sur le programme de sensibilisation à la santé mentale, respect et sécurité (MARS) : sondage sur la politique et la pratique au travail), publiée en octobre 2023. Cette étude interrogeait 2 250 travailleurs d’Australie-Occidentale afin de comprendre comment ils perçoivent la santé mentale dans leur industrie. Le sondage montrait que les incidents liés à la sécurité sont encore très peu mentionnés, et que l’intimidation est très répandue. De fait, près d’un quart des femmes et 11 % des hommes indiquent avoir été victimes d’intimidation au travail « au moins deux ou trois fois par mois, voire plus fréquemment, au cours des six derniers mois. »
« De nombreuses raisons expliquent qu’une culture où l’on est libre de s’exprimer est parfois compliquée », indiquait Mme Hlembizky. « Certaines des raisons qui sous-tendent la répression des revendications et du signalement résident dans le fait que les personnes se lient à la culture [de l’entreprise] ou s’en éloignent. Toutefois, cela s’explique principalement par la prise de décisions qui ne sont pas équitables. »
Lorsque la direction ne tient pas les personnes responsables de leur comportement au travail, ou ne gère pas le conflit de manière équitable, expliquait-elle, cela n’incite pas les employés à parler de leurs problèmes. En d’autres termes, si ces derniers observent une équipe de direction qui n’a jamais pris au sérieux les plaintes dans le passé, ils apprendront à rester silencieux au cas où leurs préoccupations sont ignorées, voire punies.
Mme Hlembizky indiquait que, d’après Sharon Parker, enquêteuse en chef de l’étude MARS, une véritable culture où l’on est libre de s’exprimer exige de développer une culture qui met en valeur la santé mentale autant que la santé physique. Pour ce faire, les sociétés de l’industrie des mines et des ressources ne devront pas seulement mettre à jour leurs politiques et leurs normes, mais plus important encore, atténuer ce que Mme Hlembizky appelle « les dangers psychosociaux » tels que l’intimidation et le harcèlement pour renforcer la sécurité psychologique.
Prendre des mesures
Ce sont ses expériences personnelles des dangers psychosociaux qui ont incité la géologue Susan Lomas, qui travaille dans l’exploration et l’industrie minière depuis plusieurs années, à lancer la Me Too Mining Association (l’association minière Me Too) en 2018. Cette organisation, dont le nom a été modifié en 2022 pour devenir la Mine Shift Foundation, a été créée dans l’optique d’amorcer le débat entourant toutes les formes de harcèlement dans l’industrie, et d’offrir une formation et des conseils aux professionnels du secteur minier.
L’un des ateliers de formation que propose la fondation Mine Shift est un programme d’intervention en spectateur baptisé DIGGER. Cet acronyme reflète les actions suivantes : l’action directe, l’action indirecte, demander à un ou une collègue d’intervenir, demander à une autorité d’intervenir, dialoguer avec la personne ciblée, et enfin, enregistrer et signaler.
« La chose la plus percutante que l’on peut faire quand on assiste à une situation inappropriée est d’aller parler à la personne (dialoguer avec la personne ciblée), car tant de difficultés psychologiques l’assaillent à ce moment-là. Elles se demandent ce qu’il vient de se passer, si elles sont responsables. Elles refusent de croire que cela leur arrive », déclarait Mme Lomas. « Il faut aller à leur rencontre et leur dire que l’on a été témoin de ce qu’il vient de se passer, leur dire que l’on est vraiment navré(e). Il faut leur demander si l’on peut les aider. Immédiatement, pas toutes, mais une grande partie des incidences psychologiques se dissipent. »
Pour créer un changement durable dans l’industrie minière, Mme Lomas insistait sur l’importance d’impliquer des organisations tierces qui peuvent apporter soutien et responsabilité sans parti pris, que ce soit sous la forme d’une thérapie ou d’un numéro d’urgence pour la dénonciation d’abus.
« Ce que nous souhaitons véritablement faire, c’est changer la culture afin que ces incidents ne se produisent pas pour commencer », indiquait-elle.
Promouvoir une culture plus sûre
Julie Butcher, vice-présidente de la pratique du conseil à Refinery Leadership Partners, une société-conseil spécialisée dans les ressources humaines basée à Vancouver, déclarait que la création d’un lieu de travail sûr sur le plan psychologique n’est plus seulement considérée comme un élément agréable, mais comme une nécessité pour les dirigeants de l’industrie minière. Ces dernières années, indiquait-elle, les clients de Refinery se sont fortement sensibilisés à la sécurité psychologique et ses liens avec la sécurité physique. Toutefois, il reste beaucoup à faire en termes de mise au point d’une stratégie holistique entourant la santé mentale et le bien-être.
« Nombre de groupes fonctionnels différents sont plus sensibles et essaient d’agir, mais je pense que la difficulté réside dans le fait qu’ils ne sont pas intégrés », indiquait Mme Butcher. « Il n’existe pas de point de vue stratégique quant à la manière dont la sécurité, la DÉI [diversité, équité et inclusion], le leadership et les activités relatives au développement organisationnel partagent une langue commune. Beaucoup de personnes ont les bonnes idées, et une notion existe quant à la manière d’influencer cette culture, mais cette approche reste très compartimentée. »
Susan Eick, associée directrice à Refinery Leadership Partners, indiquait que le développement d’une approche plus intégrée commence par l’adoption d’une vision honnête sur la culture actuelle de l’organisation pour évaluer le genre de changements nécessaires.
« Je dirais qu’il faut commencer par reconnaître leur culture actuelle », indiquait-elle. « Il est indispensable de se demander si notre culture est véritablement le type de culture qui soutient ce que nous essayons de faire, une culture où les gens se sentent libres de parler, de signaler des incidents et d’engager le dialogue. »
À partir de là, elle suggérait de mettre en œuvre des initiatives concrètes telles qu’une formation à la sécurité et au leadership, des sondages auprès des employés et une analyse des données pour identifier les éventuelles lacunes. Mme Eick insistait sur l’importance de créer une déclaration ou un message cohérent concernant la sécurité psychologique ou le bien-être mental, et de bien réfléchir à la manière dont ce message est transmis aux employés aujourd’hui et sur tout le parcours de la société.
L’histoire de M. Buckle est un exemple parmi tant d’autres qui montre qu’une « culture où l’on est libre de s’exprimer » à la maison ou au travail peut sauver des vies. Avec ses années d’expérience dans le maintien de l’ordre, l’industrie minière et le milieu militaire, des secteurs notoirement masculins, des industries remplies de « types coriaces », il comprend désormais que le véritable signe de la difficulté mentale est d’avoir le courage de parler à quelqu’un de ses émotions plutôt que de les enfoncer au plus profond de soi.
Aujourd’hui, M. Buckle est directeur de la sécurité et de la formation pour un entrepreneur de mine souterraine. Il passe son temps libre avec sa femme et leurs quatre petits-enfants. Il défend désormais les problèmes de santé mentale et encourage ses collègues de l’industrie minière à en faire de même.
M. Buckle est convaincu qu’à l’avenir, les aides à la santé mentale seront considérées de la même manière que les lois actuelles sur le port de la ceinture de sécurité ou sur l’interdiction de fumer.
« Je me souviens quand la loi sur le port de la ceinture est passée », indiquait-il. « J’avais mal réagi à l’époque. Aujourd’hui, je n’envisage même pas de faire démarrer mon véhicule sans mettre ma ceinture. [Pour ce qui est des questions de santé mentale], il s’agit simplement de comprendre et d’appliquer de nouveaux comportements. »
Traduit par Karen Rolland