Avec l’aimable autorisation de Jocelyn Bouchard

Si les usines de traitement sont tristement célèbres pour leur mauvais rendement énergétique, une étude récente vient corroborer cette assertion avec des chiffres qui témoignent de leur consommation énergétique.

Après avoir examiné trois circuits de broyage industriels exploités par la division Goldex d’Agnico Eagle, la mine Canadian Malartic et la mine New Afton de New Gold, des chercheurs ont conclu « qu’en moyenne, 79 % de l’énergie électrique fournie étaient convertis en chaleur absorbée par les schlamms, 8 % étaient perdus dans le système d’entraînement et environ 2 % étaient libérés dans l’air ambiant. Seuls 9 % de l’apport énergétique sont effectivement utilisés pour le broyage. » À cet égard, cela fait bien longtemps que les choses n’ont pas changé.

Auteur principal de l’article Breaking down energy consumption in industrial grinding mills (publié dans le CIM Journal, volume 10, numéro 4, 2019), Jocelyn Bouchard, professeur agrégé au sein du département de génie chimique de l’université Laval, estime que l’on peut facilement parvenir à des gains d’efficacité et économiser de l’énergie. Dans un entretien, l’équipe du CIM Magazine lui demande son avis quant à l’amélioration de l’efficacité énergétique des usines de traitement.

L’ICM : Comment peut-on améliorer l’efficacité énergétique des différentes étapes du traitement des minerais ? 

M. Bouchard : Les broyeurs à boulets sont un bon exemple. Dans la plupart des exploitations, on peut traiter légèrement plus de matériaux si l’on trouve le point de fonctionnement optimal avec à peu près la même quantité d’énergie. Le rendement [énergétique] de l’usine ne changera pas, mais la quantité de matériel traité sera plus importante. Si l’on considère l’énergie par tonnes de matériaux traités que l’on utilise, le résultat sera inférieur. Selon moi, c’est un bon point de départ ; on essaie d’optimiser l’usage de notre actif et d’utiliser l’équipement à sa capacité optimale. Cela devrait suffire à améliorer les données liées à la consommation énergétique de l’ordre de 5 à 15 %. Il serait un peu excessif de parler de 15 %, mais d’après une simulation que l’on mène actuellement, une amélioration de l’ordre de 12 % semble raisonnable.

L’ICM : Pouvez-vous nous expliquer comment parvenir à cette optimisation ?

M. Bouchard : On peut procéder de plusieurs manières. Souvent, on ciblera un certain calibre pour le produit en fonction des travaux menés en laboratoire avant le projet ou effectués de manière routinière à quelques mois d’intervalle, uniquement pour s’assurer que l’on vise la bonne granulométrie. Cependant, il est conseillé de changer cette cible constamment, disons toutes les 6 ou 12 heures, voire toutes les heures, en fonction des caractéristiques du minerai que l’on traite à ce moment précis.

Si l’on effectue des mesures plus fréquemment dans l’exploitation (ou même en laboratoire), il faut se demander si l’on a sélectionné la bonne cible et réajuster cette cible ; on pourrait alors traiter plus de minerais. Il est fort probable que le calibre de produit que l’on vise soit bien inférieur à celui dont on a réellement besoin pour atteindre l’objectif de récupération de la teneur dans notre concentré final ou même pour atteindre la récupération souhaitée dans une usine de traitement de minerais d’or. Les valeurs classiques, par exemple, sont de 75 microns. Il suffit de passer de 75 microns à 80, 82 ou 83 microns pour utiliser 5, 10 voire 12 % d’énergie en moins dans l’usine ; la différence est énorme.

L’ICM : Le changement de calibre a-t-il des répercussions sur d’autres volets du traitement ?

M. Bouchard : Si l’on a déjà la bonne cible, on ne peut pas traiter davantage. On peut traiter légèrement plus, mais pas en changeant la cible. Un moyen d’y parvenir est de systématiquement surveiller et contrôler l’ensemble de la distribution pendant l’exploitation. Nous avons des capteurs à cet usage.


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L’ICM : Quelles actions simples et réalisables les mines peuvent-elles mettre en œuvre dès maintenant pour améliorer l’efficacité énergétique de leur usine de traitement ?

M. Bouchard : Il faut développer une stratégie de commande adaptée. Les plus basiques permettraient d’atteindre une activité régulière et de la maintenir. Ce n’est pas toujours fait convenablement.

Avant de devenir professeur en 2012, j’ai travaillé pendant quelques années dans l’industrie. Je travaillais au même endroit qu’un très bon ami, Eduardo Nuñez, au sein du groupe de contrôle des procédés. Dans le cadre d’un projet sur un concentrateur, il appliquait une stratégie de commande très simple. Tout était déjà en place là-bas. Les régulateurs de type PID (proportionnel, intégral et dérivé), les plus élémentaires que l’on utilisait, ne s’intéressaient qu’aux mesures de la densité en aval, aux hydrocyclones et au niveau de l’âme de la pompe du circuit de broyage ; cela lui a suffi pour réduire les kilowatts par tonne de 7 à 8 %. Ce projet n’était en rien sophistiqué. L’approche adoptée était très simple et facilement réalisable. Les usines sont déjà dotées de tout le matériel nécessaire. L’expertise en interne peut poser problème, mais les experts-conseils sont là pour nous aider.

L’ICM : Si les directeurs d’usines souhaitent améliorer leurs systèmes et leurs procédures de contrôle des procédés, quelles sont les premières étapes à suivre ?

M. Bouchard : Michel Ruel, qui travaille à BBA, est très avisé et conseille toujours de gérer les affaires internes en premier lieu. Autrement dit, il faut s’assurer que tout ce qui est déjà en place fonctionne à la hauteur de nos attentes. Cela suffira à apporter probablement 50 ou 60 % des bénéfices. Mais il faudra s’entourer de personnes qui comprennent les régulateurs et savent les faire fonctionner correctement ; souvent, il est difficile de trouver les bonnes personnes dans l’usine. Les opérateurs partent du principe que, puisque l’usine fonctionne, ils peuvent mettre les commandes en mode manuel ; ils gèrent l’usine du mieux qu’ils peuvent et, en fin de compte, ils n’auront probablement pas de dépassement budgétaire. C’est là qu’ils affirmeront qu’ils n’ont pas besoin de régulateurs. Je conseille de commencer par le commencement ; il faut vérifier les régulateurs, s’assurer que l’instrumentation fonctionne bien, et qu’il n’y a pas de problème de configuration dans le système de commande, car c’est un problème courant.

L’ICM : Quelle est l’étape suivante ?

M. Bouchard : C’est drôle ; beaucoup remplacent l’étape initiale par la deuxième étape. Ils se tournent vers la technologie. Dans toutes les usines, il existe deux types de régulateurs industriels : les automates programmables (PLC, de l’anglais programmable logic controller) et parfois, on trouvera aussi un système à commande décentralisée (DCS, de l’anglais distributed control system). Au départ, ces deux technologies étaient très différentes ; aujourd’hui, l’une et l’autre font à peu près les mêmes choses. Certaines usines utilisent encore les PLC pour le niveau de base du contrôle puis ajoutent le DCS pour un second niveau. Aujourd’hui, on est en droit de penser que les usines fonctionnent avec l’un ou l’autre des deux systèmes, et elles doivent s’assurer que le premier niveau de technologie fonctionne bien.

Pour la deuxième étape, on cherche souvent à renforcer l’aspect technologique. Plutôt que de s’occuper de la gestion en interne, on commence d’entrée de jeu avec la technologie de commande prédictive (MDC, de l’anglais Model Predictive Control). Pour ce faire, il faut acquérir un nouveau système, du nouveau matériel. La technologie de commande prédictive est très puissante. Nous développons la plupart des applications dans nos recherches à l’aide de cette technologie. Elle est utilisée depuis des décennies dans le secteur pétrolier et gazier, et elle fonctionne parfaitement. C’est une technologie très sophistiquée qui permet de faire beaucoup de choses impossibles avec les régulateurs PID. Ce que l’on apprécie avec [la technologie de commande prédictive], c’est que c’est un peu comme une boîte noire qui fait des prouesses et permet de faire des prévisions. On pense souvent qu’elle va régler tous nos problèmes ; mais si la base est fragile, elle ne fonctionnera pas. C’est alors qu’on abandonne en accusant la commande de ne pas marcher. Si la gestion en interne est fiable, le deuxième niveau est le moment auquel il faut envisager la MPC.

La MPC permet d’effectuer une véritable optimisation mathématique. Imaginons une courbe en cloche (ou courbe de Gauss) dont le pic tend vers le haut ; avec l’optimisation, on a une fonction mathématique et on essaie de trouver son pic et ce qui nous mènera à ce pic. C’est ce que l’on appelle l’optimisation de la forme, dans le sens où l’on n’essaie pas simplement de faire mieux ; on essaie de trouver le point optimal de la courbe où l’on pourra exploiter au débit maximal, au profit le plus élevé, etc.

Le régulateur a une fonction coût. Cette fonction coût sera définie tel qu’on le souhaite, ce qui signifie que l’on peut établir la variable contrôlée à un point donné. On ajoute le débit à la fonction coût. Tant que le débit augmente, le coût baissera. Ainsi, à chaque intervalle de contrôle, par exemple toutes les deux secondes, la routine de l’optimisation essaiera de trouver les meilleures conditions qui vous mèneront à votre coût le plus bas. Voilà ce que permet la MPC.

Lorsqu’on met la MPC en application, il faut penser à acquérir de nouveaux capteurs. Je vous parlais juste avant des capteurs de la composition granulométrique ; c’est là qu’il faut les mettre en place. Il faut envisager ces capteurs dans l’alimentation en minerais de l’usine de traitement. Une caméra placée sur le convoyeur essaiera d’estimer la composition granulométrique ou même la teneur du minerai.

Une fois que l’on s’engage dans cette voie, l’étape suivante sera ce que l’on appelle l’optimisation en temps réel ; il s’agit toujours d’optimisation, mais pas de manière dynamique. Cette pratique étudiera les conditions de fonctionnement optimales en tenant compte des conditions de marché, du prix du concentré sur le marché, de la zone de la mine qu’il faut exploiter à ce moment précis. On n’exécute pas l’optimisation en temps réel chaque seconde ou minute, mais plutôt chaque jour ou chaque poste ; elle est donc moins fréquente.

L’ICM : À quel niveau se trouvent la plupart des usines de traitement ?

M. Bouchard : L’optimisation en temps réel est encore considérée comme le Saint Graal. À ma connaissance, personne ne l’utilise ; peut-être dans le secteur pétrolier et gazier, mais je ne l’ai encore jamais vu mise en application.

La plupart des usines se trouvent encore à la première étape [la gestion interne]. Même à ce stade-là, il existe différents types de niveaux. Certaines usines se débrouillent très bien et je comprends pourquoi elles ne souhaitent pas faire plus ; elles sont satisfaites de ce qu’elles ont et s’en contentent.

Pour ce qui est de la seconde étape, on commence à voir certaines applications. Agnico Eagle a mis en œuvre les régulateurs de type MPC dans ses circuits de broyage, il y a deux ans je crois. Je n’ai pas encore vu les résultats, mais apparemment, ils sont très satisfaisants.

Les types d’usines qui utilisent correctement le deuxième niveau technologique sont encore rares ; même celles utilisant le premier niveau correctement sont rares.

L’un des points que je mentionnais précédemment est qu’il faut tirer le meilleur parti de ce que l’on possède avant de se lancer dans l’achat de nouveau matériel et équipement. Il faut déterminer si l’on utilise son matériel au meilleur de ses capacités, se demander si l’on met à profit toutes les fonctionnalités qu’offre ce matériel. C’est la première chose à faire ; ce faisant, on économise de l’argent et on investit dans les ressources humaines, car il en faudra pour développer les applications en fonction des installations et de l’équipement existants. Il faut former les employés, de manière à optimiser les ressources humaines et non pas uniquement les ressources matérielles. C’est sans doute le point le plus important, mais beaucoup le négligent car ce n’est pas le plus séduisant.Traduit par Karen Rolland