Avec l'aimable autorisation de Guy Desharnais

De nos jours, l'intelligence artificielle (IA) et l'apprentissage automatique sont si omniprésents dans les médias qu'ils provoquent une bonne dose de scepticisme chez le public, bien souvent à juste titre. L'apprentissage automatique comprend des programmes informatiques capables de résoudre des problèmes de classification ou de prédiction en tirant des conclusions et en prenant des décisions à partir d'un ensemble de données, sans l'intervention d'un être humain. De nombreux algorithmes de ce genre existent depuis des années ; leur succès récent s'explique notamment par l'augmentation de la puissance de calcul, mais également par l'avènement d'une nouvelle génération d'algorithmes qui parviennent bien mieux que leurs créateurs humains, plus enclins aux erreurs, à accomplir les tâches pour lesquelles ils ont été développés. Si l'application de l'apprentissage automatique à l'exploration minérale, la géométallurgie et le remplacement d'un opérateur humain gagne du terrain, cela ne veut pas pour autant dire que l'application à tâtons de l'IA se traduira par une productivité accrue. On s'attend à ce que les accomplissements réels varient grandement en fonction des gains potentiels, de la qualité des données et de l'expertise des humains en coulisses.

Les plateformes Google et Facebook utilisent l'apprentissage automatique depuis des années pour sélectionner leurs publicités. Les banques d'investissement se servent de ces algorithmes pour analyser les actualités afin de faire des paris sur les tendances de marché des millisecondes avant leurs concurrents. Les algorithmes d'apprentissage automatique de nouvelle génération, inspirés par les réseaux neuronaux et les arbres de décisions, se composent maintenant de couches supplémentaires d'analyse et de processus de prise de décision qui augmentent considérablement les probabilités de succès. Un sous-produit négatif de ces couches supplémentaires est que les algorithmes deviennent souvent des boîtes noires à partir desquelles il est impossible de déterminer quelles caractéristiques dépendent de quels paramètres de données, ou comment est faite chaque prédiction. Cette absence de transparence se traduit souvent par un manque de confiance dans le processus et les résultats. Ces nouveaux algorithmes puissants relèvent dans l'ensemble du domaine public et sont même à la disposition de tous dans des applications dans le nuage, par exemple la plateforme Azure de Microsoft. Le développement s'est aussi accéléré sur le plan matériel ; par exemple, la toute dernière génération de téléphones intelligents contient des puces dédiées à l'apprentissage automatique, offrant des fonctions de reconnaissance faciale et de réalité augmentée.

Ce que cela implique pour l'exploitation minière

L'une des forces de l'apprentissage automatique porte sur l'identification efficace des profils des données permettant la classification. La conduite autonome repose en grande partie sur des algorithmes d'apprentissage automatique pour délimiter et replacer plusieurs fois par seconde le véhicule au centre de la voie, en se fondant principalement sur des photos de la route sur laquelle il circule. Pour ce faire, le système a besoin de se baser sur des millions d'images provenant d'une série similaire de photographies et de capteurs à distance dans des conditions semblables. Ceci implique que des circonstances exceptionnelles telles que des chutes de neige au Maroc ou du brouillard dans la région de l'Abitibi entraîneront des immobilisations ou des accidents ; le besoin d'intervention d'une équipe humaine est donc renforcé pour garantir la sécurité et la productivité. La mise en application dans des exploitations minières à ciel ouvert ou souterraines est en réalité plus simple que sur des routes publiques, car l'étendue des réseaux routiers et le nombre de types de collisions possibles dans cet environnement y sont bien inférieurs. L'avantage potentiel que présente l'élimination du conducteur d'un équipement minier est considérable des points de vue de la sécurité, de l'efficacité et de la réduction des coûts. Ceci se vérifie tout particulièrement pour les exploitations où les travailleurs font la navette entre leur lieu de vie et de travail ; en effet, les coûts deviennent vite prohibitifs si l'on veut assurer la présence d'un employé sur le site, le garder au chaud, satisfait, et le nourrir. Quelques fabricants d'équipement proposent déjà des parcs d'engins autonomes, et plusieurs ont des prototypes en service. 

Cette même capacité à la classification rend l'application de l'apprentissage automatique particulièrement utile dans l'identification des cibles d'exploration pour le remplacement de notre inventaire de minéraux. Les géologues prospecteurs ont une capacité limitée à digérer la grande quantité de données que génère la nouvelle génération d'outils d'exploration, notamment la géophysique, l'imagerie hyperspectrale, la géochimie et la minéralogie. Les techniques d'apprentissage automatique, si elles sont correctement codées et calibrées, permettent de bien appréhender toutes les couches de données afin d'identifier la combinaison de caractéristiques dans les données qui aideront à prévoir la présence de minerai.

Mise en garde

Malheureusement, ces techniques sont très pointilleuses quant au type de données que l'on y introduit. Par dessus tout, une grande quantité de données est nécessaire pour bien former un classificateur ; c'est en fournissant le plus de données possibles que l'on obtiendra les meilleurs résultats. En outre, la couverture et la résolution de chacun des types de données doivent être cohérentes. C'est rarement le cas pour des projets d'exploration faisant l'objet de plusieurs générations d'arpentage et de forage. Le regroupement des informations les plus fiables (le forage) autour de ce que l'on connaît déjà constitue une limitation importante de cette méthode, car nous essayons de faire des prédictions là où nous ne disposons d'aucune donnée. L'application de l'apprentissage automatique au domaine de l'exploration était au cœur de la récente conférence décennale dédiée à l'exploration, Exploration17, qui s'est tenue à Toronto. Il a été conclu que ces techniques puissantes ont un potentiel énorme mais requièrent une supervision étroite d'un être humain en raison de leur propension à générer des résultats erronés. Lorsqu'on analyse des images satellites pour trouver des gisements de minerai, par exemple, l'algorithme identifiera facilement la particularité répétitive des lacs colorés (des bassins de résidus) et indiquera des sites tels que le terrain de golf de Timmins et l'usine de traitement des eaux usées de Rouyn comme de bonnes cibles d'exploration.

On peut également appliquer ces algorithmes à des exploitations minières entières pour aider à prévoir les différents types de minerai et bien les gérer, ainsi que pour optimiser les activités. Ce concept constitue, fondamentalement, une revalorisation de la géométallurgie ; en effet, on saisit pour chaque bloc rocheux au sein d'un gisement toutes les informations pouvant affecter sa viabilité économique. Ce marquage comprendra des informations telles que la teneur, le rendement, la dureté, la récupération et la dilution minières ainsi que les coûts d'extraction, de traitement et de récupération de ces blocs. Tous ces paramètres sont essentiels pour bien optimiser une exploitation et pour permettre la planification à court et moyen termes ; cependant, ils sont difficiles à estimer localement. La qualité des prédictions générées à partir d'un apprentissage automatique dépend énormément de la qualité des données, mais surtout de la quantité et de la diffusion à grande échelle de ces données. En effectuant des procédures minutieusement préparées de collecte de données sur tous les échantillons rocheux, depuis l'exploration jusqu'à leur entrée dans l'usine, à l'aide d'une association d'outils analytiques rentables tels que la technologie portative d'analyse par fluorescence à rayons X (XRF, de l'anglais X-Ray fluorescence) et une étude de calibrage des essais métallurgiques poussés, on peut présumer des propriétés locales des roches tel que le prévoit l'apprentissage automatique. Le résultat en est une base de performance de la roche qui permet une amélioration exponentielle de l'optimisation et de la planification. Les données de performance de l'exploitation et du traitement sont ensuite renvoyées dans le modèle de manière à améliorer les prédictions futures, de réduire les risques et d'augmenter les profits. Le coût réel d'un tel processus est infime par rapport à une éventuelle immobilisation inattendue ou une perte d'efficacité.

Comme avec l'avènement de toute technologie en plein essor, on assistera à une période de transition où les décideurs se méfieront des technologies qui ne présentent encore aucun résultat tangible. Les sociétés qui adoptent l'intelligence artificielle (IA) et l'apprentissage automatique en vue d'améliorer leur profitabilité doivent s'attendre à quelques faux départs, jusqu'à ce que les équipes humaines les mettant en œuvre comprennent bien la puissance extraordinaire ainsi que les limites de leur application à notre industrie.


Guy Desharnais est directeur de l'évaluation des ressources minérales chez Osisko Redevances aurifères, et l'un des éminents conférenciers de l'ICM pour l'année 2017-2018.

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Traduit par Karen Rolland