Avec l’aimable autorisation d’Emily Tetzlaff

Emily Tetzlaff a récemment obtenu son doctorat du programme de cinétique humaine de l’unité de recherche sur la physiologie humaine et environnementale de l’université d’Ottawa. Dans le cadre de son doctorat, elle était aussi adjointe de recherche au Bureau des changements climatiques et de l’innovation de Santé Canada, et analyste de la gestion des risques de fatigue pour Torex Gold Resources Inc.

Depuis que Mme Tetzlaff a fait son entrée dans l’industrie minière en 2015 en tant que chercheuse et spécialiste de la promotion de la santé des entreprises, elle a rédigé plus de 30 publications à comité de lecture, et occupe désormais le poste de scientifique principale dans le domaine de l’environnement, de la santé et de la sécurité (ESS) à Wenco International Mining Systems. L’équipe du CIM Magazine s’est entretenue avec elle pour en apprendre davantage sur les dangers du stress dû à la chaleur dans les environnements miniers, et sur la proposition d’une norme de protection des travailleurs contre la chaleur, actuellement envisagée en Ontario.

L’ICM : Pourquoi les programmes de gestion de la chaleur au travail sont-ils si importants ?

Mme Tetzlaff : L’industrie minière présente divers environnements de travail : des exploitations souterraines, des mines à ciel ouvert, des fonderies, des concentrateurs, des sites d’exploration, qui constituent tous un contexte unique en termes de stress dû à la chaleur. Trois autres aspects sont toutefois primordiaux pour comprendre la complexité du stress dû à la chaleur dans l’exploitation minière, à savoir les facteurs environnementaux, la chaleur métabolique et les exigences vestimentaires.

Les facteurs environnementaux comprennent la chaleur, l’humidité, le débit d’air et les sources rayonnantes de chaleur sur le site. Les charges thermiques des sites souterrains sont élevées en raison du gradient géothermique [la hausse de température qui est fonction de la profondeur sous terre], de la chaleur générée par l’auto-compression [une hausse de température provoquée par la pression élevée de l’air], de la chaleur des eaux souterraines dans les galeries d’avancement des mines et de la chaleur générée par l’abattage à l’explosif. La tendance aujourd’hui est aussi d’extraire et d’aller toujours plus profond dans les sites existants, ce qui exacerbe cette charge thermique.

Dans l’exploitation à ciel ouvert, toute personne travaillant en surface est exposée au rayonnement solaire. Pour les personnes travaillant dans une usine, une raffinerie ou un concentrateur, les différents équipements mécanisés émettent une grande quantité de chaleur rayonnante.

Par ailleurs, dans l’industrie minière, une grande partie du travail a lieu dans un espace confiné, par exemple dans les concentrateurs et les fonderies, ainsi que sous terre. Ces environnements sont complexes, car si l’air n’entre pas en contact avec la transpiration sur la surface de la peau, il n’y a pas d’effet refroidisseur.

Le deuxième facteur à envisager est la chaleur métabolique qu’une personne génère, qui est liée à sa charge de travail. Malgré la tendance à privilégier l’équipement automatisé et le travail à distance dans l’industrie minière, les travaux modérés à très lourds doivent encore être effectués sur place. Ceci engendrera de la chaleur dans le corps de la personne effectuant les tâches, ce qui peut également poser un risque combiné important.

Le troisième aspect concerne les exigences vestimentaires. Les normes dans l’industrie minière concernant l’équipement de protection individuelle (ÉPI) pour protéger ses travailleurs d’autres risques critiques sont extrêmement rigoureuses. Pour cette raison, ils travaillent souvent dans un environnement non compensable. [Cela signifie] que la transpiration ou la vasodilatation y sont difficiles, ne leur permettant pas de dissiper la chaleur dans leur environnement de travail.

Dans la fonderie, par exemple, certaines personnes travaillent près des fours dans des vêtements aluminisés, d’autres chargent de l’acide dans des wagons dans des combinaisons Tyvek, sous des températures élevées en été. Ces deux exemples de vêtements ÉPI exigés sont totalement non compensables, ces travailleurs se trouvent donc exposés à un risque extrême de contrainte thermique lorsqu’ils exécutent leurs tâches.

En raison du caractère unique des environnements de travail, des charges de travail et de l’ÉPI dans l’industrie minière (nombre de contrôles standard de la gestion de la chaleur qui sont utilisés dans une usine ou un environnement plus restreint, tels que l’aérage ou la climatisation à l’échelle du site, ne sont pas nécessairement réalisables, rentables ni pratiques dans les environnements miniers), l’industrie présente un désavantage pour certaines des mesures de contrôle principales du stress dû à la chaleur.

L’ICM : Pouvez-vous nous citer certains des effets nuisibles du stress dû à la chaleur ?

Mme Tetzlaff : La différence entre le stress dû à la chaleur et la contrainte thermique est importante. Le stress dû à la chaleur correspond à la charge thermique à laquelle sont exposés les travailleurs. La contrainte thermique, quant à elle, correspond à la réponse physiologique à ce stress dû à la chaleur. Lorsqu’on ne supporte pas ce stress, c’est là que peut apparaître une maladie liée à la chaleur.

Les maladies liées à la chaleur s’inscrivent dans un continuum. Ainsi, les effets physiques peuvent être légers, comme une fatigue induite par la chaleur ou une éruption miliaire (boutons de chaleur). Ils peuvent se traduire par une syncope (évanouissement) ou un œdème (gonflement des mains ou des pieds) associés à la chaleur. Ils peuvent être modérés ou graves, par exemple un épuisement dû à la chaleur ou un coup de chaleur. S’ils ne sont pas pris en charge comme une urgence, les coups de chaleur peuvent avoir une issue fatale chez certaines personnes.

La chaleur peut aussi entraîner des effets psychologiques ou cognitifs intenses, par exemple des temps de réaction plus longs, une diminution de la capacité à penser de manière critique ou une conscience amoindrie de l’environnement. C’est un élément important car les environnements miniers évoluent rapidement. Ainsi, si l’on n’est pas conscient·e de l’environnement qui nous entoure, par exemple si un équipement mobile se dirige vers nous, le stress dû à la chaleur pose désormais un réel problème ainsi qu’un risque pour la santé.

Des maladies chroniques peuvent également survenir après une exposition répétée à la chaleur ou après avoir subi plusieurs maladies liées à la chaleur. Il peut notamment s’agir d’une lésion rénale grave (des microlésions peuvent se produire au niveau cellulaire au fil du temps), qui peuvent évoluer en maladies rénales chroniques menant à une insuffisance rénale au stade terminal. Des effets chroniques potentiels peuvent aussi apparaître sur l’ensemble du système cardiovasculaire, et tous nos systèmes d’organes finiront par être atteints au fil du temps.

L’ICM : Quels signes ou symptômes doivent nous inquiéter ?

Mme Tetzlaff : Pour l’épuisement lié à la chaleur, les signes comprendront des nausées ou une éruption miliaire. On peut se sentir assoiffé·e, avoir la bouche sèche ou des difficultés à déglutir. La température corporelle sera d’environ 38 degrés Celsius (° C). On peut commencer à se sentir étourdi·e, à peu uriner, voire pas du tout, et la respiration peut devenir difficile. À ce stade, on transpire certainement de manière excessive. J’insiste là-dessus, car c’est l’un des symptômes de transition habituels lorsque l’on passe de l’épuisement par la chaleur à un coup de chaleur.

Les signes du coup de chaleur ne s’arrêtent pas à des nausées, ils impliquent aussi des vomissements. Ce n’est pas seulement que l’on urine peu, on n’urine plus ou l’urine est extrêmement foncée. La température corporelle dépasse désormais 39 °C, et on ne transpire probablement plus car le corps est totalement déshydraté. La transpiration est la principale méthode de refroidissement du corps. Si l’on perd cette faculté, la température du corps continuera à augmenter. On peut ressentir des crampes musculaires ou des spasmes, un changement dans l’appréhension, et le comportement devient erratique. À mesure que le coup de chaleur s’intensifie, on se sent désorienté·e, on s’évanouit ou on perd connaissance. À ce moment-là, il faut se rendre à l’hôpital, car le coup de chaleur atteint un point critique.

Un point majeur à souligner ici concerne l’importance de chercher des collègues. Souvent, lorsqu’on commence à ressentir les effets d’une maladie liée à la chaleur, la cognition est déjà modifiée et l’on n’est pas aussi conscient·e de ce qu’il se passe. D’autres personnes doivent donc prendre le relais et nous aider.

L’ICM : Quelles sont les réglementations actuelles en matière de gestion de la chaleur dans les exploitations minières ?

Mme Tetzlaff : Nous nous trouvons à un point critique de transition aujourd’hui, à l’aube d’une réforme politique. On assiste à un grand mouvement, au Canada et partout dans le monde, de la part des autorités de santé, qui se rapprochent de lois et de réglementations obligeant les sociétés à mettre en œuvre des plans de gestion de la chaleur, assortis de toutes les dispositions relatives à la formation, à la communication des informations et à tous les contrôles des dangers existants. Au Canada, les juridictions diffèrent en matière de sécurité. L’autorité fédérale (le Code du travail du Canada) et chaque province et territoire dispose de leur propre législation. La pression en faveur d’une réforme politique est une étape formidable, mais il faut encore résoudre certains problèmes pour traduire ces nouvelles réglementations ou ces propositions en législations applicables à l’industrie minière.

Prenons en exemple le projet de loi 222 de l’Ontario, car cette province abrite de nombreuses exploitations souterraines et ce projet de loi aura une incidence majeure sur ces dernières. Le projet de loi 222 modifie la Loi sur la santé et la sécurité au travail en Ontario et mettra en œuvre une norme de protection des travailleurs contre la chaleur. Il a été proposé à l’automne 2023, et le gouvernement provincial a publié le projet de loi en novembre 2024.

Malheureusement, comme nombre de lignes directrices sur la gestion de la chaleur dans le monde, la norme de protection des travailleurs contre la chaleur s’appuie énormément sur les lignes directrices sur le stress dû à la chaleur de l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH, une association professionnelle d’hygiénistes industriels et de spécialistes de professions connexes), qui n’ont pas été formulées pour l’environnement minier. Par exemple, la plupart des sites miniers fonctionnent sur des quarts de travail de 10 à 12 heures, et ne suivent pas la traditionnelle semaine de cinq jours. Ceci pose un problème quant à la conformité aux conseils actuels.

En outre, ce projet de loi ne protège pas nécessairement tous les travailleurs. De fait, les lignes directrices reposent sur des données qui n’incluent que des jeunes hommes en bonne santé, non atteints de maladie chronique et ne prenant aucun traitement. Ceci signifie que les travailleuses de l’industrie minière, les travailleurs de plus de 65 ans ou quiconque atteint de diabète, d’hypertension ou d’une autre comorbidité en lien avec le stress dû à la chaleur et une mauvaise thermorégulation présentent davantage de risques et pourraient ne pas être protégés par les lignes directrices existantes.

Les maladies liées à la chaleur sont par ailleurs très rarement signalées dans l’industrie minière canadienne. Dans certains des travaux que j’ai menés ces dernières années, nous avons constaté que les gens qui avaient vu des signes et ressenti des symptômes alors qu’ils exécutaient des tâches classiques relatives à leurs activités minières ne le signalaient pas. Certains n’en parlent pas car les symptômes disparaissent rapidement. Souvent, les personnes ne signalent pas les maladies liées à la chaleur lorsqu’ils récupèrent rapidement. S’ils les signalaient, on constaterait les nombreux incidents qui y sont liés.

Sans ces données et ces preuves, il devient réellement difficile de dire que l’on a besoin de plus de temps et de ressources, de contrôles plus efficaces ou d’une meilleure administration des régimes travail/repos au sein d’une société.

Nous devons aussi assurer au personnel préposé à la santé et la sécurité une éducation et une formation appropriées dans les exploitations du Canada, afin qu’ils se conforment aux nouvelles réglementations et développent des protocoles solides. Pour y répondre, les représentants de l’industrie et les chercheurs doivent améliorer et renforcer leur communication.

L’ICM : Comment les sociétés minières minimisent-elles et gèrent-elles l’exposition de leurs travailleurs à la chaleur ?

Mme Tetzlaff : Il est important de bien comprendre la vulnérabilité à la chaleur et ce que cela implique. Tout comme le stress dû à la chaleur, la vulnérabilité à la chaleur compte trois principaux facteurs dont doivent tenir compte les programmes de gestion : l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation.

L’exposition, ou la fréquence à laquelle une personne est exposée au stress dû à la chaleur, est essentielle. Combien de temps reste-t-elle exposée à la chaleur ? À quelle fréquence se font les roulements ? Est-ce une tâche que la personne effectue pendant 30 minutes une fois par mois, ou qui implique 12 heures d’exposition par jour, à chaque poste ? Ceci est primordial pour l’acclimatation à l’environnement, une fonction essentielle de notre corps pour s’habituer à la chaleur pour une bonne adaptation et thermorégulation.

La deuxième chose est la sensibilité, qui fait référence à des facteurs inhérents tels que le sexe. La capacité de déperdition de chaleur des femmes est supérieure à celles de leurs homologues masculins. Les personnes enceintes (voir l’article « Protéger la santé génésique des femmes ») ont également une capacité inférieure, tout comme celles atteintes de maladies chroniques et celles prenant [certains] traitements. La gestion de la chaleur n’est pas la même dans tous les cas, mais elle doit être personnalisée dans la mesure du possible pour chaque travailleur et travailleuse.

Le troisième facteur, qui est très important pour les sociétés minières, concerne la capacité d’adaptation. Dans le contexte minier, elle ferait référence par exemple à l’autonomie des travailleurs à prendre des mesures pour se protéger, si leur société ou leurs superviseurs acceptent qu’ils prennent une pause pour s’isoler de la chaleur si nécessaire, ou s’ils peuvent travailler à leur rythme afin de réduire leur charge métabolique et rester dans des limites sans risque. L’industrie minière repose encore beaucoup sur la programmation axée sur la motivation. S’il est fortement recommandé d’aller plus loin, plus vite, ou de produire plus, on ne travaille généralement pas à son rythme, et on n’applique pas de mesures telles que le régime travail/repos qui visent à aider à maintenir la température du corps dans les limites de sécurité.

L’accès au répit est également important. Si l’on travaille sous terre, où se trouve l’abri le plus proche, et est-il équipé d’un climatiseur ? La zone dans laquelle on déjeune est-elle aussi exposée à la chaleur ?

Les sociétés qui cherchent à minimiser et à gérer l’exposition de leurs travailleurs au stress dû à la chaleur doivent prendre ces facteurs en considération.

L’ICM : Les travailleurs doivent-ils informer leur lieu de travail d’un possible problème de santé ou d’un traitement qui pourrait avoir une incidence sur leur capacité à gérer la chaleur ?

Mme Tetzlaff : C’est une conversation que nous avons eue avec divers représentants syndicaux. Bien entendu, les travailleurs doivent rester maîtres de ce qu’ils divulguent à leur employeur concernant leur état de santé et leurs traitements. Ceci étant, il est difficile pour une organisation d’aider à protéger les travailleurs de vulnérabilités dont ils n’ont pas connaissance.

La formation est, selon moi, une part importante de la solution à ce problème. Les chantiers doivent dispenser une formation sur la chaleur à leurs employés, qui doit inclure une éducation à ces comorbidités, afin que tout un chacun ait l’autonomie de prendre ses propres décisions, en toute connaissance de cause.

Prenons par exemple le cas d’une femme enceinte qui travaille dans l’industrie minière. Si elle a suivi une formation sur les effets de la chaleur, elle est informée que le travail à des températures élevées peut la mettre en danger, elle et son fœtus. Elle peut donc prendre la décision d’aller voir le personnel infirmier au travail ou les représentants des ressources humaines (RH) afin de mettre en place des aménagements. Ne pas être au courant des risques encourus est un inconvénient.

De la même manière, la formation doit parler des traitements qui modifient la thermorégulation de notre corps, comme certains antidépresseurs, qui en sont un bon exemple.

L’ICM : Que recommanderiez-vous aux sociétés qui souhaitent améliorer leur programme de gestion de la chaleur ?

Mme Tetzlaff : Le stress dû à la chaleur est un défi complexe très nuancé. Pour cette raison, il est souvent perçu comme une difficulté ingérable, mais ce n’est pas le cas. De petites mesures peuvent être prises pour établir un programme de gestion de la chaleur. Des chercheurs qualifiés partout au Canada se spécialisent dans ce problème et sont des ressources précieuses qui peuvent nous aider. J’encouragerais les personnes à se rapprocher de ces chercheurs pour obtenir de l’aide afin d’établir [un programme] adapté à leur lieu de travail. 

Traduit par Karen Rolland