L’organisme Sécurité au travail dans le Nord (STN) anime un programme de formation aux premiers soins en santé mentale pour les entreprises canadiennes. Gracieuseté de Sécurité au travail dans le Nord

Chaque semaine, environ 500 000 Canadiens ne sont pas en mesure de travailler en raison de difficultés liées à la santé mentale, d’après un rapport publié en 2019 par Deloitte. L’institut de recherche de Toronto, le Future Skills Centre, a sondé plus de 500 Canadiens sur cette question pour un rapport de juin 2023 intitulé « Améliorer la qualité du travail au Canada : prioriser la santé mentale en offrant des avantages sociaux divers et inclusifs » (Traduction libre), et il en est ressorti que 38 % des répondants avaient expliqué que leurs problèmes de santé mentale les avaient amenés à s’absenter du travail au cours des cinq dernières années. Parmi eux, 80 % ont mentionné que « les exigences de leur travail et de leur environnement de travail » étaient les principales causes de ces difficultés.

Tandis que les soucis de santé mentale, comme le stress,

la dépression, l’anxiété et l’épuisement professionnel sont communs au sein de la main-d’oeuvre de nos jours, ils sont particulièrement frappants dans certaines industries, y compris dans le secteur minier.

En 2019, le Centre de recherche sur la santé et la sécurité au travail de l’Université Laurentienne (CRSST) a publié les résultats d’une étude déterminante qu’il avait conduite en partenariat avec Vale et le Syndicat des Métallos, intitulée « L’exploitation minière et la santé mentale ». Le projet portait sur la santé mentale de 2 224 travailleurs miniers de Vale dans l’ensemble de ses activités en Ontario, sur une période trois ans, et il a permis de constater que plus de la moitié (56 %) de ces personnes faisaient état de symptômes de problèmes de maladie mentale comme la dépression ou le stress post-traumatique. L’étude a également permis de mettre à jour que pour plus de 23 % des personnes ayant répondu au sondage, les niveaux de stress étaient « préoccupants », et que les symptômes de stress étaient exacerbés pour les travailleurs qui passaient un temps significatif sous terre.

Lisa Lounsbury, une formatrice en santé mentale installée en Ontario, a travaillé pour plusieurs compagnies minières avec une présence dans le nord de l’Ontario avec sa compagnie New Day Wellness Inc. Ayant grandi à Sudbury avec son père et de nombreux amis travaillant dans l’exploitation minière, elle a dit avoir compris depuis longtemps l’effet négatif que la culture de l’industrie peut avoir sur la santé mentale.

« Beaucoup de travailleurs travaillent dans le noir, ils travaillent dans des conditions dangereuses, il y a des « passés proches », il y a des accidents mortels. C’est un environnement où le stress est élevé, » a déclaré Mme Lounsbury. « Souvent, l’environnement de travail n’est pas sain, en particulier s’ils travaillent dans des communautés éloignées. Ils ne mangent pas bien, ils ne dorment pas bien, ils sont seuls, ils sont loin de leur famille. L’industrie peut être dure pour les employés. »

Les hauts taux de problèmes de santé mentale parmi les travailleurs miniers de l’Ontario mis en lumière dans l’étude sur l’exploitation minière et la santé mentale sont inquiétants, non seulement parce que cela pourrait résulter en une qualité de vie moins bonne pour ces personnes, mais aussi parce qu’il y a une marge plus élevée pour des accidents graves dans l’industrie minière. En gardant cela à l’esprit, l’effet domino d’une piètre santé mentale dans l’industrie a le potentiel de s’avérer absolument tragique.

Des programmes de formation en santé mentale pourraient sauver des vies.

Lindsay Digby est spécialiste en santé et sécurité, et elle est conseillère en santé et sécurité psychologiques, certifiée par l’Association canadienne pour la santé mentale, chez Sécurité au travail dans le Nord (STN), un organisme à but non lucratif œuvrant dans le domaine de la santé et de la sécurité qui dessert les industries forestière et minière de l’Ontario. STN offre plusieurs programmes de formation en santé mentale en milieu de travail pouvant aider les organisations à mieux comprendre comment la santé mentale a un effet sur le rendement, et comment reconnaître les signes d’un problème de santé mentale chez des collègues.

« Nous associons à cette conversation le concept d’être apte au travail, parce que la santé mentale, vous ne pouvez pas partir de chez vous sans elle, » a-t-elle dit. « Quand vous arrivez au travail, que ça aille bien pour vous ou pas cette journée-là, cela va avoir un effet sur votre rendement. » 

Les programmes de formation du STN couvrent un large éventail de sujets essentiels en relation avec la santé mentale, incluant la définition de concepts tels que la santé mentale, le préjudice mental, et la maladie mentale, ainsi que pourquoi il est important de faire la différence entre les trois. Ils s’appuient également sur le Modèle du continuum de la santé mentale (MCSM), élaboré par Commission de la santé mentale du Canada, pour aider les personnes participantes à reconnaître les signes et les indicateurs d’une santé mentale sur le déclin. Les sessions aident à équiper les employés avec divers outils et ressources pour leur permettre de naviguer à travers les problèmes de santé mentale sur le lieu de travail, incluant une leçon sur la manière de mettre en œuvre « un plan d’action personnel » si vous remarquez que vos symptômes de santé mentale empirent.

Depuis le lancement de sa programmation portant sur la santé mentale en 2021, 4 217 personnes des secteurs que le STN dessert ont participé. Parmi elles, 87 % ont dit que leurs connaissances sur la santé mentale avaient augmenté grâce à la formation, tandis que 87 % ont déclaré qu’elles se sentaient maintenant à l’aise de parler de santé mentale en milieu de travail. De plus, 87 % des personnes ayant participé ont déclaré avoir modifié leurs propres pratiques ou comportements après avoir suivi la formation.

Bien que Mme Digby ait mis l’accent sur le fait que sensibiliser les employés à la santé mentale et les former sur la question était crucial pour toutes les industries, elle a aussi dit que cela pouvait particulièrement sauver des vies dans des industries comme celle de l’exploitation minière.

« Depuis il y a quelques années, lorsque nous avions procédé aux évaluations de risque pour les secteurs minier et forestier, ce concept de sécurité psychologique a continué à apparaître parmi les 10 principaux facteurs de risque, » a-t-elle déclaré. « Si vous ne portez pas toute votre attention à la tâche que vous êtes en train d’effectuer, ou si vous avez tant de choses auxquelles penser que vous n’arrivez pas à réfléchir comme il faut, cela va jouer un très grand rôle quant à votre capacité à faire en sorte que vous demeuriez en sécurité, ou quant à votre capacité à faire en sorte que les autres demeurent en sécurité dans votre environnement. »

Mme Lounsbury a ajouté que, bien que le discours entourant la santé mentale ait évolué au fil des années, il a fallu attendre la pandémie de COVID-19 pour que les entreprises commencent à reconnaître le lien inextricable entre la santé mentale de leur personnel et le rendement au travail de ce dernier.

« Les employeurs ne peuvent plus l’ignorer. Ils ne peuvent pas dire « Eh bien, c’est le problème de quelqu’un d’autre, pas le mien. » C’est leur problème, car cela affecte leurs résultats, » a-t-elle dit. « Ils perdent des employés, soit à cause de la santé mentale soit à cause d’une dépression, et parfois à cause d’un suicide. Certains employés quittent une entreprise s’ils ne se sentent pas soutenus, alors, les employeurs doivent vraiment embarquer dans le mouvement qui consiste à soutenir leurs travailleurs en ce qui a trait à leur santé mentale, et à les éduquer sur cette question. Ils n’ont pas le choix, ils ne peuvent pas ignorer cet enjeu. »

Bien que toutes les entreprises devraient amener leurs employés à suivre une formation d’une manière ou d’une autre dans le domaine de la santé mentale ou à dialoguer sur le sujet, il se peut que certains dirigeants d’entreprise ne soient pas sûrs de savoir par où commencer, ou qu’ils soient intimidés par la pléthore d’informations disponibles aujourd’hui. Selon Mme Lounsbury, cependant, cela ne doit pas nécessairement être compliqué. Pour débuter, tout ce que vous avez à faire, c’est d’offrir aux employés le temps dont ils ont besoin pour une séance de formation. Elle a déclaré qu’un des programmes de formation en santé mentale les plus populaires qu’elle anime pour des entreprises canadiennes est le Premiers Soins en santé mentale (PSSM) offert par la Commission de la santé mentale du Canada.

« Les commentaires ont été incroyables, » a déclaré Mme Lounsbury. « Je vois des hommes et des femmes s’ouvrir pour la première fois pour parler de leurs difficultés, et avoir ces moments de révélation comme « Oh ! Ce n’est pas à moi de régler ça, mais je peux sans aucun doute être là pour quelqu’un, et soutenir cette personne avec empathie. » Nous n’apprenons pas cela à l’école, alors je vais continuer à assurer ces formations, même si je dois pour cela, parfois, me rendre dans des régions éloignées pour donner le cours, parce que je vois l’impact que ce cours a. »

Il faut davantage d’éducation et de formation

Tout au long de sa carrière de 30 ans, Sandor Basa, superviseur et mineur de fond chez Vale Canada, a vu de ses propres yeux l’effet qu’une mauvaise santé mentale peut avoir sur les gens de l’industrie minière. Selon lui, même s’il est encore trop tôt pour voir les changements positifs apportés par la formation en santé mentale au sein de l’industrie minière, davantage d’entreprises font de la santé mentale en milieu de travail une priorité, et la demande à cet égard est en augmentation. 

« Jusqu’à il y a encore deux ou trois ans, personne ne parlait de l’importance d’être mentalement apte au travail, aucun travailleur n’osait parler du moindre sentiment de détresse mentale à son employeur, » a-t-il écrit dans un courriel adressé au CIM Magazine. « Ils affichaient un faux sourire, et ils faisaient de leur mieux pour passer à travers une autre journée. Ces barrières et ces murs sont en train de tomber, morceau par morceau, brique par brique. Tout le monde va devoir faire un effort pour que cela fonctionne. »

M. Basa croit qu’une formation en santé mentale pourrait en définitive sauver la vie de personnes dans l’industrie minière. Il a cité l’exemple d’une mine de Sudbury, où un mineur a tenté de s’enlever la vie dans les toilettes au travail. Heureusement, a-t-il écrit, cette tentative a échoué, mais il croit que des incidents comme celui-là peuvent potentiellement être évités en éduquant les gens et en les formant.

« Si seulement les gens se sentaient à l’aise de demander de l’aide, ou si quelqu’un pouvait voir les signes avant-coureurs, cela pourrait être évité, » a-t-il ajouté. « Cela ne fait qu’illustrer que notre industrie, et toutes les industries, ont encore un long chemin à parcourir. Nous devons faire en sorte que la santé mentale soit considérée comme étant aussi importante que la santé physique... En autant que nous continuions à progresser à petits pas, nous finirons par atteindre notre but ultime, mais on ne peut pas juste se contenter d’un cours sur la santé mentale. Les entreprises doivent mettre ces apprentissages en pratique, et continuer à éduquer tout le monde, à tous les échelons de leur organisation, du plus élevé, au plus bas. »

Dans l’ensemble, Mme Digby croit que les entreprises sont en train de commencer à reconnaître le fait que la santé mentale des employés constitue un élément essentiel d’un écosystème d’entreprise sain et florissant.

« Nous commençons à comprendre la relation qui existe entre le bien-être au travail et en dehors du travail, de manière un peu plus holistique, » a-t-elle déclaré. « De manière générale, les entreprises veulent faire ce qu’il faut, et elles veulent s’assurer que leur milieu de travail ne blesse pas les gens, ni physiquement, ni psychologiquement. Lorsque les diverses organisations commenceront à élaborer ces stratégies de bien-être, de santé mentale et de sécurité psychologique, les avantages qu’elles en tireront seront exponentiels. » 

Traduit par Michèle Tirlemont

La section « Exploitation minière et santé mentale » sera offerte tout au long de l’année 2024, et mettra de l’avant les gens, les programmes et les initiatives faisant de la santé mentale des travailleurs miniers une priorité. Chaque article examinera des manières d’améliorer la santé mentale des travailleurs, un élément clé d’un milieu de travail sécuritaire et productif. Si vous avez une idée d’article, n’hésitez pas à adresser un courriel à editor@cim.org.